Par Idir AHMED ZAID Université Mouloud Mammeri ‘‘L’incompétent se présente toujours comme expert, le cruel comme pitoyable, le pécheur comme dévot, l’usurier comme bienfaiteur, l’arrogant comme humble, le vulgaire comme distingué et l’abruti comme intellectuel.’’ Carlos Ruiz Zafón (Le Jeu de l’ange, 2009).
Loin de nous de faire une lecture critique de la validité et de la qualité des taux de réussite du baccalauréat de cette année, ne disposant que de données fragmentaires difficilement accessibles que l’on a dû corréler et où on devine une forme de biais d’attrition en excluant les candidats libres, disons tout de même ici, qu’ailleurs, la part de l’échec ne dépasse guère 15% sur un effectif d’inscrits du même ordre que le nôtre avec toutefois une proportion de mentions nettement plus importante. Chez nous, l’échec est dans l’absolu de 61 %, la proportion des mentionnés demeure modeste, tandis que la majorité des candidats reçus ont une moyenne généralement comprise entre 10 et 12/20. Par ailleurs, on se focalise sur le taux de succès de la gent féminine comme facteur de progrès. De l’ordre de 65% depuis 2012 et en légère augmentation continue, cet indicateur n’a de sens que si l’on précise les parts des filles et des garçons à l’entrée du filtre pour savoir si c’est l’effort des premières qui est payant ou seulement une question de différentiel de populations. Dans ce cas, la prépondérance n’est qu’une question de nombre et la problématique revient à identifier les causes du déclin progressif de la population des garçons des classes du primaire à la terminale. Quels sont donc les facteurs prévalents à l’exclusion de ces élèves lors de leur progression dans ce parcours pédagogique de douze ans, sachant qu’à l’entrée du primaire les deux effectifs sont sensiblement égaux ? N’y a-t-il pas une tendance à la facilité de l’exclusion des élèves garçons, à côté de cette présupposée volonté et aptitude des élèves filles à réussir et poursuivre des études pour échapper à la chappe du foyer ? Quelque part, n’y aurait-il pas une part de l’importante féminisation du corps enseignant dans tous les paliers de l’éducation et donc une forme de discrimination ou de ségrégation de genre dans le traitement et le suivi des élèves ? De plus, l’échec et l’exclusion de la gent masculine ne semblent pas être le fait du seul examen du bac mais affectent tous les niveaux des cursus scolaires. Certainement, il y a d’autres facteurs prévalents à l’exclusion des élèves garçons et ce sont là autant de questions auxquelles il faut apporter des réponses étayées par des enquêtes de terrain sur l’exclusion et la qualité des résultats des deux gents dès l’accès à l’école et pendant tout le cursus des études, tant le phénomène est important et gravissime. Enfin, arrêtons nous sur la ségrégation continuelle et gênante fondée sur le statut des candidats au baccalauréat (scolarisés et libres) dont les effectifs officiels au départ sont de 425 669 scolarisés et 283 779 libres sur un total de 709 448 candidats déclarés pour l’année 2017-2018 (60% et 40%). Cette variable semble servir d’édulcorant à la faiblesse du taux de réussite et voile la piètre efficacité du système éducatif dans son entièreté, en relativisant l’importance de l’échec à l’inverse de sa réelle signification. Elle incarne un atténuateur de l’échec : la modestie du succès des scolarisés est rehaussée qualitativement et relativement par la faiblesse du succès des libres. C’est un peu comme si l’on disait que le taux de succès des candidats scolarisés est faible mais il y a pire, en pointant du doigt celui des candidats libres. On semble oublier que les candidats libres sont dans leur majorité des élèves ayant échoué les années précédentes et qui n’ont pu être scolarisés faute de places dans les lycées. Dès lors, on annonce le taux de réussite des candidats scolarisés, sachant pertinemment que le taux global combinant les deux catégories est bien plus modeste dans le relatif et l’absolu. La logique veut qu’indépendamment de son statut, scolarisé ou libre, un candidat à l’examen du bac reste un candidat tout court et un sujet potentiel à la réussite ou à l’échec et, dans tous les cas, il doit être comptabilisé en tant que tel, l’objectif étant pour lui et la collectivité de décrocher le fameux sésame pour améliorer sa situation et exaucer son vœu d’accéder aux études de son choix. A ce titre, les résultats doivent déjà refléter cette globalité de l’effectif sans distinction de statut, sinon ce serait faire fi du respect du principe de la garantie de l’égalité des chances et réduire les capacités des candidats libres et les performances du système éducatif en opérant dès le départ une catégorisation et une discrimination de statut qui peut toutefois l’être à titre indicatif. Autrement dit, ce serait entacher l’espoir de réussite de la catégorie des candidats libres qui partent résignés à l’échec annoncé par l’effet de négligence relativement à l’ensemble. C’est pour cela que le taux de succès doit être calculé relativement à l’effectif global de départ, autrement dit dans l’absolu. Peu importe le statut des candidats, peu importe s’il y a des absents et des abandons. Que les candidats soient scolarisés ou libres, la mobilisation des moyens humains et matériels concernent la population entière des candidats. Cet aspect nous interpelle pour mesurer l’impact de cette catégorie de candidats sur le taux de succès. Pour l’année 2017-2018, le taux de réussite global absolu est de 38.96% [276 391 reçus : 709 448 candidats déclarés], en dessous du taux relatif global qui est de 44.61 % [276 391 reçus : 619 531 présents], en dessous du taux relatif de la catégorie des élèves scolarisés annoncé officiellement qui est de 55.88 % [235 191 reçus : 420 886 élèves présents]. Dans l’absolu, le taux de réussite des candidats scolarisés atteint 55.25 % [235 191 reçus : 425 669 élèves déclarés]. Il en est de même pour les candidats libres dont le taux de réussite relatif est de 20.74 % [41 200 reçus : 198 645 élèves présents] tandis que le taux de succès absolu atteint 14.52 % [41 200 reçus : 283 779 élèves déclarés]. La proportion des candidats libres déclarés est de 40% de l’effectif global des candidats déclarés et le taux d’absence est de 30% selon les chiffres annoncés par les services du ministère de l’éducation. Après avoir atteint un seuil appréciable en 2017 qui dépasse 40%, le taux de succès des candidats libres a lourdement chuté, pour descendre en dessous du seuil habituel des 25% des années précédentes. Ce qui a entraîné une chute du taux de succès global relatif (candidats scolarisés et libres réunis). Alors que, logiquement avec une plus grande participation de candidats étudiants repassant le bac pour améliorer leurs moyennes et accéder aux filières universitaires prisées ou protégées, ce taux devrait être corrélé avec la croissance de leur effectif et être plus élevé. Ce qui n’est pas le cas eu égard aussi au taux d’absentéisme plus élevé dans la catégorie des candidats libres. Ceci signifie que la présence massive de candidats-étudiants n’apporte pas de plus-value à l’examen du bac. Encore un indicateur significatif de la piètre qualité du niveau de notre fabrique du capital humain. Ainsi, l’annonce du taux de succès des seuls candidats scolarisés appelle un commentaire surtout quand il est accompagné du constat d’une progression lente et à long terme ! En effet, l’effectif global des reçus passe de 341 744 en 2017 à 276 391 en 2018 accusant une régression de 65 353 reçus dont 34 624 pour les scolarisés et 30 729 pour les libres, soit une baisse nette de 18% ! Quelque part, cette baisse significative contrarie cette histoire de progression lente du taux de succès relativement aux chiffres annoncés, la population des candidats déclarés n’ayant baissé que de 62 253 élèves. Si amélioration de la qualité et de l’efficacité du système éducatif il y a, elle aurait tiré réellement vers le haut le taux de succès et le nombre de reçus quelque soit l’effectif des postulants qui a accusé en fait une baisse de 62 253 candidats seulement (- 8.17%). Il n’y a donc que ce taux global combinant les candidats scolarisés et libres qui reflète la réalité du succès et de l’échec au bac. C’est celui là le vrai visage de la rentabilité du système éducatif. Toutes proportions gardées, celui qui repasse son bac après y avoir échoué reste tout de même un produit de ce système. On ne peut le blâmer parce qu’il a échoué au repassage. Et après tout, c’est un jeune qui veut réussir qui tente sa chance. A ce titre, non seulement il faut lui accorder cette chance mais, en plus, lui assurer les conditions de travail pour réussir. C’est cela la triste réalité qui conduit ces jeunes à rejoindre la cohorte des éternels repasseurs, mais aussi celles des exclus, des chômeurs et autres marginaux de la société. Limiter le nombre de sessions de repassage du bac aux libres c’est une chose, en dresser la typologie de la structure des candidats et en extirper l’effectif des candidats-repasseurs qui ont déjà acquis leur bac, est une autre chose. Dans ce dernier cas, il suffit d’instaurer une période d’interdiction de repasser l’examen du bac pour une personne l’ayant déjà acquis à l’instar des autres diplômes, du moins dans les textes. Mais les seconds ne doivent pas pénaliser les premiers. Du coup, candidats scolarisés ou libres, c’est le taux de succès global, même s’il est relatif aux seuls élèves réellement présents et n’ayant pas abandonné les épreuves qu’il faut retenir pour apprécier l’évolution des résultats réels sur une période donnée. Traduits sous forme de courbe, on y lit des fluctuations autour d’une tendance moyenne baissière et plate ou stagnante autour de 50% depuis 2015 indiquant une forme de palier de saturation et donc les limites de la performance et de l’efficacité du système éducatif national. Ce qui est en soi un indicateur préoccupant qui appelle une réflexion approfondie et des réformes vigoureuses pour faire décrocher la tendance vers une croissance perceptible. C’est dire aussi que les impacts d’une réforme tardent à se matérialiser : ils ne peuvent être ressentis et productifs qu’à terme. Ce n’est pas de suite qu’une réforme aboutit, fût-elle des plus judicieuses et des plus efficaces, impliquant des facteurs de nature diverse et des résistances dans tous les segments du système auquel elle est appliquée. Dès lors, on doit quitter l’étourdissante virtuosité dialectique qui fait du mal un instrument du bien ou du bien même apparent ou relatif une force objectivement nocive. Telle qu’elle se présente dans sa contexture actuelle et victime des multiples pressions qu’elle subit, l’Ecole participe malheureusement à la conception du citoyen abstrait d’aujourd’hui, dépouillé de ses caractéristiques d’individu singulier et de la richesse de ses attaches à son histoire. Elle est appelée à retrouver ses véritables repères et ses réelles attaches en tant qu’espace sensible pour quitter cette orbite déviée sur laquelle elle a été propulsée, car l’éducation est la base d’une société saine quand l’histoire racontée aux plus jeunes se rapproche de la vérité, la vérité humaine et le fond des valeurs humaines. Il est dit que l’école, dans ses principes primordiaux, est un lieu d’éducation dont la noble mission est de former des citoyens éclairés capables d’un jugement critique. Elle ne peut être un simple instrument de justice sociale formelle ou une fabrique de résultats ajustés, auquel cas, elle s’écarte de son objectif majeur et perd le sens de sa fonction primordiale qui est l’instruction pour reprendre ce terme pertinent aujourd’hui effacé du lexique ambiant. Comme elle ne doit pas contribuer à la déshumanisation sous toutes ses acceptions du citoyen de demain. Alors, il est vital d’engager les véritables changements nécessaires à la réorientation profonde du système éducatif national vers ces objectifs nobles par des réformes de fond courageuses et décisives sur son corps, tout en cessant de s’abriter derrière des missions formelles d’annonces anodines de dates d’examens, de concours de recrutement et de leurs résultats, et que sais-je encore, diluant ainsi l’essentiel dans les actes accessoires et routiniers à caractère administratif et bureaucratique relevant plutôt d’organes centraux et locaux. L’école requiert la formalisation d’une ontologie, autrement dit un questionnement sur son être même pour voir comment fonctionne au réel la fabrique de la fonction intellectuelle et de la potentialisation de l’intelligence. Toutes ces dissonances qui la lacèrent tant dans sa gouvernance que dans les pratiques pédagogiques, l’exécution des programmes des enseignements et ses fondements philosophiques et idéologiques, doivent nous inciter à chercher à comprendre ce qui ne marche pas, l’échec et ses origines, les facteurs influents et aggravants. C’est de la critique et l’autocritique que naît toute forme d’amélioration et d’évolution positive. Dans tout système, il y a du bon et du mauvais, le tout est que le mauvais ne tourne pas au pire et l’emporte sur le bon. Une chose est sûre, si tout était bon, parce que les quantités y sont, on n’en serait pas là. On ne saurait caractériser, évaluer et apprécier un système éducatif que par des flux de données quantitatives qui, du reste, sont souvent incomplètes et le fait du processus de massification de l’éducation. Il est également d’usage d’interroger les variables qualitatives et là on décèlera que le système national de l’éducation est en souffrance dans toutes ses composantes, c’est même un truisme, une tautologie, parce que la qualité n’y est pas et l’on ne semble pas accepter le chemin qui mène vers cette variable essentielle. Il ne s’agit pas d’énoncer des réformes pour qu’elles y soient. Leurs promoteurs doivent être performatifs dans leurs actes pour qu’elles soient et amènent des résultats.
I. A. Z.

