Ahriq N’Chambète complètement défigurée

Partager

à l’heure où la facture d’importation de certains produits ne cesse de pénaliser les caisses de l’état, il existe certaines exploitations agricoles qui tentent tant bien que mal de redresser la barre en apportant sur le marché national des denrées assez onéreuses et pourtant produites en quantité sur le territoire.

Dans la wilaya de Bouira, dans la commune d’Ath Leqsar plus précisément, une Exploitation Agricole Collective (EAC) se démène dans le sens large du terme pour produire des amandes et des pistaches. Toutefois, sur cette superficie de 131 hectares de l’EAC «Ahriq n’Chambète», entièrement plantée de pistachiers et d’amandiers, un problème de taille met en péril cette production depuis plusieurs années déjà. Il s’agit de l’implantation d’une carrière d’agrégats qui recouvre de poussière ces arbres en pleine production. Sur invitation de M. Slimane Othmani, secrétaire du bureau de l’UNPA d’Ath Leqsar, nous nous sommes rendus sur les lieux pour constater l’ampleur des dégâts tels que décrits par les membres de cette EAC, dont il fait partie. Après avoir parcouru la superficie de ce domaine agricole de part en part, nous arrivons sur le site où est implantée cette carrière. Tout le long du trajet effectué sous un soleil de plomb et à pied, on peut constater que les arbres auparavant verdoyants sont recouverts d’une pellicule de poussière qui a sérieusement affecté les couleurs du feuillage. Plusieurs arbres, comme le prouvent les troncs asséchés et dépéris, démontrent que l’environnement a été sérieusement malmené. Les amandes qui seront arrivées à maturité d’ici la fin du mois de juillet, présentent des signes d’altération avec des sucs gluants s’écoulant du fruit. Les pistaches qui seront prêtes à être cueillies à partir du mois d’août sont également atteintes par les poussières recouvrant fruits et feuillages. Entre les alignements d’arbres, des traces de chaume prouvent que les exploitants n’ont pas chômé en emblavant certaines parcelles de blé. Du blé qui n’aura pas connu de rendements extraordinaires, nous apprend notre accompagnateur en désignant du doigt celui qu’il considère comme coupable : «Avec les retombées de la poussière que génère cette carrière, la croissance végétale prend un sérieux revers. Pour les arbres, c’est au printemps, au moment de la floraison que le pistil des fleurs reçoit sa dose de poussière. De ce fait, le fruit n’arrive pas à maturité, et parfois comme vous le constatez, ce sont les arbres qui dépérissent sur pied», indique M Othmani. Arrivé au sommet de la colline où se trouve la carrière, nous voyons que cette dernière est entourée d’amandiers et de pistachiers. «A l’époque, en 2008, cette carrière se trouvait en dehors de l’EAC, mais après avoir changé plusieurs fois de propriétaire, vous voyez qu’elle se trouve aujourd’hui au beau milieu des arbres fruitiers. Avant d’arriver jusqu’ici, imaginez le nombre d’arbres détruits pour exploiter le gisement de pierres, en plus d’une piste de l’EAC qui a été fermée pour permettre aux camions de la carrière de charger les rochers et les acheminer vers le concasseur», s’insurge M Othmani en nous désignant un autre site où se trouvait à l’origine la carrière. D’ailleurs, on peut apercevoir les bâtiments de l’administration de cette carrière qui se trouvait hors périmètre de l’EAC. Un des membres de cette exploitation regrette l’époque où des camions semi-remorques venaient charger des cargaisons entières d’amandes et de pistaches pour les acheminer vers Alger : «Auparavant, cette exploitation recrutait plusieurs saisonniers afin de procéder à la cueillette des amandes et des pistaches. Aujourd’hui, vu la poussière qui règne, les jeunes sont réticents à venir travailler ici et cela, malgré une rémunération correcte.

Une bataille juridique qui traîne depuis 2012

La main-d’œuvre est rémunérée à hauteur de 500 dinars le sac de 25 kg rempli soit de pistaches ou d’amandes, mais ce n’est pas suffisant pour attirer les travailleurs unanimes à dénoncer les conditions de travail sous une chaleur de plomb et des nuages de poussière», regrette notre interlocuteur.

En 2008, au lendemain de l’installation de la carrière en dehors du périmètre de l’EAC «Ahriq N’Chambète», le gérant de l’époque avait appelé l’ensemble des membres de l’EAC pour les indemniser quant aux conséquences néfastes de cette activité sur les plantations d’amandes et de pistaches. Il faut dire qu’au début les nuages de poussière n’étaient pas très gênants vu que la carrière se trouvait à la périphérie de l’EAC, et cela n’a pas empêché de conclure un accord avec les exploitants les indemnisant pour une durée de 10 ans. Au début de cette année, un des membres de l’EAC a pris l’initiative de contacter, indépendamment des autres membres, l’administration de la carrière, et a perçu une indemnisation. Situation qui a fait réagir les non associés à cette démarche, qui, eux, exigent la délocalisation de la carrière vers son emplacement original ainsi que la remise en état des terres et la plantation des arbres déracinés.

Le DSA ordonne la sortie d’une commission sur les lieux

Lors de notre enquête, nous avons pris attache avec le DSA de Bouira, M. Djoudi Ganoun, qui a immédiatement ordonné qu’une commission soit dépêchée sur les lieux afin d’établir un constat de la situation avec photos : «Jusqu’à présent, nous n’avions été alertés par aucun des membres de cette EAC, et il s’agit là d’une situation d’urgence pour laquelle nous devons intervenir rapidement. Nous allons programmer une sortie avec nos services de la DSA, l’Office National des Terres Agricoles (ONTA), la Direction de l’Environnement et ceux des Domaines afin d’établir un constat. Nous allons vérifier si le gérant de cette carrière dispose d’un titre minier et si l’activité est légale. Par ailleurs, nous allons ordonner la remise en état des terres touchées, et je saisirais personnellement le wali sur ce sujet. Les membres cette EAC doivent se manifester de leur coté car, par rapport au cahier des charges et l’article 6, il est clairement stipulé qu’il revient aux membres de l’EAC de prendre en charge le volet juridique sur la préservation de l’exploitation. Toujours est-il, aujourd’hui la commission nous remettra un rapport détaillé sur la situation et nous prendrons les mesures nécessaires afin de régler définitivement cette situation», affirme M. Djoudi.

La région souffre aussi d’une sécheresse caractérisée

Pour le président de l’association «Amel El Fellah» d’Ath Leqsar, M. Aouadi Abdelaziz, la situation est d’autant plus catastrophique que la région souffre d’une sécheresse caractérisée par rapport aux autres communes limitrophes : «Nous enregistrons chaque année un faible taux de pluviométrie à Ath Leqsar et cela influe négativement sur les rendements agricoles. Il y a aussi les retombées des poussières de cette carrière qui met à mal l’agriculture en général, notamment la céréaliculture et l’arboriculture qui dominent fortement dans cette région agropastorale», déclare le président de l’association «Amel El Fellah». Ce dernier déplore d’ailleurs le fait que la commune d’Ath Leqsar ne soit toujours pas inclue dans le périmètre irrigué, ce qui accroitrait les rendements agricoles. «Auparavant, nous avions plusieurs retenues collinaires dans la région qui s’était fait une renommée dans l’arboriculture avec des pêches, des abricots, des pistaches et des amandes en plus des oliviers, mais au cours des dernières années, toutes les retenues ont disparu et les terres agricoles ne sont hélas plus autant fertiles, surtout avec les nuisances de cette carrière. L’absence d’irrigation, d’aménagement et ouverture de pistes agricoles, et la non inscription de projets portant sur l’électrification agricole, sont autant d’entraves rencontrées par les agriculteurs d’Ath Leqsar auxquels les autorités reprochent par surcroît de ne pas être productifs. Comment être productif lorsqu’on n’a ni eau, ni électricité, ni piste pour accéder aux terres? De même pour les éleveurs de poulets et de lapins qui disposent d’autorisations et d’agréments mais sont privés d’électricité pour rentrer en production», s’interroge M Aouadi. M Othmani abondera dans le même sens soulevant le rôle de l’ONTA dans l’affaire opposant l’EAC à la carrière : «Comment se fait-il que l’ONTA, d’habitude si prompte à se manifester lors de construction sur des terres agricoles, n’a pas réagi à cette agression caractérisée? Pourtant, ce n’est pas une structure qui peut se cacher aisément, cette carrière est visible à des kilomètres à la ronde et les nuages de poussière soulevés se voient de la commune d’El Esnam. En plus de connaitre une perte sèche dans le rendement d’amandes et de pistaches, nous voyons des arbres mourir sur pied, pour comble, nous devons nous acquitter des droits d’exploitation chaque année. Il s’agit d’une situation abracadabrantesque qui doit absolument connaitre son épilogue pour permettre aux exploitants de cette EAC de s’adonner pleinement à leurs activités principales au lieu de se démener dans des batailles juridiques interminables», souligne M Othmane. Pour ce dernier, les frais de justice, d’expertises et d’avocats l’ont carrément ruiné depuis 2012, date à laquelle il a esté en justice l’administration : «Aujourd’hui, je dois retirer une ordonnance du juge qui a désigné un expert, mais je n’ai plus les moyens financiers pour m’acquitter des frais d’expertises. Cette bataille nous a littéralement ruiné», avoue-t-il en regrettant de ne pas avoir associé les services de la DSA ni de l’ONAT lors de l’entame de la procédure judiciaire. Ainsi, alors que le marché des fruits secs connait des pics jamais égalés, notamment la pistache et l’amande qui se négocient autour des 3000 dinars le kilo, les membres de l’EAC «Ahriq N’Chambète» sont impuissants devant cette catastrophe écologique qui s’abat sur leurs cultures. Ils demeurent de ce fait contraints d’assister à la destruction programmée de centaines d’arbres qui, auparavant, faisaient la fierté de toute la région.

Hafidh Bessaoudi

Partager