Un homme à valeur d’exemple

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Mohamed Imache, enseignant universitaire, a publié, en octobre 2017, aux éditions Koukou, un ouvrage poignant sur le parcours, pas si simple mais glorieux, de son père Amar Imache (1895-1960).

Intitulé «Amar Imache, le pionnier occulté», le livre dépeint un homme résistant aux multiples formes de calomnies et déniant la soumission aveugle au «zaïmisme». En effet, tenir tête à Messali Hadj à son époque, il fallait oser ! Amar Imache l’a fait. Sa conviction l’amena à dire, en guise de réplique à quelques-uns parmi les quelque cinq cents militants qui bramèrent «vive Messali !» au cours de la dernière assemblée générale de l’Etoile nord africaine (ENA), le 27 décembre 1936 à Paris, devant celui qui est considéré comme «le père du nationalisme algérien», ces mots repris par son fils dans l’écrit qu’il lui consacre : «Une association doit suivre un programme et non se mettre à la remorque d’un seul homme…». Ainsi, ce que tient à relever Mohamed Imache dans son écrit, c’est que tant son père que Messali Hadj sont anti-assimilationnistes et ont plaidé une même cause, à savoir l’indépendance de l’Algérie. Néanmoins, précise l’auteur, les deux hommes ne sont pas sur le même angle d’attaque : si le premier soutient avec ferveur les maquisards ayant enclenché l’insurrection armée pour la libération du pays du joug colonial, le second préfère le contraire, en s’opposant tout bonnement à la démarche consistant à passer à l’action armée.

«L’Algérie : un peuple avec son Histoire, sa culture et sa civilisation»

N’ayant aucunement la prétention de faire une œuvre de spécialiste, Mohamed Imache tient à raconter, dans son récit, les glorieuses mais très difficiles années de combat d’un vétéran incontesté du mouvement nationaliste algérien moderne, entièrement engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Le livre permet au lecteur de découvrir un homme dont la vie militante l’emporte sur la vie familiale. Il fait découvrir un Amar Imache qui, tout au long de sa vie, refuse que l’Algérien devienne un Français de «seconde catégorie» et qui crie «à la face du monde que l’Algérie est un peuple, avec son Histoire, sa culture et sa civilisation» (p.31). En s’inspirant de ses souvenirs d’enfance, ce qui donne d’ailleurs une particularité et une certaine authenticité à l’ouvrage, mais encore en s’appuyant sur des témoignages et des documents historiques, le fils aîné d’Amar Imache embarque le lecteur dans un récit captivant retraçant la vie de son père d’une part, et de l’autre, apportant des éclairages non moins importants sur une période du mouvement nationaliste algérien peu abordée par les historiens. L’auteur raconte l’histoire de l’un des maillons très importants du nationalisme algérien, «entier dans ses engagements sur la question coloniale, intransigeant sur la nature des idéologies arabo-musulmanes qui n’accordent, selon lui [Amar Imache], que peu de place aux minorités, à l’écart des démocrates dans les batailles d’appareils politiques, il est l’un des premiers à vouloir à la fois l’indépendance de l’Algérie et le respect de la culture berbère», pour reprendre les propos de Benjamin Stora extraits de la préface de «L’Algérie au carrefour. La marche vers l’inconnu» (2012) qui est une synthèse de brochures écrites par Amar Imache en 1937, 1939 et 1946 et rééditées chez les éditions L’Odyssée à titre posthume en hommage à sa mémoire.

L’exil forcé

D’après Mohamed Imache, en 1911, après une enfance vécue non sans contraintes et les multiples privations et restrictions du fait de la condition coloniale, Amar Imache, à peine seize ans, entame la vie professionnelle d’abord comme ouvrier agricole à la Mitidja. Au sein des célèbres fermes de la Mitidja, il découvre les multiples formes d’exploitation et d’humiliation infligées par les colons aux pauvres ouvriers algériens. Ce qui le bouleverse, sème en lui un sentiment de révolte et l’incite à réfléchir au moyen de lutte contre l’injustice qui ronge ses frères. La meurtrière Première guerre mondiale éclate, commencent alors les moments de peur et de panique dans le monde entier. Agé alors de moins de vingt ans, Amar Imache part en France. Il se dirige vers le Nord, dans la région Nord-Pas-de-Calais, où se trouvait déjà au début des années 1920, une forte présence d’émigrés kabyles. Il commence le travail dans les mines de charbon. Les moments passés dans ces mines n’étaient pas sans effets néfastes sur la santé d’Amar Imache. À la veille du déclenchement de l’insurrection armée, celui-ci rentre au pays bardé de lutte sur divers fronts en France. Dans «Aux sources du nationalisme algérien» (2006), K. Bouguessa, cité par Mohamed Imache à la page 12, présente les motifs du choix du côté nord du territoire français par les premières vagues d’Algériens émigrant en France au début de l’année 1900: «La population algérienne émigrée va se répartir d’une manière très inégale sur le territoire français. Cette répartition sera déterminée par deux facteurs : le premier, le plus important, reste sans aucun doute l’appel des principaux centres industriels miniers à la main d’œuvre étrangère ; le second se rapportera à l’utilisation des canaux et filières de groupes familiaux ou villageois, que le hasard aura conduit à essaimer ici plutôt que là. La localisation des principales colonies algériennes émigrées correspondra ainsi aux principaux pôles industriels métropolitains. Quatre à cinq régions se partagent la plus grande partie de cette émigration. L’intérêt que peut nous fournir leur étude résidera dans l’appréciation de l’implantation régionale et sociale de l’Etoile nord africaine […]». Amar Imache quitte son premier emploi et rejoint l’usine Michelin de Clermont-Ferrand en 1917. Il y résiste quelques mois, il regagne par la suite une autre usine de fabrication des armes navales dans la Charente. Un peu plus d’un an après, il se retrouve encore un fois entre les murs du charbon comme mineur de fond au Pas-de-Calais. Un travail non seulement épuisant mais qui met aussi en péril la vie de l’ouvrier. L’on se demande où Amar Imache, qui faisait face, au quotidien, à la poussière au fin fond des mines, puisait ses forces et de quoi se nourrissait sa conviction pour s’offrir le choix même de devenir rédacteur en chef du journal El Ouma, organe de l’ENA dont il est aussi l’un des fondateurs en mars 1926 et élu secrétaire général du même parti le 28 mai 1933. Sinon, «les ouvriers kabyles sont heureux de retrouver leur confident, celui qui écrit leurs lettres et qui lit celles qu’ils reçoivent de leurs familles, celui qui plaide souvent leur cause devant les patrons. C’est ainsi qu’il devient, à son corps défendant, un délégué syndicaliste et, un peu plus tard, un leader politique», écrit Mohamed Imache à la page 13 du livre qu’il consacre à son père. Seulement, poursuit l’auteur un peu plus loin, «dans les débats politiques aujourd’hui, on a tendance, selon son appartenance idéologique, à s’approprier la paternité du mouvement national et plus particulièrement de l’Etoile nord africaine. Pour les communistes, le fondateur de l’ENA, c’est Abdelkader Hadj Ali. Pour les oulémas, c’est l’émir Khaled. Pour les messalistes, c’est Messali ! On pourrait ajouter, ironiquement, pour les Vietnamiens, c’est Ho chi Minh. (Celui-ci était en effet, à la même époque, dans la section asiatique de l’Union Internationale, leader des communistes indochinois qui luttaient pour leur indépendance). On oublie volontairement les véritables fondateurs de l’Etoile nord africaine : les ouvriers kabyles en France, et parmi eux, Imache Amar. Ils sont nombreux ces travailleurs qui, durant plusieurs années, font passer les correspondances avec leurs familles laissées au pays, entre les mains d’Imache Amar. Cette proximité l’a beaucoup servi dans l’initiation de ses compatriotes, d’abord à la lutte syndical, puis à la lutte politique» (pp.13-14).

Prise de conscience des émigrés doublement exploités

Une véritable offensive politique contre le colonialisme français date de mai 1933. Les événements vont s’accélérer et prendre des tournures décisives pour l’ex-puissance coloniale. L’indépendance de l’Algérie et celles des pays d’Afrique du Nord, étant sous la colonisation, ont été rigoureusement inscrites à l’indicatif de l’agenda politique de l’ENA. Le colonialisme français a été activement dénoncé. Le Parti gagne la confiance des émigrés en France. Les réunions des «étoilistes» se multiplient, nonobstant la répression et la surveillance soutenue de la police française. «L’immigration déracinée va prendre conscience de sa double exploitation en tant que colonisée et prolétaire», comme le note dans son ouvrage intitulé «Les Berbères et l’arabo-islamisme en Algérie» (2003) Amar Ouerdane que cite Mohamed Imache à la page 24. Quoique l’état de santé d’Amar Imache se détériore dès 1951, quatre ans après son retour au pays natal, les années de braise dans les mines du nord de la France tout comme les séquelles de la prison ainsi que les contradictions déchirant les rangs des militants nationalistes ne lui accordent pas un long sursis. Avant de prendre le chemin du retour en direction de l’Algérie, raconte son fils dans son livre, Amar Imache a tenu à rédiger une lettre d’adieux dans laquelle «il met en garde [les Algériens en France] contre le culte de la personnalité et la mégalomanie» (p.54). Il s’en est allé le 7 février 1960, après avoir porté l’espérance du combat libérateur dans des circonstances pénibles.

Djemaa Timzouert

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