Un témoin de la culture locale qui risque de disparaître

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Il est de ces métiers ancrés dans l’histoire et la tradition de la Kabylie profonde. Le tissage de burnous et de tapis traditionnels, une histoire de communion de la femme avec la nature transmise à travers les âges. Une histoire d’amour, dont nous livrent les secrets les tisseuses, à l’occasion du Festival du tapis d’Aït Hichem. «C’est un temps à ne pas mettre le nez dehors», comme on dit communément, qu’il faisait hier dans la ville des genêts, et la déception se lisait clairement sur les visages de ces femmes venues d’Aït Hichem, mais aussi d’ailleurs. Mais le hall de la Maison de la culture se remplissait au fur et à mesure, ce qui redonna vite le sourire aux participantes à la 9e édition du Festival du tapis d’Aït Hichem. De la grâce et de la beauté se dégageaient de chaque stand de l’exposition. Des femmes aux mains de fées livrent les secrets de la conception, de la réalisation et de la commercialisation des tapis et burnous traditionnels en ces temps d’industrialisation. Hammama Chetouani, une tisseuse originaire d’Aït Hichem, a réalisé l’exploit d’exporter ce métier artisanal dans la région de Ouaguenoun. Avec beaucoup de détermination, elle a appris le métier il y a 20 ans, malgré le refus de son père. Ses débuts, elle les a marqués dans un atelier à Ouaghzen, un des plus anciens dans la région d’Aïn El Hammam, fait-elle savoir. Elle garde encore dans la mémoire le souvenir des anciennes tisseuses de la région qui lui ont transmis le métier, Mme Mouhoub et Nna Taos Aït Abdeslam. Cette tapissière, aujourd’hui installée à Ouaguenoun après son mariage, craint la disparition du métier. «On n’a pas d’apprenties, j’ai affiché des avis d’offres partout dans la région de Ouaguenoun, aucune ne s’est présentée», déplore-t-elle. Cette artisane évoque également le problème de manque de matière première, travaillant notamment avec de la laine «industrielle», qu’elle se procure chez «les commerçants», notamment les détaillants, vu que, se plaint-elle, il n’y a pas d’espaces dédiés spécifiquement à l’approvisionnement en laine et coton dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Un état de fait qui a engendré une «rareté de la matière» et «sa cherté», souligne-t-elle. Quant à l’écoulement de la marchandise, «c’est une autre paire de manches», dira-t-elle. «Le manque d’espaces d’expositions, tels les Salon et les Foires, et le fait qu’ils soient payants, mis à part ce Festival, ne nous facilitent pas la tâche !», confie-t-elle. Juste à côté d’elle, une jeune dame, Fatima, la trentaine, est venue d’Assi Youcef. Pour celle-ci, le tissage est un héritage familial. Elle le fait avec sa sœur à la maison. Et chez cette famille, à défaut de la laine traditionnelle, qui incarne le choix d’excellence en la matière mais qui est introuvable sur le marché, dira-t-elle, on se rabat sur la laine industrielle. Et même celle-ci est trop chère, à 600 DA le kilo. Hammama et Fatima nous apprennent la signification des couleurs, des motifs et nous expliquent la différence entre les tapis des différentes régions. «L’histoire du burnous et du tapis est liée directement à la nature, au vécu de la femme kabyle et à son quotidien», disent-elles, «c’est un peu comme le tatouage». Si le tatoueur s’exprime sur la peau, «la tisseuse s’exprime sur de la laine et du coton». Le choix des couleurs et des motifs n’est pas anodin, «tout a un sens bien défini», que seules ces femmes aux mains de fées savent expliquer. Si le rouge exprime l’amour et le sang, le jaune sur les motifs d’un tapis exprime la maladie, la jalousie et le mal-être. Le vert, sans surprises, symbolise la nature. Le noir est synonyme de mort, de malheur et de tristesse, contrairement au blanc qui lui traduit le bonheur. «Le choix des couleurs dans le tapis suit une logique esthétique, un mariage de couleurs pour avoir des mosaïques harmonieuses. Parfois, c’est l’état d’esprit de la tisseuse qui est traduit». Les motifs subissent aussi la même logique, et là ce n’est pas tout le monde qui est au courant de la signification, même pas celles qui les réalisent. Ouakli Ferroudja, qui vient de Béni Douala, nous met dans la confidence : «Les Zig Zag en ligne signifient le long chemin emprunté jadis vers les lieux de pèlerinage. Les petits points rouges symbolisent les fleurs, l’arrivée du printemps. D’autres motifs symbolisent la ruche, les semailles du blé ou encore le dos du serpent..», dira-t-elle. Cette femme nous confiera exercer ce métier depuis une cinquantaine d’années, depuis l’âge de 14 ans. Elle utilise la laine de mouton qu’elle tend elle-même et transforme à travers plusieurs étapes pour avoir une laine de premier choix, prête à l’emploi. La laine se teint facilement et permet la création de tapis à points noués ou de tapis colorés à poils ras. Pour chaque tapis, l’ensemble du travail est réalisé à la main, en passant par le tri de la laine, le lavage, le cadrage et la filature. Notre tisseuse se charge elle-même de toute l’opération, de A à Z. «La première étape, c’est la préparation de la laine brute. Il faut la débarrasser de ses impuretés telles que les morceaux de pailles ou des saletés. Il convient par la suite de la sécher au soleil», nous explique-t-elle. Il faut ensuite laver la laine, afin de la dégraisser et d’en éliminer le suint, en la trempant dans de l’eau, puis la taper avec une planche en bois ou une branche d’arbre. La laine est ensuite rincée abondamment à l’eau. La laine est par la suite triée, afin de la rendre plus souple et plus facile à travailler. Les femmes utilisent pour cela un peigne, nous détaille notre interlocutrice. Le cardage de la laine se fait ensuite manuellement. Une fois le travail commencé, l’œuvre, nous informe-t-on, prend entre trois mois à six mois pour être ficelée. Le prix du tapis d’Aït Hichem varie entre 50 000 et 10 000 DA pour les grands formats, et entre 5 000 et 8 000DA pour les petits. Aadil, une sorte de tapis simple, coûte quant à lui 2 millions. La commercialisation et l’écoulement de la marchandise est un grand problème posé par la majorité des tisseuses. Mis à part les Foires et les commandes individuelles de particuliers, les tapissières n’ont pas d’espaces et d’occasions pour vendre leurs produits. Un problème qui demeure posé et auquel les autorités concernées ne parviennent pas à trouver des solutions. Ce qui menace de disparition ce métier artisanal, témoin de la culture locale. Seul l’amour que portent ces femmes au tapis d’Aït Hichem le maintient encore en vie, estime Mme Hamoud, une femme au foyer de la région qui tente de sauvegarder ce patrimoine depuis 38 ans. Pour cette dame, le Tapis d’Aït Hichem se distingue de celui des autres régions par son style, ses motifs et ses couleurs. Pour elle, et pour d’autres présents à la manifestation, il va de soi que ce tapis est «le meilleur à l’échelle nationale», malgré la concurrence des tapis de Ghardaïa et Khenchela, également présents au Festival.

Kamela Haddoum.

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