La crainte de la déclaration d’un nouveau foyer de typhoïde taraude, nuit et jours les esprits des villageois de Betrouna, un douar sis à quelques encablures du chef lieu de la commune. Seize ans après, Ali Belabes, un membre actif du comité de village se souvient de cette journée fatidique, lorsqu’en 1990, l’école primaire de Tassadort s’est muée en une véritable clinique pour accueillir les centaines de malades.«Ce jour là on a recensé, pas moins de 750 cas», dira t-il, «le village était dépassé par l’ampleur de l’épidémie. C’était tragique comme scène».Ämmi Ali comme l’aime à le surnommer ses amis, la cinquantaine dépassée est ce genre d’hommes qui n’abdique pas devant les difficultés. «En Kabylie chaque village à son militaire, et je suis le militaire de mon village». il n’a à aucun moment baissé les bras pour interpeller les autorités que les siens encourent.A bord du véhicule, notre compagnon ne cesse de nous rappeler sur les risques d’un nouveau foyer si les autorités n’agissent pas dans les meilleurs délais pour entreprendre les travaux. «Les mêmes causes aboutissent aux mêmes effets»,dira-t-il avant d’ajouter que la cause est l’éclatement de plusieurs conduites d’eau usées et d’eau potable. L’objet de notre visite, nous l’avons compris plus tard, ce n’était pas d’admirer les sites panoramiques d’un douar composé de dix huit villages mais : Une quête d’un assainissement défectueux.En raison des travaux engagés par une société canadienne pour la réalisation d’un tunnel, nous étions contraints comme tous les villageois de passer par Tirmitine pour déboucher sur le premier village de Betrouna. Notre compagnon n’omet jamais, durant notre parcours, de désigner ce qu’il qualifie de points noirs : là où les égouts coulent à ciel ouvert.A «Taddart Oufella», un autre village du douar, l’assainissement laisse à désirer. Sur le chemin sinueux que nous parcourons délicatement et sur une distance de 50 mètres, nous avons recensé, pas moins de six fuites. L’eau qui courle à flots passe parfois par des décharges d’ordures ménagères. Cette eau qui se perd provient de l’adduction principale du château Mezdata qui dessert les communes Maatkas,Tirmitine et le douar de Betrouna. En deux heures de temps, nous avions acquis un réflexe pavlovien que nous répétions souvent. A chaque halte nous descendons du véhicule et c’était soit une conduite d’eau potable éclatée ou un rejet d’eaux usées qui «desservent magistralement» les chemins vicinaux des villages. “Le plus grand danger n’est qu’à quelques kilomètres : c’est au village Tassadort”, clame Ammi Ali. Considéré comme l’un des plus grand villages du Douar,Tassadort est réputé aussi pour contenir l’une des plus grande stations d’eau qui dessert quatre daïras. «Je me souviens, le foyer de typhoïde a commencé ici, à quelque dizaines de mètres de la station», affirme notre guide, qui sur un coup de colère se précipite vers les endroits qu’il considère très dangereux.En effet, le site que nous avons visité en compagnie d’un représentant du comité du village laisse plus d’un perplexe. Dans un lieu bien apparent, deux conduites, l’une d’eaux usées et l’autre d’eau potable, alimentant Beni Zmenzer sont entreposées l’une sur l’autre. “Vous n’imaginez pas, s’il y a un éclatement, quelles en seront les conséquences ?”, s’interroge-t-il. Sur un autre emplacement, c’est la conduite principale alimentant la station, qui est complètement dégoudronnée, alors qu’elle traverse l’Oued, pollué sûrement par les rejets d’eaux usées et les détritus. Un petit CEM pour 18 villages Les villageois sont également préoccupés par l’inexistence d’infrastructures scolaires pour ses collégiens. Le seul édifice existant est une sorte d’annexe qui ne peut contenir que deux cents élèves. La majorité des potaches est contrainte de parcourir quotidiennement une vingtaine de kilomètres pour continuer les études moyennes et secondaires. “Faites la comptabilité pour un père qui a quatre enfants scolarisés, il sera accablé en fin mois de mois par les dépenses de transport», argue-t-il. L’APC n’a mis à la disposition des élèves qu’un seul bus pour 300 collégiens, “le transport revient très cher”, nous lança un enseignant qui vient juste de terminer son cours.Faute d’infrastructure, les filles sont obligées de rester à la maison et de ne pas rêver d’accéder aux études supérieures. “Il n’y a que des promesses sans lendemain”,s’insurge Ammi Ali. En 1993, la population a dégagé un terrain pour la construction d’un CEM. Treize ans après, le lot reste toujours désert, si ce n’est quelques poteaux,tels des vestiges qui témoignent d’une tentative avortée. “Nous savons qu’il y avait une enveloppe de quatre milliards de centimes qui a été dégagée. Les travaux ont été arrêtés brusquement, après avoir consommé 500 millions de centimes”, soutient l’orateur avant de soupirer longuement pour dire : “Puis c’est le silence-radio”. Au village Kamouda, en auscultant le même secteur, c’est à dire l’éducateur, le constat est lamentable. L’école primaire de ce village construite en 1967, n’a bénéficié d’aucun réaménagement. A l‘intérieur des classes une odeur nauséabonde se dégage. Les conduites d’eau usées installées faussement à l’intérieur des classes et l’état lamentable de l‘étanchéité, dégage une de ces odeurs nauséabondes qui coupent la respiration et rend la tâche du savoir pénible pour les chérubins. Les logements d’astreinte ne sont pas également épargnés.A l’entrée de l’école, un monticule de détritus «vous accueille», attestant de l’incurie des responsables, face à une tâche aussi commode.Le problème de l’étanchéité n’a épargné, semble-t-il, aucune infrastructure. Le tout petit dispensaire, qui s’érige en une baraque construite en béton, mais bien aménagé en souffre également. 14 h passées, le dispensaire est toujours fermé. “C’est toujours comme çà“,affirme notre compagnon. Mais pour illustrer l’état lamentable de l’imperméabilité de ce lieu il dira : “Il faut toujours porter avec lui un parapluie pour entrer à l’intérieur du dispensaire”. A proximité de cette unité sanitaire, un abribus reste l’endroit préféré pour les jeunes de ce village pour s’évader d’une réalité, ô combien amère, en consommant des psychotropes. Mais ceci aussi est une autre épidémie qu’il faut combattre.
M.Ait Frawsen
