«Il y a danger sur le parc national du Djurdjura»

Partager

Ahmed Alilèche est un cadre spécialisé en communication environnementale. Il est doctorant de la faculté des Sciences biologiques et agronomiques de l’université de Tizi-Ouzou, conservateur divisionnaire des forêts et chargé du département Animation et Vulgarisation au Parc National de Djurdjura (PND).

La Dépêche de Kabylie : De nos jours, les défenseurs de la nature prônent la communication environnementale comme moyen efficace pour préserver la biodiversité et les écosystèmes. C’est quoi au juste la communication environnementale ?

Ahmed Alileche : La communication environnementale correspond aux pratiques de communication réalisées par des organismes de protection de l’environnement, médias, organisations de la société civile, partis politiques, ou tout autre intervenant sur la scène publique, portant sur le thème de l’environnement. Elle est aussi qualifiée de communication verte puisqu’il s’agit de toute forme de communication sur les arguments écologiques.

Comment l’idée de Communication environnementale a-t-elle germé au sein de l’administration forestière algérienne ?

La gestion du patrimoine forestier algérien et la création d’aires protégées ont toujours été au centre de conflits entre l’administration de gestion et les riverains ou usagers de la forêt comme source d’approvisionnement en bois, pierres sèches, plantes aromatiques et médicinales et bien d’autres services. L’absence de communication transversale constitue le nerf des litiges sur la nature juridique des terrains. L’administration publique a recouru à la communication descendante, c’est-à-dire verticale autorité suprême – population. Le citoyen usager de la forêt n’a pas été consulté ou associé dans les prises de décisions, sachant qu’il jouissait d’un droit d’usage ancestral. Alors, des oppositions et des bras de fer ont animé la relation administration – citoyens. Certes, parfois, il y avait une communication traditionnelle de type bouche à oreille entre les parties en conflit, mais sans aucune stratégie d’aplanissement des divergences. C’était l’époque de la communication de tâtonnement. Les conséquences étaient parfois fâcheuses au point où les relations de partenariat étaient quasiment absentes. De nos jours, avec l’avènement de la communication environnementale qui est en vogue dans le monde, et comme l’Algérie est un pays qui a ratifié toutes les conventions en rapport avec la protection de l’environnement, il lui a fallu se mettre au diapason pour prendre une nouvelle orientation en termes de communication et de gestion du peu du patrimoine forestier qui reste. Aussi, pour communiquer sur la problématique environnementale, le communicant est tenu de respecter les critères d’une bonne communication pour faire passer efficacement son message. Le communicant doit être formé à la base en communication et exercer une pratique de consolidation. Dans la formation de base, le communicant est appelé à développer deux techniques fondamentales. Il y a les techniques oratoires et rédactionnelles, et les techniques comportementales. On entend par les techniques oratoires et rédactionnelles, que le communicant est censé être doté de capacités à parler en public et à rédiger ses messages ou courriers de la manière la plus appropriée possible. Il doit avoir le talent naturel de communicant en faisant appel aussi au «storytelling» qui est une forme de communication de type narrative s’apparentant à celle des contes, des récits avec un fort pouvoir de séduction et de conviction.

Dans quel contexte est lancée la communication environnementale au PND ?

Dans chaque organisme ou structure, une stratégie de communication s’impose. Celle-ci repose sur l’établissement d’un plan de communication (PC) mûrement réfléchi. Quant au contexte du lancement du plan de communication, il s’inscrit dans le cadre de la promotion de l’économie forestière, l’éducation et comprend les différentes actions de communication à entreprendre dans un délai de temps précis

Est-ce qu’un calendrier bien défini des actions de communication a été arrêté au PND ?

Le plan de communication du PND au sens propre n’est pas encore ficelé. Celui-ci doit prévoir, dans le temps, le déroulement des diverses activités de communication relatives au programme comme les actions de célébration propres à la structure ou partagées avec des organismes tiers (Conservation des forêts, réserves de chasse, centres cynégétiques, tourisme, environnement, direction des services agricoles, chambre de l’artisanat…) La communication étant un processus continu, le calendrier des activités devrait être révisé périodiquement et suffisamment souple pour permettre de s’adapter en cas d’imprévus. Car la communication peut être de nature différente selon les circonstances. On peut communiquer à titre informatif, moral ou éthique, à titre préventif pour éviter les procès de mauvaise intention, notamment sur certains projets ou aménagements, voire même interdictions ou à titre curatif pour rectifier ou corriger, notamment certaines décisions ou mesures mal acceptées ou complètement rejetées par les populations autochtones en particulier.

Au niveau du Parc National de Djurdjura (PND), comment procédez-vous à la consolidation de cette stratégie de communication environnementale ?

Notre stratégie repose sur l’effet conjugué de plusieurs facteurs. Diffuser les bons messages, aux bonnes personnes, au bon moment et avec le bon effet. Ceci suppose une mobilisation de tous les canaux et de toutes les énergies de communication efficientes. Le choix des médias et supports se fait, entre autres, en fonction du budget disponible, des caractéristiques des cibles à atteindre (âges, habitudes, lieux où elles se trouvent, préoccupations…), de la stratégie élaborée, et dans une moindre mesure de l’échéancier établi, des médias disponibles, de la saison et des événements contextuels. Désormais, l’intranet est un outil qui permet d’améliorer la communication au sein de tout organisme. Malheureusement, cet outil, indispensable à l’exercice des tâches, laisse à désirer et parfois même il est «rationné». Par ailleurs, l’organisation de sorties sur le terrain avec des déjeuners de plein air est un acte qui permet de créer un climat de convivialité, de mettre fin à la transpiration informelle et de corriger les comportements pathogènes de certains responsables. En externe, la communication se fait de manière diverse et elle englobe plusieurs actions et divers canaux d’express

Y a-t- il d’autres outils de communication au PND ?

Comme la communication, c’est la répétition avec combinaison et multiplication des canaux d’expression, on parle alors de mix-communication ou de multicanal. Bien évidemment, au niveau de toutes les structures, des expositions et organisation d’événements (journées d’étude, portes ouvertes, etc.) qu’on peut qualifier de marketing direct mais sans but lucratif, sont utilisés. Au niveau des parcs nationaux et autres structures de l’administration forestière, des écomusées sont conçus et ouverts pour l’accueil du public. On y trouve des articles et objets divers : flexyframmes, xlyarium, herbiers, animaux naturalisés, diorama, arborama et d’autres supports qui sont exposés en permanence pour le public visiteur.

L’administration forestière s’adapte-t-elle à la communication digitale en vogue ?

Avec l’avènement de la communication digitale ou numérique, l’internet et le social media (site, blog, newsletter, e-mailing, etc.) sont généralisés. La communication via les réseaux sociaux est une culture nouvelle qui s’enracine et qui évolue avec le temps. Au sein du PND, la communication par e-mailing est désormais érigée en culture. Ces mœurs communicationnelles ne cessent d’être utilisées en interne comme en externe. En revanche, le site internet, blog et newsletter n’ont pas encore vu le jour. Des pages face book ont été créées sur initiatives personnelles, mais il faudra les uniformiser et les alimenter dans le respect d’une charte graphique modèle.

Quelle est votre cible de communication au sein du PND ?

L’identification de la cible est une étape importante, car c’est en fonction de la cible que les supports seront adaptés. On doit donc inventorier et classer nos cibles de communication. Dans le cas du parc national du Djurdjura, cette cible peut être répartie selon son importance ou son impact sur le milieu naturel. Nous avons d’abord le cœur de cible qui correspond aux populations riveraines qu’on veut toucher prioritairement, la cible principale composée par le grand public visiteur en général et les associations écologiques et, enfin, la cible secondaire représentée par les élus locaux, officiels, scolaires, universitaires et chercheurs. Signalons que les personnes en interne et les partenaires sont les premiers prescripteurs et déclencheurs du mouvement d’adhésion aux actions du PND. Ceci dit, selon que notre cible de communication soit constituée par un public institutionnel, public spécialisé ou public social, il est très utile d’acquérir des connaissances sur la sociologie de cette cible. On cartographie la fréquentation culturelle, notamment au niveau des sites culturels et cultuels comme c’est le cas d’Azrou N’Thor, Kheloua Haizer, mausolée de Lalla Khédidja, etc.), lieux de rassemblement (Thighzerth, Assouil, Thinzerth, etc.), habitudes de consommation (Barbecue, boissons alcoolisées, etc.), le niveau d’instruction et les réactions de la cible de communication.

Quel est l’apport de la communication numérique dans ce paysage médiatique varié ?

Aujourd’hui, la société est à l’ère de la communication numérique. Les moyens de communication traditionnels commencent à être dépassés. Notre communication doit être modernisée et éviter de tomber sous le joug du «Darwinisme digital». Cette nouvelle forme de communication présente l’avantage d’être propagée en un espace de temps très court. La cible de communication est constituée en majorité par des catégories jeunes dites «Digital natives», c’est-à-dire des jeunes nés avec le clavier entre les mains. Donc, pour toucher cette cible, il faut passer automatiquement par les réseaux sociaux et les blogs. Les moyens classiques de communication ne seront que complémentaires.

La conscientisation des citoyens vis-à-vis de la problématique environnementale, notamment au Djurdjura, promet-elle un développement durable de cette région qui constitue une «île continentale» et un hot spot de la biodiversité ?

L’avancée de la sensibilisation environnementale n’augure pas d’un espoir à la hauteur des attentes. Au rythme de la dégradation du milieu naturel, notamment au Djurdjura qui est un écosystème montagnard fragile et sujet aux effets néfastes du réchauffement climatique, les quelques actions sporadiques, mal encadrées et souvent conjoncturelles ne peuvent à elles seules conscientiser les esprits et anéantir la perturbation de l’intégrité éco-systémique du Djurdjura. Le site est en danger. Notons que les nouvelles orientations sur le développement touristique (zone d’extension) et l’avidité acharnée de certains pseudo-investisseurs, ne prédisent pas un horizon propice à la préservation de la nature, notamment si des mesures draconiennes, comme la répression et l’application strict des textes régissant le patrimoine forestier, ne sont pas accompagnées.

Entretien réalisé par Merzouk Haddadi

Partager