(1re partie)
« Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif anechth ousarou. » (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).Ouin moumi imouth vava-sOur-s irouh’ ouiraOuin moumi themouth yemma-sOur-sed igri ouiraC’est par ce proverbe kabyle très significatif qui veut dire que celui qui a perdu son père n’a rien perdu, mais celui qui a perdu sa mère a tout perdu, que nous commençons notre conte d’aujourd’hui qui met en scène un père très faible aux prises avec une femme très méchante. Mais, commençons par le commencement. Il était une fois, il y a très longtemps de cela, un homme marié à une femme. Le couple avait le désir ardent d’avoir des enfants mâles, mais la Providence ne leur a donné que des femelles. A chaque naissance leur espoir est déçu. Les filles se suivent et s’alignent l’une derrière l’autre jusqu’au nombre de sept. Quand la cadette eut sept ans, un malheur vient frapper à la porte de la grande famille. La mère décède sans crier gare des suites d’une longue maladie. Resté seul avec ses sept filles, le pauvre père ne sait plus à quel saint se vouer. Encouragé par des amis, il décide de se remarier. Il prend pour nouvelle femme, une beauté beaucoup plus jeune que lui. Les premiers mois se passent sans incidents, mais peu à peu, voyant qu’elle avait beaucoup d’ascendant sur son mari, elle exige de lui de se débarrasser de toutes ses filles. S’il veut des enfants, elle va lui en donner, il est donc inutile de s’encombrer de bouches à nourrir. Le pauvre père a beau essayer de la raisonner. Elle est réfractaire à tout compromis. Le sachant incapable de lui résister, elle menace de le quitter, si dans la journée même il ne se débarrasse pas de ses filles. Elle lui dit en la présence de sa fille cadette qui jouait à proximité :- Emmène-les tout de suite dans la forêt, et abandonne-les ! La cadette qui avait tout entendu et espiègle qu’elle était, met à dessein dans son « âboune » (corsage formé par la robe nouée à la ceinture) des noyaux d’olives (ighssan ou zemmour). Après avoir supplié sa femme en vain, le pauvre père les appelle toutes et leur dit qu’il faut qu’elles le suivent dans la forêt pour ramasser du bois mort. Elles partent avec lui sans rechigner. La cadette reste à la traîne, et sème les noyaux d’olives le long du trajet emprunté. Prenant des détours connus de lui, le père se retrouve en plein milieu de la forêt. Quand il juge le moment opportun, il s’enfonce dans un fourré pour, dit-il, se soulager, mais en réalité il s’éclipse en douce et retourne chez lui. Ses filles s’affairent à ramasser du bois mort, jusqu’à en faire chacune un fagot à l’exception de la cadette. Le père pense que de cette façon, elles se perdront dans la forêt et se feront dévorer par les bêtes sauvages qui ne tarderont pas à se manifester dès la tombée de la nuit.Quand les fagots sont prêts, elles appellent en chœur leur père, mais sans succès. C’est alors que la cadette leur dit :- Vavath nagh idjayat nagh(Notre père nous a abandonnées !). Ça ne sert à rien de l’appeler ou de se lamenter, il a obéi à un plan ourdi par sa maudite femme !Elle l’a ensorcelé ! Mais ne vous en faites pas mes sœurs, nous allons retourner toutes à la maison !- Comment ferons-nous ?- Nous allons suivre « ighassan ou zemmour » que j’ai semés tout au long du trajet. Nous retrouverons facilement le chemin du retour. Suivez-moi mais sans vos fagots, sinon ils vont nous retarder dans notre progression. Les grandes sœurs remercient chaleureusement leur petite sœur, l’enlacent, l’embrassent et louent son génie. Elles prennent le chemin du retour. Avant qu’il ne fasse nuit, elles tapent à la porte de leur chaumière. En ouvrant la porte, le mère ne sait plus ou se mettre. Il aurait aimé être englouti par la terre, qu’affronter les regards hagards de ses filles. Il les fait entrer et leur demande de se taire. Cette nuit-là, sa femme le boude et marmonne à son encontre des menaces à peine voilées. N’eut été la présence des filles, elle l’aurait étripé. Elle passe une nuit blanche et attend le lever du jour et le départ des filles aux champs pour faire éclater toute sa colère.- Espèce de bon à rien ! Espèce d’incapable ! Espèce d’abruti ! Tu l’as fait exprès, tu ne voulais pas vraiment t’en débarrasser. Tu te moques de moi. Je vais te quitter, je vais épouser un autre mari ! – Ecoute-moi, je t’en supplie ! Je ne sais pas ce qui s’est passé mais je n’y suis pour rien. Pardonne-moi, ma chérie ! La prochaine fois je te jure qu’elles ne reviendront plus t’importuner ! Pardonne-moi, je t’en conjure ! Pardonne-moi cette fois-ci. – D’accord mais si tu échoues une seconde fois, c’est fini pour toi ! Je retournerai chez moi ! J’épouserai un plus jeune que toi ! Après avoir calmé ses nerfs sur son flegmatique mari, la marâtre réfléchit au moyen de se débarrasser définitivement des filles.
Benrejdal Lounes (A suivre)
