Le Professeur Noureddine Benali-Cherif est le recteur de l’université Akli Mohand Oulhajd de Bouira. Installé à la tête de cette université au mois de février dernier, il revient dans cet entretien sur les circonstances qui l’ont conduit à occuper ce poste, succédant au Pr Moussa Zireg, et aussi sur son projet pour l’année universitaire 2018/2019, ainsi que sur d’autres questions d’actualité concernant l’université de Bouira.
La Dépêche de Kabylie : Vous avez été installé recteur de l’université de Bouira, au milieu de l’année universitaire 2017/2018, alors qu’elle
traversait une situation très délicate. Quel a été le constat dressé à votre arrivée ?
Noureddine Benali-Cherif : J’avais eu une bonne impression dès mon installation à la tête de l’université de Bouira, le 13 février 2018. J’avais surtout un bon sentiment. J’ai trouvé une belle université avec plus de 23 000 étudiants, 700 enseignants et beaucoup de cadres administratifs. Une université qui ressemble à toutes les universités algériennes qui a, peut-être, beaucoup plus d’avantages que d’autres universités du pays, notamment celle de l’Algérie profonde. Le fait que Bouira est à une heure de route d’Alger c’est déjà un avantage. Cela a été pratiquement mon impression quand je suis venu ici, même si c’était au milieu de l’année universitaire, mais c’était le début de l’année civile. Vous savez que les changements des responsables interviennent durant des moments bien précis, en raison des engagements administratifs, financiers et surtout pour la gestion budgétaire. Donc, pour ce côté-là nous n’avons eu aucun problème de transition, sauf pour la transition pédagogique. Après mon installation officielle, j’ai commencé à découvrir l’université de Bouira. J’ai beaucoup lu sur cette université, et franchement, je m’attendais au pire, et finalement j’avais tort. Il s’agit d’une université normale, qui regroupe des étudiants, des enseignants et des employés comme les autres, sauf qu’il existe certaines pratiques qui sont devenues des traditions. Sur ce point précis, je n’accuse personne, ni mes prédécesseurs ni même la famille universitaire de Bouira. Mais, malheureusement, le constat est là ces mauvaises pratiques se sont installées et sont devenues des traditions. Et c’est là le grand mal de l’université de Bouira, car on a laissé faire à un certain moment. J’espère que ces mauvaises habitudes ou pratiques seront éradiquées de notre milieu universitaire. D’ailleurs, c’est mon premier objectif pour que l’université de Bouira retrouve son statut.
Quelles sont ces mauvaises pratiques ?
Je ne pourrais pas aller dans le détail. Mais, vous savez, on fait beaucoup dans le « social » avec les étudiants, les enseignants et les travailleurs. Les lois ne sont pas appliquées d’une manière nette et claire. Même les directives ne sont pas appliquées à la lettre. Pire encore, ces mauvaises pratiques ont influencé la scolarisation de nos étudiants, qui se sont habitués à ne pas trop étudier surtout avec les grèves à répétition. Nos étudiants ne bénéficient pas d’une année scolaire complète, ils étudient pratiquement la moitié d’année pédagogique. Il est vrai que certaines facultés accomplissement leur année à 100%, d’autres cependant ne font que 20%. Par exemple, cette année, au niveau de la faculté de droit, les délibérations de l’année 2016/2017 ont eu lieu au mois de février 2018 ! À la fin des échéances, certains trouvent toujours le moyen de régulariser, ce que je n’accepterai désormais jamais ! On ne peut pas régulariser des situations non-régularisables. La famille universitaire doit désormais savoir que chaque partie doit assumer les responsabilités de ses fautes. Vous voyez, par exemple, pour l’inscription en Master sur la plate-forme du ministère de l’Enseignement supérieur, il fallait que les étudiants aient leur diplôme avant le 12 juillet. Il y a eu beaucoup de problèmes au niveau national, donc on l’a reportée au 25 juillet. Ici, à Bouira, nous avons seulement 30% d’étudiants en fin de cycle qui pourront avoir leur diplôme avant le 25 juillet. Les 70% restants ne pourraient pas l’avoir, car ils n’ont même pas passé leurs examens, programmés pour le mois de septembre prochain. Face à cette situation, nous sommes devant le devoir de se poser des questions : Cela est dû à quoi ? Qui prendra la responsabilité des étudiants qui ne vont pas pouvoir s’inscrire en Master l’année prochaine ? Nous allons certainement faire face à d’autres problèmes au mois de septembre prochain. Mais je reste optimiste car nous ne pouvons pas régler ces tas de problèmes du jour au lendemain. Moi, j’ai une vision et un projet pour le futur de l’université qui sont de normaliser et homogénéiser l’université de Bouira. Mais surtout, il faut appliquer les lois car c’est la seule manière pour s’en sortir, et ce ne sera plus la jungle, comme certains le pensent.
Sur le plan pédagogique, y a-t-il eu un retard causé par les évènements du mois de décembre dernier ?
Oui, effectivement, nous avons enregistré un important retard sur le plan pédagogique. Toutefois, nous avons consenti d’énormes efforts pour le rattraper, et nous avions réussi quand même à rattraper plus de 60% du temps perdu. J’assume aussi ce retard puisque je dois assumer le passif et l’actif, même si j’ai été installé au mois de février. Je dirais clairement qu’il ne fallait pas faire ce retard. Il y avait aussi beaucoup de longues grèves au cours de l’année, comme c’était le cas à l’Institut des sports, dont les étudiants ont mené une grève de 4 mois, ou bien ceux du département des mathématiques qui ont fait une grève de 3 mois, ou encore au niveau de la faculté des sciences économiques. Tous ces mouvements de contestation n’affecteront que l’intérêt pédagogique de nos étudiants et de notre université. Ce qui est surtout malheureux, c’est que ces mouvements n’interviennent pas pour des problèmes de fond. Quand des étudiants de première année font grève pendant de longs mois pour réclamer des postes d’emploi à la fin de leurs cursus, pensez-vous que c’est logique ? Malheureusement, ces étudiants auront des diplômes avec une certaine faiblisse. Car, même si on valide l’année, les étudiants n’auront pas fait les 12 semaines et ils n’auront jamais étudié tous les programmes. Et vous voyez, avec toute cette concurrence sur le marché du travail, il serait très difficile à nos étudiants de dérocher des postes d’emploi. Maintenant, mon seul souci c’est la réussite de l’université de Bouira. Pour concrétiser ce pari, justement, la première chose c’est de la normaliser. Nous préparons actuellement la prochaine année universitaire, au cours de laquelle nos étudiants devront obligatoirement étudier entre 12 à 14 semaines. L’année prochaine, chacun doit assumer ses responsabilités. Si les étudiants ne remplissent pas ce seuil de 12 à 14 semaines, il n’y aura jamais de validation d’années ou de diplômes. Ceux qui ferment les portes des départements et des facultés devront assumer leurs responsabilités, au même titre que les enseignants et les travailleurs qui n’accompliraient pas convenablement leurs tâches. Nous n’avons pas le droit de dilapider toutes ses richesses et ne pas former avec qualité.
Comment comptez-vous faire face au problème d’insécurité qui prévaut au sein de l’université de Bouira ?
Il n’y a jamais de solution miracle. Je ne peux pas dire que c’est un phénomène sociétal, mais je dirais que je ne fermerai pas les yeux devant les gens qui seront responsables de mouvements d’insécurité à l’université, quels que soient leur position, leur grade ou statut à l’intérieur ou à l’extérieur de l’université. Nous allons appliquer les lois. À l’université de Bouira, nous avons un petit dilemme avec la franchise universitaire. Tout le monde croit que ce sont les agents de sécurité qui assurent la sécurité au sein de l’université, c’est faux ! Nous avons 23 000 étudiants, pensez-vous que 100 agents de sécurité pourraient garantir la sécurité des lieux ? Ceux qui assurent la sécurité à l’université, ce sont l’étudiant lui-même, le travailleur et l’enseignant. C’est cela le concept de l’enceinte universitaire. Si des extras-universitaires pénètrent à l’intérieur de l’université, c’est qu’il y a une complicité quelque part. Il faut que les membres de la famille universitaire respectent ce concept de franchise universitaire. Une université est un espace ouvert, oui. Mais c’est un espace ouvert intellectuellement pour les idées, les sciences, ce n’est pas un espace ouvert pour les délinquants, les trafiquants ou des politiques véreuses. Malheureusement, certains de ces « politiciens véreux », profitent de cette liberté et de cette jeunesse pleine d’espoir, et c’est là où la situation dévie. Nous allons faire dynamiser toutes les institutions et les mécanismes pour que l’université de Bouira soit normalisée. Les lois doivent être appliquées, et il n’y aura plus de politique du « social ». Un travailleur qui s’absente pour une journée n’aura pas son salaire pour cette journée, même s’il a 10 enfants. On ne peut pas donner un diplôme à quelqu’un qui n’a pas réussi ses examens. Si quelqu’un, enseignant ou étudiant, cause un problème qui nécessite une exclusion, il sera exclu. Nous allons nous mobiliser pour appliquer les lois pour le bien-être pédagogique de nos étudiants.
Y aura-t-il un changement de la carte pédagogique de l’université ou de nouvelles filières l’année prochaine ?
Depuis quelques années, une nouvelle politique a été adoptée par le ministère de l’Enseignement supérieur. Un certain moment, il y a eu un foisonnement de spécialités, notamment en Master. Il y a aussi eu un problème de passerelle et d’indicatif. Donc, le nombre de nouvelles filières et de spécialités a diminué dans l’objectif d’harmoniser la nomenclature des filières existantes à l’échelle nationale. Cela ne sous-entend pas une diminution du nombre d’étudiants. Ici, à Bouira, la seule condition pour l’ouverture de nouvelles filières est la disponibilité de moyens humains et pédagogiques.
L’université de Bouira souffre également d’un manque en matière d’infrastructures d’accueil et d’hébergement. Qu’en est-il vraiment ?
Je ne pourrais pas m’exprimer au nom du directeur des œuvres universitaires. Mais je pourrais assurer qu’une nouvelle résidence universitaire pour filles sera mise en service l’année prochaine. Il faut juste préciser que 50% des étudiants de Bouira sont hébergés dans des résidences universitaires, et c’est phénoménal.
Un mot pour conclure…
Je lance un appel à tous les habitants et les cadres de la wilaya de Bouira pour aider l’université, car il n’y a pas une famille qui n’a pas un fils, une fille ou un proche à l’université. Je leur demande de montrer à ces étudiants le bon chemin, et aux enseignants de s’occuper de cette université. Nous avons besoin de notre entourage, pas pour nous aider directement mais indirectement. Nous avons beaucoup de soutiens du côté des responsables de la wilaya. J’adresse également un message à ces mêmes responsables et cadres, portant sur l’obligation de faire sortir la politique de l’université. L’énergie de nos étudiants doit être canalisée pour leur formation et l’acquisition des sciences, et non pas pour autre chose.
Entretien réalisé par Oussama Khitouche

