Par Brahim Tazaghart
Inévitablement, tamazight sera une langue de savoir et de développement. Elle le sera, d’autant plus qu’elle est une parmi les plus anciennes langues de l’humanité. Cette «tare», de l’avis de certains, peut se révéler, contre toute attente, un atout majeur. Il s’agit de la secouer, de la bouleverser, de laisser jaillir en elle la substance qui rend la vie pérenne, vibrante, productrice de lumière. Elle est vie et lumière pour un peuple qui n’a jamais baissé les bras devant les chocs de l’histoire.L’une des premières langues à être écrite, ayant traversé une longue période de la domination exclusive de «l’oralité», tamazight renoue avec le papier et l’encre. A la faveur de la prise de conscience de ses enfants, elle passe du souvenir qui est par essence porteur de lacunes, à l’histoire qui se fixe sur les feuilles impérissables des livres. Du coup, par la «magie» de l’écriture, elle n’est plus le dialecte, le patois, le parler vulgaire qu’on combattait sans état d’âme pour mettre dans la bouche des enfants la langue sacrée, la langue du coran. Sous l’emprise de leurs confuses personnalités, les promoteurs de la langue unique ont omis de signaler aux Algériens que dans le coran, il y avait des mots amazighs, comme il y avait d’ailleurs des mots latins et grecs et autres. En cherchant à nous faire haïr notre langue, ils nous ont installés dans la haine de soi, dans l’admiration sans limite de l’autre, devenu avec le temps, les «autres». Aujourd’hui, à la faveur des luttes incessantes, tamazight est la langue nationale dans une Algérie qui se refonde et qui se reconstitue. Le livre et l’école
Enseignée à l’université algérienne suite au formidable rassemblement du 25 janvier 1990 devant l’Assemblée populaire nationale dont le document portant la plate-forme de revendications a été déposée par le mythique Lounes MATOUB, puis intégrée dans le système éducatif national le mois de septembre 1995, après un boycott unique dans les annales des luttes politiques et identitaires dans le monde, tamazight reprend sa santé et se replace sur la scène du savoir et de la connaissance élaborée.En préparation, puis en soutien à cet enseignement qui, seul, peut lui assurer un développement durable, le livre amazigh s’est imposé sur la scène publique comme une réalité incontournable. Il vient apporter, d’une manière admirable, une preuve vivante sur la vitalité de la langue des Amazighs. De Boulifa à Belaid Ait Ali, de Amar Mezdad à Mohand Ait Ighilt à Salem Zinia et autres, le chemin était aussi difficile que stimulant et chargé d’enseignements. Avec un courage remarquable, les auteurs amazighs ont pu, malgré une adversité sans pareille, permettre à tamazight de toucher à tous les genres de la littérature et de l’écriture modernes : du roman à la nouvelle, de la poésie libre à la critique littéraire et à l’article de presse, tamazight a démontré ses capacités illimitées.Certainement, le chemin de la consécration reste encore à parcourir ; il nécessite de l’intelligence, de la volonté, des visions claires, mais surtout, beaucoup de moyens.Sur ce chemin, l’édition du livre est l’un des moyens les plus indispensables, les plus stratégiques, car elle est le lieu de la manifestation de l’écrit et de sa valorisation.S’agissant de l’écrit en tamazight et de la situation du livre dans notre pays, il est utile, avant de parler de l’édition, de souligner la crise de la lecture dans notre pays. En effet, sans cette précaution qui nous permet de saisir correctement la problématique posée, nous allons sans doute accabler les éditeurs, les distributeurs, les libraires qui ne fournissent pas l’effort attendu et souhaité. En acceptant que ce soit là des entreprises commerciales qui ne peuvent se livrer à un «exercice militant» sans s’exposer à la dure sanction du marché, nous saurons que le devenir du livre dans notre pays est tributaire de la stratégie globale que peut élaborer l’Etat afin de donner à la culture la place primordiale qui doit être la sienne.L’Etat, dans notre conception, n’est pas une idée abstraite, elle est constituée de l’ensemble des institutions élues, administratives et autres qui stimulent et encadrent la vie publique. Quelques propositions
En préalable à toute batterie d’actions qu’on pourra imaginer afin de permettre au livre de reprendre sa place dans la formation du citoyen algérien, les pouvoirs publics doivent procéder à la révision de l’ensemble des textes réglementaires touchant le livre et sa production. La suppression pure et simple de toutes les taxes et charges qui accablent le marché du livre, pour une période de dix années, est une action en mesure de créer une dynamique nouvelle en mesure de secouer le champ culturel national.Concernant le livre amazigh, notre propos va se limiter sur le seul cas de la Kabylie pour deux raisons évidentes :- L’obligation de l’enseignement de tamazight n’est en vigueur que dans cette région.- C’est dans cette région que le processus de l’écriture et de la diffusion du livre amazigh est significatif. Notre propos, s’il est circonscrit à la région de Kabylie, ne doit pas nous empêcher de souligner l’émergence d’une production littéraire intéressante que ce soit dans les Aurès, dans le Mzab, où à Oran. La Kabylie, marquée par des sacrifices non récompensés à leurs justes valeurs, alourdie par des événements non encore digérés, dégage depuis quelques temps des signes de fatigue et de lassitude. Face à l’état d’esprit qui règne, il s’agit en premier chef, et cela afin de pouvoir aboutir à des résultats palpables, de permettre le maximum d’espaces de débats afin de réaliser une thérapie sociale indispensable pour une reprise effective de l’initiative.Ceci dit, l’effort doit aller vers la mobilisation de l’ensemble des secteurs de la société et de l’Etat.Après la reconnaissance constitutionnelle de tamazight et les droits qu’elle a acquis, il est temps, plus que jamais, de passer au comment la développer au lieu de s’éterniser dans le pourquoi le faire, ou carrément, de se lamenter sur son sort en évoquant toutes les malédictions du monde dont est victime le peuple amazigh !Concrètement, deux types d’institutions font l’essentiel de la structure de l’Etat, les institutions élues qui sont les APC et les APW en ce qui concerne la région, et les institutions administratives qui sont la wilaya, la Direction de l’éducation, la Direction de la culture, l’université…Pour le premier type d’institutions, posons les questions suivantes :- Quel est le rôle des institutions élues dans le développement du livre et de la culture amazigh ? Combien d’APC réservent une enveloppe financière à la promotion du livre amazigh à travers l’encouragement des bibliothèques communales, des bibliothèques scolaires et autres ?
B. T.