Tout un village à l’hôpital ?

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De notre envoyé spécialAomar Mohellebi

Ce scénario se répète depuis dimanche soir dans le village de Hellafa. Les premiers cas ont été détectés dans la soirée de dimanche aux environs de 19 h. Douze personnes ont été prises de vertiges. Le premier symptôme est une diarrhée, suivie juste après de vomissements et de douleurs au niveau de l’estomac. Tous ces indices plaident en faveur d’une intoxication alimentaire, selon le Dr Belhassine, de la polyclinique d’Adekar. Mais ce n’est pas une intoxication alimentaire car il est inconcevable que tout le village ait consommé la même nourriture en même temps. Au début, les habitants ont pensé que cette maladie a été provoquée par la consommation de sardines car le jour même un marchant en a écoulé des dizaines de kilos. Il se trouve que parmi ceux qui ont consommé ces sardines, plusieurs beaucoup qui sont restés en parfaite santé. Après l’élimination de toutes ces pistes, une seule hypothèse demeure plausible : Cela est dû à l’eau. En nous recevant à midi dans son bureau, le maire n’est toujours pas affirmatif. «Il faut attendre le résultat des analyses sur les échantillons d’eau prélevés». Bien qu’aucun décès n’ait été détecté, et malgré la mobilisation générale du personnel de la polyclinique, le maire Idir Hammour a l’air paniqué, à la limite de l’emportement. C’est la première fois que la commune vit un problème d’une telle ampleur. Après un entretien téléphonique avec un journaliste de la radio Soummam, le maire reçoit un coup de fil de la polyclinique qui le met dans tous ses états. Ils nous invite à l’attendre et quitte précipitamment son bureau. Nous le suivons. Le maire se dirige vers la polyclinique située à environ 300 mètres. Des prises de bec avec les médecins ont lieu. Ces derniers tentent de montrer au premier magistrat de la commune que les choses se déroulent parfaitement et qu’il n’ y avait absolument pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Selon les bribes de phrases lancées par le maire, l’établissement sanitaire n’a pas encore envoyé de médecin au village Hellafa, comme convenu avec le directeur. Devant l’affolement qui s’empare d’Adekar, il est difficile d’avoir plus de détails sur ce climat délétère. Plus de deux cent cinquante personnes ont été admises ici, nous confient les Dr Belhassine et Saidani. «Le 2 avril à 19 h, nous avons reçu huit personnes que nous avons transférées vers l’hôpital de Sidi Aich», soulignent les médecins, précisant que le lendemain des dizaines d’autres cas ont commencé à défiler. Nos interlocuteurs rassurent que tous les cas sont gérables et ne présentent pas de gravité extrême hormis les trois envoyés à Sidi Aich. Un médecin parmi les quatre qui travaillent à la polyclinique ainsi que deux ambulances ont été mis à la disposition du village affecté. Par mesure préventive, l’eau a été coupée lundi à 8h 30. Zarkaoui Yacine, des services du SEMED (prévention) de Sidi Aich, explique qu’il faudrait patienter 72 heures avant d’obtenir les résultats des analyses sur l’eau prélevée. «Nous avons effectué des dépistages, point par point, sur toutes les conduites du village et là où il y a problème, on finira par le connaître», précise M.Zarkaoui sans s’engager à être affirmatif à 100 % qu’il s’agit effectivement d’un problème d’insalubrité de l’eau consommée. Parmi les malades qui parviennent à la polyclinique, plusieurs présentent des cas psychosomatiques. Ils sont choqués par le nombre de personnes atteintes.Pour rejoindre le village Hellafa, il faut parcourir une dizaine de kilomètres dont la moitié en piteux état. Le commerçant auquel nous demandons la direction le fait mais nous avertit : «Attention, ne buvez pas l’eau naturelle». A Hellafa, les gens commentent la visite, dans la matinée, du secrétaire général de la wilaya, du chef de daïra et du maire. A l’intérieur de la mosquée, sont entreposées près de 16 000 bouteilles d’eau minérale Ifri. Des jeunes et des enfants sortent de la mosquée munis de deux à trois bouteilles. La quantité semble suffisante pour étancher la soif de ce village de 1 000 habitants. Le premier qui nous adresse la parole à Hellafa est un jeune de trente ans. Il s’appelle Khelifa. Une vingtaine de mômes accourent et assiègent notre photographe qui a été empêché de prendre des photos à la polyclinique. Khelifa nous dit qu’il a bu de la même eau et, paradoxalement, il n’est pas tombé malade. Il nous confie que ce sont beaucoup plus les petits enfants et les vieux qui sont touchés. Tarik, un gosse de dix ans, confirme : «C’est vrai, mon grand père a été transporté à l’hôpital ce matin. Il vomissait beaucoup et il avait mal au ventre». Un autre citoyen déplore : «L’état de ma belle-mère est critique, elle a 87 ans, elle présente les mêmes symptômes. Elle ne peut pas se lever du lit». Devant l’école primaire Rebah-Mohand Amokrane, les habitants du village sont agglutinés pour gérer la situation. Un quart d’heure après notre arrivée, des Nissan de militaires et d’éléments de la brigade mobile de la police judiciaire atterrissent. Deux ambulances et un camion de ramassage scolaire suivent. Zerrad Karim, enseignant à l’école primaire, la blouse blanche déboutonnée à cause de la chaleur étouffante, nous signale que de nombreuses absences ont été enregistrées hier et surtout aujourd’hui. «Les élèves étaient dans un état psychologique qui ne leur permettait pas de suivre normalement les cours. Certains ont même été libérés à cause de crises d’angoisse», nous dit l’enseignant que nous avons pris pour un médecin à cause de son tablier. Le village n’est pas doté d’unité des soins. Hammour Mohand Améziane, responsable du comité de village, monte dans notre voiture pour nous montrer l’endroit où les conduites d’eau passent pratiquement au milieu des voies d’assainissement : «Depuis des années, nous attirons l’attention des maires successifs sur la gravité et le danger que présentent ces conduites. Ils envoient une commission technique pour constater sur le terrain, il confirment et puis ne font rien. Il a fallu que cette catastrophe arrive pour qu’enfin on promette, une fois de plus, d’agir. Espérons que cette fois-ci ce ne sera pas qu’une promesse».

A.M.

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