voyage au cœur d'un village de légendes !

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La montagne d'Adni veille toujours sur Wizrane, un beau village connu pour l'hospitalité et la bonté de ses habitants. Sur une petite colline, le mausolée du saint tutélaire Sidi Yahya Ourkia «répand» sa «baraka» sur cette terre qui continue de nourrir ses enfants.

En cette journée de samedi 28 avril, nous visitâmes ce village pour la deuxième fois. La première, c’était lors de la fête de Timechret organisée par les villageois. Et ce fut le «coup de foudre». Notre deuxième visite fut plus que fructueuse. Nous avons pu «déterrer» quelques «trésors» enfouis dans les tréfonds de cette localité d’environ 1 200 âmes. Wizrane fut, durant la guerre de libération, le «cauchemar» des soldats français stationnés dans la caserne d’Akbou. A chaque fois qu’il suspectait un mouvement des Moudjahidine, l’ennemi envoyait dare-dare sa soldatesque et ses avions pour punir la population qui soutenait les combattants. «Le village a été bombardé et encerclé plusieurs fois. Chaque maison avait un abri, une sorte de petit tunnel aménagé dans un coin. C’est cela qui a épargné la vie à presque tous les villageois», raconte Mohand Ouchafaâ Cherifi, l’une des mémoires vivantes de Wizrane. Pour rejoindre ce village niché sur une colline à 500 mètres d’altitude, il faut arpenter un chemin communal qui part de Guendouz, chef-lieu communal d’Aït R’zine. Après 14 km de route tortueuse, vous pouvez apprécier ce beau village paré de son manteau de verdure parsemée de fleurs de toutes couleurs. La signification du nom de Wizrane a toujours été une énigme pour les villageois. Chez les Mozabites, le mot Wizrane signifie tout bonnement les sages, les notables. Les Wizranais étaient-ils, autrefois, des gens qui intercédaient et réglaient les conflits entre villages…?

Des fours à tuiles et des moulins à eau

Le village de Wizrane abritait jadis plusieurs activités artisanales qui ne sont plus pratiquées aujourd’hui. Parmi elles, il y avait la fabrication de tuiles dites canal (arquées) en terre cuite. Ce village dispose de deux fours artisanaux, aujourd’hui en ruines, que nous avons visités récemment. Pour atteindre ces deux points, il faut au moins trois quarts d’heure de marche dans les bois reculés du village au milieu d’un couvert végétal dense, constitué d’arbres de forêts entrecoupés d’imposants oliviers. Nous prîmes une piste agricole et au terme de multiples montées et descentes, nous arrivâmes à Ighoulad, lieu où se trouvent les fameux fours construits en argile rouge. Nous avions un peu de chance, car l’un des deux fours était presque intact. Mais, dommage qu’il n’y ait plus de traces de l’alandier, cette fosse par laquelle les tuiliers introduisaient le bois pour cuire les tuiles empilées sur la sole trouée. De cet ouvrage d’un mètre et demi de diamètre et de près de trois mètres de haut, il ne reste que la sole et la chambre de cuisson à moitié éventrée. A quelques mètres de là il y a un casier construit en pierres taillées qui était fait «probablement pour la préparation de la pâte d’argile», conjecture Mohand Ouchafaâ, notre accompagnateur, 70 ans, une bibliothèque vivante du village. Une chose est sûre ces deux fours sont très anciens, en témoignent leur structure et ce casier où a poussé un caroubier de près d’un siècle ! Mohand Ouchafaâ indiquera à ce sujet que ces fabriques de tuiles «cessèrent leur activité bien avant le déclenchement de la guerre de libération». Le village dispose aussi de pas moins de trois moulins à eau, également en ruines. Nous n’avons pas pu les visiter à cause de leur éloignement. L’existence de Tassift, une rivière d’eau douce qui traverse les pineraies et les précipices tortueux du village permit à coup sûr l’apparition de ces moulins à eau, car l’eau était acheminée via des rigoles pour créer des cascades de sorte à faire marcher les roues à palettes, et par là même tout l’engrenage qui permet de faire tourner la meule afin de broyer que ce soit le blé, l’orge ou «même les fèves sèches!», dira Dda Chafaâ. A cette époque lointaine déjà le village abritait une véritable économie locale, autonome et prospère, d’où étaient «exportés» différents produits ! Les anciennes potières wizranaises confectionnaient aussi des poteries. L’on fabriquait également le coke. Cette activité a disparu quelques années après l’indépendance du pays. Dda Chafââ se souvient très bien de cette industrie artisanale qui permit à plusieurs familles de résister à la misère : «à Wizrane, on fabriquait aussi du charbon que l’on vendait aux forgerons par exemple. Les artisans procédaient par le découpage du bois du chêne ou du caroubier qu’ils enfouissaient dans des casiers en les incinérant».

Le mausolée aux sept portes

C’est un bien curieux nom que porte Le mausolée aux sept portes. «Je suppose qu’il avait autrefois sept accès», présume Jugurtha Bouira, l’un de nos guides. Le lieu, situé en contrebas du chemin communal, est en fait un cimetière où trône ledit mausolée. En inspectant les lieux, nous eûmes des frissons et une envie forte de méditation au beau milieu des tombes qui n’ont rien de récent. A voir leur disposition et les pierres tombales, il est fort à parier que cet endroit, un peu sinistre, est plusieurs fois séculaire. Cependant, en regardant tout autour, il n’y avait point de sept portes ni même deux ! Seule celle du mausolée, ouverte ce jour-là était là et bien réelle ! L’intérieur était vide. Il n’y avait pas la moindre sépulture. Des traces de cire fondue et des coins noircis par les flammes des bougies, qu’on allume pour faire des vœux, tachetaient les murs peints en blanc. Personne à Wizrane n’était en mesure de nous en dire un peu plus sur ce cimetière et ce mausolée aux «sept portes» qui semblent n’être qu’une légende ! Au village, il y a aussi un autre cimetière où se trouve le mausolée de Sidi Yahya Ourkia. «Enterrez-moi sur une haute colline pour que je puisse veiller sur le village», demanda le saint aux villageois en guise de dernière volonté. Ce saint, dont on connait trop peu, serait venu il y a des «siècles» de l’actuel village de Chorfa dans la wilaya de Bouira, où il aurait eu un frère, Sidi Amar Cherif, le saint de Chorfa. A Wizrane, l’on ne se départit pas, nonobstant la modernisation tous azimuts, des traditions ancestrales. Le rituel Anzar est célébré lorsque la sécheresse «pointe» et persiste. «Nous célébrons toujours la tradition d’Anzar chez nous. Nous l’organisons en apportant une outre remplie d’eau, des figues sèches et de la poudre de blé grillé (Tizemmit) que nous mangeons sur place. Ensuite, nous arpentons les ruelles du village avec les enfants en chantant: «Anẓaṛ Anẓaṛ/ A ṛebbi nfud aman/ Aman aman n yigenni/ Ad kṛen-t laḥmali/ Aneč Aɣṛum lɛali.» Et contre toute attente, la pluie tombe en trombe quelques moments après le rite pournous imbiber comme des éponges», assure-t-on.

Ravah Oumeznad ou «l’Arezki Lbachir» de Wizrane !

Le pouvoir colonial français avait spolié les familles de leurs biens les réduisant à l’état de gueux. Cette oppression engendré un sentiment de vengeance et le désir de recouvrer l’honneur bafoué par une puissance coloniale qui a fait trop de mal à de paisibles civils. Bien avant le déclenchement de la guerre de libération, des redresseurs de torts ont fait voir de toutes les couleurs à l’administration française de l’époque, en organisant des razzias chez les colons pour distribuer le butin sur les pauvres «indigènes». Parmi cette multitude de «Zorros» kabyles, il y avait deux bandits d’honneur inconnus de nos jours dans la région des Ath Abbas même. Ce sont les dénommés Ravah Oumeznad et Aissa Akoua, issus, tous deux, du village de Wizrane. Ces personnages, qui vécurent bien avant 1945 dit-on, alimentèrent les légendes à cette époque. Ils opéraient des rafles chez les colons pour distribuer tout le butin sur les démunis. Plusieurs anecdotes sont racontées avec force détails sur ces personnages hors du commun. On leur reconnaît par dessus tout, leur courage et leur soif de justice. On raconte à Wizrane qu’un jour, un tambourinaire de renom, Amar Ouziri en l’occurrence, revenant d’une fête de mariage qu’il avait animée dans un village lointain, était intercepté par des brigands qui lui ont subtilisé l’argent qu’il avait gagné en animant le mariage avant d’arriver à Wizrane. Ayant rencontré par la suite Ravah Oumeznad à Akbou, il lui raconta sa mésaventure. Bouillonnant de rage, Ravah Oumeznad, raconte-t-on, pris sa monture pour chercher les agresseurs du tambourinaire. Il les rencontra dans un boui-boui. Les ayant reconnus, Oumeznad les passa à tabac avant de leur réclamer l’argent volé qu’il restitua à Amar Ouziri.

Poètes et poétesses anciens de Wizrane

A Wizrane, il y avait, à une certaine époque, un florilège de poètes et de poétesses qui rimaient sur les vicissitudes de la vie. Les uns étaient contemporains du 19e et 20e siècle, comme Si Mohand Umechtouh, décédé en 1963 à l’âge de 113 ans, nous dit-on. Il y eût également Hadj Mansour Bouira qui était âgé de 60 ans en 1890. D’autres poètes sont venus par la suite, à l’instar de Mohand Larbi Aïssani, mort en 1995 à l’âge de 85 ans, Meznad Naïmi décédé en 2001 à l’âge de 85 ans. Malheureusement, n’étant pas lettrés, ces poètes, dont on dit tout le bien à Wizrane, n’ont pas «légué» grand-chose si ce n’est quelques strophes «volées» à l’oubli. Cependant, l’on retient cette grande poétesse du nom de Zahoua Mebarki, née en 1905 et décédée en 1979, qui excellait dans l’art de la poésie, épique notamment. Rendant hommage à un combattant intrépide de la Révolution nationale, elle déclamera: «Taqṣit i-yiḍṛan deg uftis/ Iḍ n laxmis/ iṣebḥ-d d lǧamuɛa/// Si Tahar Ubaɛziz/ Adṛaṛ n lwiz/ Lqed usaṛu n lfeṭṭa/// Timlilit deg yeftisen/ Iǧuhed degsen/ D lḥaṛǧ-is ig fuken a lxawa». Nna Zahoua était aussi accoucheuse traditionnelle et guérisseuse. Le village de Wizrane a payé un lourd tribut au colonialisme français. «C’était en quelque sorte, le quartier général des combattants de la région», affirme Dda Chafaâ. Durant la guerre de libération, ce sont 86 martyrs qui sont tombés au champ d’honneur entre civils et Moudjahidine. «Le colonel Amirouche est passé par notre village où il a prononcé de nuit un discours devant la population. Il a dit une sentence mémorable cette nuit-là : La France est une vache dans la peau d’un lion. Krim Belkacem est venu également dans notre village», témoigne fièrement Mohand Ouchafâa Cherifi. Au village de Wizrane, on s’enorgueillit d’avoir abattu en 1959 un avion de guerre, un chasseur en fait, dont le châssis et le moteur rouillés sont toujours exposés comme un trophée au cimetière des chouhada du village.

Syphax Y.

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