«Le miel de Kabylie est d’une très bonne qualité»

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Dans cet entretien, l’expert français en apiculture Jean Claude Moes, en visite à Bouira, parle de sa satisfaction quant à l’évolution de l’apiculture en Kabylie et de son optimisme de voir le miel algérien labélisé.

La Dépêche de Kabylie : Bouira est-elle une région pouvant percer de par la qualité de son miel ?

Jean Claude Moes : Il y a réellement une attente et un besoin ici à Bouira, région que je découvre pour la première fois, même si je suis venu à plusieurs reprises ici en Kabylie. La réception des apiculteurs est remarquable. J’ai appris qu’il y avait plus de 10.000 apiculteurs à travers la wilaya de Bouira, cela représente plus de 150.000 ruches recensées de manière officielle et ce chiffre est énorme. Cela ne m’étonne pas que Bouira soit classée au hit parade des wilayas productrices de miel au niveau national algérien.

La qualité du miel est-elle satisfaisante ?

Par rapport à mon précédant voyage en Kabylie qui remonte à six ans, il y a eu une énorme différence avec une amélioration indiscutable de la qualité globale des ruches, d’abord, des techniques apicoles ensuite et enfin du miel. À l’époque, j’avais l’habitude de voir du miel qui était conditionné dans des bouteilles en plastiques, les bouteilles de jus…de récupération. Aujourd’hui, je remarque que le conditionnement est magnifique avec différents pots en verre propres, hermétiques et j’ai été agréablement surpris. Le verre n’altère en rien la qualité du miel bien au contraire, car le produit est ainsi bien protégé, à l’abri de l’eau, de l’humidité. Et pour le consommateur, le fait de voir l’aspect du miel, il peut se rendre compte des signes de qualités du produit. Toutefois, j’ai remarqué lors de mes sorties qu’il existe encore quelques déchets de cire d’abeilles et ceci n’est pas acceptable, et cela ne répond pas au standard de qualité que nous voulons obtenir. Il faut savoir que le miel est hygroscopique, ce qui veut dire qu’il absorbe l’humidité qu’il y a dans l’air et l’eau détériore la qualité du produit si celui-ci n’est pas conservé dans un contenant approprié.

Beaucoup de consommateurs déplorent le fait que les apiculteurs nourrissent les abeilles avec du sucre. Cela veut-il dire que le miel est frelaté ?

Ceci est un mythe, il faut qu’on enlève cette idée de la tête des gens et donc du consommateur. Un apiculteur est quelqu’un qui aime les abeilles et qui ne veut pas les voir mourir. Il fait tout ce qu’il faut pour qu’elles restent en bonne santé et cela passe par la nourriture. En période hivernale, l’abeille vit sur ses réserves. À partir du printemps, elles sortent butiner mais il faut comprendre que le miel c’est avant tout la nourriture des abeilles. Nous, apiculteurs, nous sommes en quelque sorte des prédateurs car on vole le miel aux abeilles. Sur 100% du miel produit par les abeilles dans leurs récoltes, nous devons prélever que le surplus, c’est-à-dire 10 à 15%, c’est tout. Tout le reste c’est pour les abeilles et ca doit rester aux abeilles. Il y a des périodes dans l’année où il n’y a rien à manger et là il faut compenser avec du sucre. Il faut comprendre, cependant, que lorsqu’on donne à manger aux abeilles c’est pour qu’elles se nourrissent et en aucun cas le sucre ne se retrouve dans les pots revendus. Il n’y a aucune altération et ce n’est pas possible que la nourriture des abeilles se retrouve dans le miel, on leur donne du sucre pour survivre et pas pour stocker. Les cadres dans lesquels se trouve exceptionnellement ce que l’on a donné aux abeilles comme nourriture artificielle, ne se trouvent pas au même endroit où s’effectue la récolte de miel. Pour imager, c’est un peu comme si vous mettiez vos récoltes en stock dans votre grenier alors que votre garde-manger, lui, se trouve dans la cuisine. C’est pareil pour les abeilles, nous les mettons en condition pour que le surplus qui est pour nous se retrouve dans des cadres destinés aux réserves. Il n’y a aucun risque pour que le sucre donné exceptionnellement se retrouve dans le miel, c’est un mythe ! En tant que juge au concours de miel et expert, je peux vous dire qu’un miel frelaté auquel est associé du sucre. Les techniques aujourd’hui sont telles qu’au niveau du gout et au niveau du nez on ne le sente pas. On ne peut pas se rendre compte sans faire d’analyses chimiques dans les laboratoires. Dans le miel, on peut dire qu’il y a deux sucres principaux, du glucose et du fructose au naturel, il y a un pourcentage d’humidité, d’eau. S’il y a trop d’eau, le miel coule comme de l’eau, donc, ce n’est pas de la qualité et ça on peut le remarquer. D’ailleurs, nous avons de petits appareils que l’on appelle des réfractomètres qui permettent de le constater tout de suite. Mais on ne peut pas connaitre le rapport entre fructose, glucose et saccharose ni au gout ni à la vue, cela peut se faire uniquement en laboratoires. C’est d’ailleurs un élément fondamental de l’évolution que nous allons apporter ici. C’est-à-dire de mettre en place des signes de qualités comme on en trouve ailleurs avec les Appellations d’Origine Contrôlées (AOC), et nous voulons le faire ici pour bien différencier le miel d’origine, autrement dit le produit naturel algérien avec des dénominations différentes par rapport au miel d’importation, avec les mentions origine Algérie, apiculteur à Bouira ou autres. Ces signes de qualités passent automatiquement par des analyses physico-chimiques. Ce n’est qu’à partir de là qu’on pourra prouver que le miel est pur et naturel et surtout de qualité. Le travail des apiculteurs est tellement précieux qu’on ne peut pas accepter de laisser le miel se dénaturer par certaines pratiques visant à le frelater.

La production mellifère peut-elle s’accroitre ?

Oui, tout à fait. En Algérie, le miel est encore et toujours considéré comme un médicament ou produit santé, alors qu’ailleurs dans le monde il est consommé comme de la confiture. Le cap n’est pas encore franchi à cause du volume de production qui demeure suffisant pour atteindre le produit que l’on consomme par plaisir. Vous savez, l’abeille algérienne est une abeille présente dans tous le Maghreb, une espèce très spécifique qui est de couleur noire différente de l’abeille mellifica d’Europe. Les caractéristiques de l’abeille algérienne sont très spécifiques, elle est plus agressive et surtout plus essaimeuse. Ce qui fait que les techniques de conduites de ruches sont un peu plus différentes, et il faut s’adapter. C’est ce que j’explique aux apiculteurs car, ici, l’apiculture est encore jeune, il y a un décalage qu’il faut rattraper. Toutefois, je tiens à le souligner une fois de plus, je suis très agréablement surpris par la qualité du miel, des techniques usitées ainsi que le matériel utilisé. De même par l’enthousiasme des apiculteurs qui ont cette volonté de faire des choses formidables et cela me fait plaisir de voir cet engouement.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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