Un phénomène porté par le laxisme

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Entre fatalité et choix délibéré, la mendicité fait des malheureux et des bienheureux.

La mendicité est un phénomène en pleine croissance. Aux quatre coins de la wilaya de Béjaïa, les rues, notamment commerçantes, grouillent de mendiants à longueur de journée. Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, des personnes âgées, des jeunes, des enfants, des femmes et même des nourrissons sont trimballés en quête d’argent ou de victuailles. Certains appellent ça «le gain facile». Cette situation peu reluisante d’une frange de la société algérienne nous renseigne, on ne peut mieux, sur le nombre important de ceux qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté dans l’Algérie de 2018. Ils sont de plus en plus nombreux, ces malheureux hommes et surtout femmes, à déambuler dans les quatre coins de la région pour demander l’aumône. Le plus curieux dans cette histoire c’est que la population peine à distinguer les vrais des faux mendiants. Les études quantitatives et macro-économiques menées depuis plusieurs décennies par les organisations internationales en Algérie sont des outils mal adaptés pour comprendre la réalité quotidienne d’un pays qui se meurt. Les transformations socio-économiques de la société algérienne, basculant vers la paupérisation démontrent amplement que beaucoup reste à faire tant sur le volet économique que sur le social. Ces dernières années, les pouvoirs publics semblent être dépassés par les événements, car aucune ville ni épargnée par la montée en puissance de la mendicité. La wilaya de Béjaïa n’échappe pas, elle aussi, à cette règle. Les quémandeurs sont omniprésents, agressant par d’incessantes demandes d’oboles les passants. C’est un fléau qui bat son plein dans les rues, cafétérias, restaurants, mosquées, hôpitaux, banques, bureaux de poste et même parfois du porte-à-porte. Plus bizarre encore, certains hommes sont bien habillés et en parfaite santé, pouvant facilement trouver un travail, mais visiblement ils y trouvent leurs bénéfices plus que dans toute autre activité. Pourtant, en 2012, un projet de loi a été élaboré afin de lutter contre la mendicité qui est en train de se «professionnaliser», constituant ainsi un réel danger pour ceux qui en sont victimes, notamment les enfants en bas âge et les personnes âgées, utilisés sans ménagement aucun à la seule fin du gain facile.

Une profession à part entière

Le phénomène de mendicité prend tellement de l’ampleur à telle enseigne que chaque coin de rue est squatté par cette frange de la société. Ces dernières années, les tribuns de la plèbe s’adonnent à cette pratique, devenue une profession à part entière pour certains d’entre eux. Le fléau de la mendicité touche pour ainsi dire des personnes de tout âge. Cet univers hétéroclite attise les adeptes du moindre effort à user de subterfuges et de stratégies machiavéliques pour soustraire ne serait-ce quelques centimes. Il n’y a pas d’âge pour mendier. Le phénomène a dépassé toute génération. Vieillard, jeune fille ou enfant, cela importe peu pour ceux qui tirent profit du phénomène. Comme partout en Algérie, à Béjaïa, le fléau de la mendicité a atteint des seuils intolérables. Devant la montée vertigineuse du taux de chômage et le déficit alarmant que connaît le pays en matière d’emploi, il reste peu de chance aux jeunes et encore moins aux pères de familles, remerciés pour la plus part, de dénicher un petit boulot salutaire en mesure de les arracher à l’endettement, au vol ou à la mendicité. Toutefois, le marchandage sentimental inquiète les sociologues de par le recours des mendiants à des procédés extra-social. Et pour cause, dans la mendicité, les acteurs sociaux opèrent de part et d’autre une forme de mise en scène puisque, selon notre enquête, nous pouvons y trouver tous les ingrédients d’un scénario comportant les ritualisations reconnues. En effet, le mendiant joue constamment à travers son discours et son apparence physique sur le sentiment de culpabilité qu’il peut provoquer. La fibre sentimentale est mise au-devant pour s’attirer la sympathie et la compassion des «philanthropes». Pour forcer la pitié et toucher la sensibilité des âmes, certains «professionnels» de la main tendue vont jusqu’à imaginer de pitoyables scénarios à jouer en public. D’autres n’hésitent pas à agripper chaque passant pour lui coller au nez une carte de handicapé ou un certificat médical et font dans l’improvisation pour raconter à qui veut bien écouter des histoires à dormir debout, le but étant de soutirer le maximum d’argent quand ils réussissent à faire avaler les couleuvres à leurs «proies». Les femmes et les jeunes filles sont les plus exposées au fléau du quémandage et celles qui hésitent de tendre la main pour une raison ou une autre se voient contraintes de plonger dans d’autres créneaux aussi vils et plus dangereux tels que la prostitution et ses dérivés. La mendicité est une «profession» qui rapporte, vraisemblablement, bien, voire même trop bien. Un business juteux qui se laisse s’organiser dans une économie souterraine florissante et aux ramifications multiples. Les mendiants s’ingénient souvent à gêner les âmes charitables pour les pousser à glisser la main dans la poche en usant et abusant d’une stratégie de marketing émotionnelle, avec au passage quelques effets spéciaux. Vêtus d’habits déchirés et sales, les pieds nus, la main tendue et tordue, l’air triste et dédaignable, la plupart des mendiants se font passer pour des handicapés, physiquement et mentalement, afin d’attendrir les passants. Le montant du jackpot varie également d’une machine à sous (l’âme charitable) à l’autre, mais en moyenne la bonne recette de «la manche» quotidienne oscille entre 2 000 et 4 000 DA. Car, c’est bel et bien de profession ignoble qu’il s’agisse. Les mendigots œuvrent souvent dans les coins les plus féconds, en termes de victimes potentielles. Le phénomène de la mendicité fait aujourd’hui partie du décor de toutes les rues et ruelles de Béjaïa ainsi que de celui des grandes villes du pays. Toutefois, en l’absence de statistiques fiables, il est difficile d’évaluer le phénomène de la mendicité dans ses justes proportions.

Bachir Djaider

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