De notre envoyé spécial à Oran Aomar Mohellebi
L’homme de soixante ans arrive. Vêtu comme un Kabyle des montagnes, c’est-à-dire modestement, il nous cherche des yeux. Nos regards se croisent. Youcef Dris a une barbe de trois jours. Il est toujours agréable de discuter avec un écrivain qui a fait l’ancienne école, qui est humble et qui est originaire de la même région : Tizi Ouzou. Avec Youcef Dris, le ravissement est encore plus grand car il expose sa vie comme on consignerait un roman. Sa vie est déjà un roman. Emaillée d’afflictions, ce sont ces dernières qui l’ont poussé à rédiger son premier roman : Les Amants de Padovani. Mais avant d’en arriver là, Youcef Dris raconte son enfance dans l’un des plus anciens quartiers de la ville de Tizi Ouzou.
Une enfance à Aïn HalloufEn contant sa jeunesse à Tizi Ouzou, notre interlocuteur se souvient de tout. Youcef Dris qui a signé plusieurs livres dont Affaires criminelles (Edition ENAG) ainsi qu’un conte intitulé Awtul et un livre sur les évènements du 17 octobre, qui paraîtra bientôt, est né le 25 octobre 1945 à Aïn Hallouf. Il se souvient même de l’adresse de leur maison à Tizi Ouzou : Rue O, N° 3. Actuellement, l’endroit s’appelle Rue Djarane Hamid. Djarane Hamid est un parent à Dris. C’est sur cette place que se trouvait la salle de judo de la JSK. «J’ai un cousin qui y habite toujours, il gère une agence immobilière», nous confie-t-il. Youcef Dris a fait l’école primaire Jean-Maire de Tizi (voir photo). Au lycée, il a côtoyé les frères Oussedik, dont l’un est ancien wali à Annaba, Ahmed Fattani, directeur du journal L’Expression, l’écrivain Mouloud Achour, Rabah Afredj, directeur du journal L’Evénement qui ne paraît plus. Il y avait aussi Smail Karamani, ancien avant-centre de la JSK. «En 1964, Tizi Ouzou avait obtenu la Coupe d’Algérie scolaire juniors. J’étais le seul de l’équipe qui ne jouait pas à la JSK. Nous avons battu en finale Mascara avec trois buts à un. C’était au stade de Zabana», raconte Youcef Dris. Toujours du temps où il vivait dans la ville des Genêts, il a été arrêté parce qu’il avait manifesté avec le drapeau algérien le 11 septembre 1960. A l’époque, comme loisirs, il y avait les scouts. La troupe de Tizi Ouzou s’appelait “El Hillal”. Son père était horloger à la rue de la Paix (voir photo). Il gagnait modestement et dignement son pain. Un jour, sur un coup de tête, le chef de famille décide de vendre tout et d’aller s’installer à Alger.
Décès du père et interruption des étudesLa famille Dris habite à Alger. Nous sommes en 1964. En 1965, Dris obtient son baccalauréat en droit. Il accède à l’université. Le père décède en 1966. Le futur écrivain est contraint d’interrompre ses études. Il a 21 ans. De 1966 à1969 il est inspecteur de douanes. Il se marie durant cette période. Il rejoint un bureau d’étude français (Safeg) en tant que gestionnaire jusqu’en 1972. Puis DAG à l’ONALAIT. En parallèle, il commence l’écriture en publiant plusieurs nouvelles à El Moudjahid dont le chef de la rubrique culturelle n’est autre que l’écrivain et ancien camarade de classe, Mouloud Achour. Jusqu’en 1984, la vie de Youcef Dris est douce. L’homme réalise des succès professionnels même si son rêve d’enfance était de devenir avocat. Il ne le réalisera jamais mais il fera mieux. En attendant, il doit endurer des jours très difficiles.
«Je voyais Jacques Chirac chaque jour»En 1984, Jacques Chirac est maire de Paris. Il fait un accident en compagnie de son chauffeur. Le futur président est hospitalisé puis admis à la maison de rééducation de la Châtaigneraie. Youcef Dris tombe malade à la même période. Pour se soigner, il part en France. Il se trouve dans le même centre de rééducation que Chirac. Les deux hommes ont un ami commun : le Dr. Heuleu, directeur de la clinique. Grâce à ce dernier, Youcef Dris a accès à la chambre de Chirac. Pendant un mois, le président de la République française et le Kabyle de Aïn Hallouf se voient tous les jours. Ils discutent de tout. Jacques Chirac lui dédicace son livre Les lueurs de l’espérance. Le livre traite du Gaullisme. En guise de dédicace, le Président écrit à Youcef Dris : «A mon compagnon d’infortune provisoire». «A l’époque, il ambitionnait de devenir chef d’Etat. A ce jour, nous nous écrivons régulièrement. Je lui ai envoyé mon roman Les Amants de Padovani. La dernière carte qu’il m’a envoyé, est datée de janvier 2006», explique notre interlocuteur, en exhibant un paquet de correspondances avec monsieur le Président.
De la souffrance jaillit la lumièreDurant cette période, Youcef Dris souffre énormément. La maladie le terrasse. Il l’aurait hérité de son père paralysé à l’âge de 23 ans. Il subit des opérations chirurgicales. En 1985, on lui fait une prothèse de roche. Rééducation. Convalescence, solitude et écriture. Avant de passer à l’action, Youcef Dris commence par un travail plus noble. En 1993, il s’occupe de l’Association des enfants abandonnés d’Alger. «Nous avons placé plus de mille bébés dans des familles d’accueil dans le cadre de la Kafala. L’association active toujours», précise Youcef Dris. Avant cela, il avait ouvert, à Tizi Ouzou, une boite de mécanographie (réparation de machines à écrire). L’appel de le la plume se fait de plus en plus sentir. Notre auteur écrit des poèmes qu’il publie dans un recueil intitulé Grisailles (Editions Fennec). Youcef cède tous ses droits à l’association des enfants abandonnés. Youcef Dris part à Oran en 1996. Là, il voue tout son temps à l’écriture. D’abord dans la presse. Il travaille à l’hebdomadaire Détective comme journaliste et correcteur. Il y publie des nouvelles littéraires. Il passe à Ouest tribune. Il est directeur de Côte Ouest. En 2000, il lance Hebdorama avec Slimane Bensayah. Le journal cesse de paraître au bout de deux ans.Arrive le moment où il se met à la rédaction du roman qui lui tient à cœur depuis longtemps : Les Amants de Padovani. Une histoire vraie et fantastique sur laquelle nous ne dirons rien sauf peut-être une chose : L’auteur se rend au Salon du livre à Alger en 2003. Il tombe sur le stand d’une maison d’édition, Dalimens. Il remet son manuscrit à l’éditrice. Celle-ci lui promet de le lire et de l’appeler pour lui rendre la réponse. Quand elle commence la lecture, elle n’arrête pas, nuit blanche, au matin, Youcef Dris reçoit un coup de fil. Son éditrice l’informe que son livre est retenu. Comment peut-on écrire un roman pareil ? Réponse de Dris : «Après ma maladie, je me mettais dans une nébuleuse. Je fuyais tout ce qui était autour de moi. Je suis devenu solitaire. Il ne me restait que l’écriture comme exutoire». Ce roman est sorti à l’occasion du Salon du livre de Paris en 2004. Les Pieds-noirs ont particulièrement été intéressés par cet ouvrage. Dans un autre livre Affaires criminelles, Dris raconte 50 histoires vraies, inspirées de son expérience dans la couverture des procès aux tribunaux. Il vient d’achever une biographie sur un géant de la chanson châabi. Un autre livre intitulé Les harkis de Maurice Papon est déposé chez un éditeur. Youcef Dris vit depuis dix ans à Oran. Pour se ressourcer, il va régulièrement à Tizi Ouzou. Il reste souvent dans sa maison au quatrième étage de la rue Ben Mhidi. Il ne fait plus que lire et écrire. Actuellement, il lit Da Vinci code de Dan Brown. Son Livre de chevet ? Les fleurs du mal. Un mal que Youcef Dris a vaincu en écrivant.
A. M.
