Boghni, mardi 11 mars 2006 à 10 heures, les transporteurs de la ligne Boghni-Bounouh n’attendent pas cinq minutes pour être remplis et démarrer. Un fourgon de 18 places est envahi par un groupe de filles et deux vieilles femmes, dans une tenue de fête, destination la zaouia de Sidi Abderrahmane. La nouvelle route par Ighil Amrane monte de plus en plus, jusqu’à donner le vertige, au milieu d’oliveraies interminables. La circulation est très dense dans ce sens, des véhicules de toutes immatriculations. Depuis le carrefour Bounouh-Frikat déjà, des filles, des femmes et des enfants se poursuivent, parfois seuls ou accompagnés des hommes. Même si c’est une fête religieuse, visiter Bounouh nous est impossible sans penser à Moh Saïd ou Belaïd, Farid Ali, que Dieu ait leurs âmes, et Oukil Amar à qui on souhaite longue vie. Ce dernier, d’ailleurs, habite à quelques encablures de ce carrefour. La route monte encore et nonobstant l’état du bitume jusqu’à ce niveau, correct, elle est sinueuse et étroite. Sur les bordures, le jaune des genêts se mêle au vert des oliviers pour former les couleurs de la JSK, on comprend vite pourquoi Moh Saïd ou Bélaïd avait chanté la JSK dans son titre-phare : “Ay itbir siwedasen slam”.A l’entrée du chef-lieu, c’est plutôt Farid Ali, accompagné de Matoub qui nous accompagnent avec leurs sourires. A quelques pas de là, le siège de l’APC est grouillant de monde et n’a rien d’un jour férié. Au contraire, le maire, M. Makhlouf, tout son staff et personnel administratif sont mobilisés à attendre la délégation de l’APC de Sidi M’hamed d’Alger. Le maire nous accueille avec sourire, après avoir été averti de notre visite. Vers onze heures trente, les hôtes algérois arrivent au grand complet. Le président d’APC, ses adjoints, le secrétaire général, les représentants des moudjahidine, du mouvement associatif, et des travailleurs sont bien accueillis par M. Makhlouf et son staff. Après une allocution d’ouverture et d’accueil, il invite ses invités à une collation, où des limonades, du thé et des gâteaux ont été servis. Le président de la municipalité remet à son homologue algérois, M. Bourouina Mokhtar, un livre de coran et un cadeau symbolique, où est rédigé un texte d’hommage et de remerciements. Pour rappel, la délégation de Sidi M’hamed est à sa deuxième visite dans la commune de Bounouh, d’où un jumelage qui vient d’être arrangé entre les deux communes. Pour ouvrir le bal de ce lien, l’APC de Sidi M’hamed a eu la généreuse idée de prendre en charge une cinquante de meilleurs élèves de Bounouh pendant quatre jours, où ils ont eu à séjourner à Staoueli et visiter plusieurs sites, tels que le parc zoologique et autres.Abondant dans ce sujet de partenariat, M. Bourouina estime que ces visites sont une opportunité pour la prospection, d’où des priorités pourront être dégagées. “Nous devront cultiver l’esprit de la solidarité intercommunale ; c’est pour cela que des représentants d’association sont là, pour tenter de nouer des liens, et travailler en collaboration avec des organismes similaires locaux”.Vers midi, et après un petit tour, dans le chef-lieu, la délégation algéroise et les journalistes ont pris le chemin de la zaouia de Sidi Abderrahmane à quelques lieues du siège de l’APC. C’est là que nous attendaient des milliers de personnes, soient-ils originaires de Bounouh, ou venus d’autres horizons. Un comité d’accueil et un comité d’organisation ont été mis sur pied et veillent au grain. C’est là que nous attendait également, M. Lounis Med Saïd, qui avait mille yeux pour surveiller tout ce qui bougeait sans rien râter. Le président de la coordination de comités de villages de la commune, principal organisateur en collaboration avec l’APC, les notables, Lekhwann”, les responsables de la société civile, les responsables locaux et ceux des APC environnantes étaient présents avec un accueil chaleureux, qui n’a pas laissé indifférents les hôtes de la commune. Ce qui fait dire à M. Bourouina qu’il est très honoré et très touché par cet accueil et cette organisation.
Zzyara avant toutA l’entré du mausolée, un groupe de notables, âgés bien sûr, reçoivent “lwaada”, donnent “daâwa lkhir” et souhaitent que nos vœux soient exhausés. A l’intérieur de la zaouia, et après avoir traversé une immense salle pleine de femmes, le tombeau du Saint s’impose au milieu d’une autre salle, tout couvert de plusieurs tissus en soie flambant neuf, sur lesquels est brodé son nom en arabe. Et si le tombeau du Saint est bien à Bounouh, son village natal, un autre est dans la commune de Sidi M’hamed à Alger, d’où d’ailleurs l’appellation. A cet effet, le premier vice-président de cette APC, M. Boudebbi nous informe qu’un colloque sera organisé sur ce Saint homme dans les prochains jours, pour mieux le faire connaître, et cerner son savoir et son parcours. Selon notre interlocuteur, il aurait vécu au 18e siècle, à Bounouh, d’abord, où il est né et étudié le coran avant d’atterrir à El Azhar, Egypte, pour poursuivre ses études. Après 25 ans d’études et de recherches en théologie, il se retrouve au Soudan où il enseigna. Il crée sa méthode (Tariqa) rahmania, d’où son nom Sidi Abderrahmane El Gechtuli Al Azhari. Il développe sa méthode et s’établit de nouveau entre Alger et Bounouh, où il installe sa confrérie jusqu’à sa mort; et l’histoire de sa mort n’est pas inconnue, où les Algérois et ses disciples à Bounouh et la région se disputaient la dépouille jusqu’à la mystérieuse doublure de la tombe. Ce qui lui valut le surnom de “Bouqebrine”.
Don exemplaireM. Aïssat Youcef, membre de la coordination des comités de village nous apprend que tout ce qui a été offert au déjeuner aux invités d’honneurs et les milliers de visiteurs est le don d’une personne, un industriel, originaire de Bounouh. Mieux, ce donneur a préféré taire son identité, considérant que ce geste n’est complet que si l’auteur est anonyme. Une initiative louable et prouve que la bienfaisance est toujours de ce monde. Sur la table, du couscous, de la viande à volonté, le lait de vache, les fruits (pommes et bananes), yaourts et limonade. Un confrère n’a pas pu terminer son assiette, vu la fragilité de son estomac, peut être. M. Aïssat nous précise que deux veaux et quatre moutons ont été sacrifiés, offerts par le donateur. De son côté, M. Lounis, président de la coordination des comités de village nous confirme que le nombre de visiteurs de cette journée avoisine les douze mille personnes. Tout âges confondus, en s’appuyant -méthode de travail oblige-sur le nombre de morceaux de viande servis, à défaut de compter les visiteurs. Un chiffre qui donne le tournis. Et quand on sait que tout ce monde mange à volonté, on ne peut s’empêcher de tirer chapeau aux organisateurs car faire manger tout ce beau monde n’est pas seulement du côté quantité, mais dans la manière d’organiser le dîner et surtout le temps qu’il faut.Il est utile de rappeler que la célébration de cette fête religieuse a été suspendue quelques années avant de reprendre l’année dernière, sur appel d’un membre de “Lekhwan” de cette confrérie. Un comité d’organisation a été mis sur pied pour la prise en charge de cet événement. La délégation algéroise et nous, avons été accompagnés à la sortie de la zaouia par des chants religieux évoquant le saint cheikh.Il est 14 heures passées, la pluie fine tombe encore, ce qui est de bon augure puisque la sécheresse s’est installée depuis des semaines déjà. C’est impossible de se frayer un chemin, plus de 30 min coincés dans les véhicules de la délégation pour que le chemin se dégage avec le concours des services de sécurité.Les pétards explosent entre les pieds des visiteurs et les roues des véhicules.Dernière escale à l’APC, le président de l’APC, Makhlouf, remercie tout le monde pour cette visite, et nous prenons le chemin vers Boghni où je salue les hôtes de Sidi M’hamed et les confrères venus avec nous. Au téléphone, M. Lounis, n’ayant pas eu le temps de discuter longtemps avec nous, auparavant, me rappelle pour insister à remercier la population qui a contribué à la réussite de cette manifestation, ainsi que tous les visiteurs. Avant de nous quitter, les responsables de l’APC de Sidi M’hamed se disent très contents de cette visite. Pour Boudebouz, premier Vice-président, “l’accueil nous a frappés et la population nous a charmés avec son respect des traditions. Il faut faire un pont entre les deux populations et les deux communes”. Pour son collègue, Oudahmane : “C’est une occasion pour se ressourcer et faire des échanges. C’est également, une chance pour sortir cet saint homme de l’anonymat pour les jeunes générations. La journée a été riche en enseignements et la curiosité va être continue”. Et leurs véhicules démarrent en direction d’Alger en me laissant à Boghni.
Salem Amrane