Métaphore, métonymie et dénomination

Partager

Si la métonymie et la métaphore sont connues comme des figures de style, dont la poésie et le langage quotidien font largement usage, ils sont aussi des procédés de formation lexicale.

La métaphore et la métonymie comme procédés d’expressionLa métaphore et la métonymie sont des figures de style qui relèvent de la polysémie, c’est-à-dire de la multiplication de sens :-La métaphore se définit comme le transfert d’un objet à un autre, en raison d’une analogie de sens, réelle ou supposée (rapports paradigmatiques ou de similarité dans la terminologie de R. Jakobson,). Ainsi, quand on dit, en kabyle, d izem, c’est un lion, en parlant d’un brave, on transfère les signification de ‘’lion’’, c’est-à-dire ‘’force, courage, témérité’’ sur l’être auquel on le compare.-La métonymie consiste à utiliser un terme pour désigner un autre auquel il est lié par un rapport d’appartenance ou de contiguïté (rapports syntagmatiques ou de contiguïté chez Jakobson, (ibidem). Ainsi, ixef, en berbère, au propre ‘’tête’’ pour désigner la vie, un animal, plus particulièrement le mouton (cf français : tête de bétail) etc.

La métaphore et la métonymie comme procédés de dénominationIl s’agit là de procédés de style ou, pour reprendre l’appellation traditionnelle, de deux procédés de rhétorique, autrement dit de moyens d’expression que l’usager choisit pour s’exprimer. La poésie, on le sait, use abondamment de ces figures, notamment la métaphore et le langage quotidien, dans toutes les langues, fourmille de métaphores et de métonymies.Mais il arrive que ces procédés cessent d’être des faits individuels pour devenir des moyens de dénomination. Ainsi, en tamazight du Maroc central, abaw, au propre « fève », signifie aussi « personne de petite taille » : la personne est ainsi appelée en raison d’une analogie établie entre sa taille et celle de la fève. En kabyle, aberkan « noir, de couleur noire » est la dénomination de l’homme de couleur noire : la dénomination repose sur un rapport de contiguïté, la couleur de la peau fournissant la dénomination de la personne. Il est vrai que beaucoup de parlers kabyles recourent à un autre terme, akli, dont l’origine méthonymique paraît moins évidente, mais comme le mot désigne au propre l’esclave, de couleur ou non, on assiste au même transfert de sens. : c’est parce que les hommes de couleur ont souvent été esclaves ou tributaires dans la société kabyle ancienne que ce nom leur a été donné.Le processus de lexicalisation de métaphores est courant dans tous les dialectes berbères et fournit des dénominations à différents champs lexicaux. Par exemple :Tawenza « mèche frontale, parfois front » et dans quelques dialectes (K, Chl…) « destin, prédestinée, chance « -tasa « foie » et « affection, tendresse, pitié, et plus particulièrement, amour maternel » (Kabyle, Maroc central, Chleuh, Chaoui…)-ixef « tête » et  » mouton  » (Kabyle, Maroc central)-tiî « œil » et « source » (Chleuh, Maroc central)-tisent  » sel  » et  » charme, joliesse  » (Maroc central, Chleuh etc.)-afus « main » et « complicité » (Kabyle)-afer « aile d’oiseau » et « pan de vêtement » (Mozabite)-nnegh « tuer » et « accabler » (Touareg, Mozabite, Wargli, Kabyle, Maroc central), etc.La part de la métonymie dans la formation du vocabulaire est encore plus importante. En effet, ne créant aucune relation nouvelle entre les termes qu’elle associe, comme c’est le cas dans la métaphore où l’on doit poser l’éxistence d’une analogie, elle se contente de « donner à un objet qui n’a pas de nom (…) le nom d’un objet qui est étroitement en relation avec lui. » Exemples :-afus « main » et « anse » (Touareg, Maroc central, Chleuh, Kabyle, Chaoui etc.)-amezz’ugh « oreille » et « ouïe » (Kabyle)-tamlalt « gazelle » (Maroc central), amellal « antilope addax » (Touareg), de mlul, imlal « être blanc »-takka « poussière de grain » et « argent, monnaie » (Maroc central)-tasghart « bois » et « tirage au sort » (Kabyle), sans doute par référence au procédé de tirage au sort par courte paille ( cf Ghadamsi : ilu « sort » et tilu « palme, branche de palmier » et Maroc central : ili « sort » et « bûchette, brin de paille pour tirer au sort », ala « branche avec feuille, rameau »).Si dans ces cas, le sens premier du mot est conservé, il ne l’est pas dans d’autres : il faut recourir alors à la comparaison interdialectale pour le retrouver. C’est le cas, en kabyle, de amur qui désigne la « part échue lors d’un tirage au sort ». Le mot est peut-être le même que le touareg amur « flèche », le tirage au sort dont il est question devant s’effectuer au moyen de fléchettes, procédé de divination universellement connu.Au Maroc central, le mot désigne la protection accordée à l’hôte ou à l’étranger de passage.Plusieurs coutumes, institutions et rites berbères sont dénommés au moyen de méthonymies lexicalisées. Ainsi :-anz’ar « rogations de la pluie » (Maroc central : anz’ar « pluie ») (Kabyle)-ad’ad’ « doigt » et  » droit pour le mari trompé d’interdire à sa femme, en la répudiant, de se marier avec son amant » (Maroc central) (droit dénommé ainsi, sans doute parce que, à l’origine, le mari montrait la coupable du doigt)-tighse « chèvre » et « personne coupable d’un assassinat et poursuivie par la famille de sa victime, devenant à son tour une victime, la famille ayant le droit de se le faire livrer et de le mettre à mort » (To) Les métaphores et les métonymies lexicalisées participent ainsi à l’enrichissement du vocabulaire. La procédure est d’autant plus aisée qu’elle ne requiert aucune transformation formelle.A l’exception des cas où le mot subit une mutation sémantique (cas de awragh en néfousi) et des cas où il se détache de sa série morphologique et fonctionne en totale autonomie (cas de argaz dans les dialectes du Nord), l’unité lexicale reste, le plus souvent, attachée à sa base. Il est vrai que le mot ne garde pas toujours le même sens d’un dialecte à un autre et que certains, signifiés par le jeu de l’élargissement ou du rétrécissement de sens, peuvent masquer le sens commun, mais il est souvent possible d’établir, à travers les dialectes, l’identité des mots. Ceci assure au fonds berbère commun une permanence que ni le fractionnement des dialectes, ni l’éparpillement des locuteurs sur une aire qui n’est plus depuis longtemps homogène ne remet en cause.

M.A. Haddadou

Partager