A Tarwa L’hif, de Matoub Lounès (1986)

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1-Elles se vantent et parlent trop Certaines personnes De changer de ganse au pays Les cachots se fermeraient Ou, mieux, elles les détruiraient. Et dissiperaient les nuées d’hiver. Ces gens ont juré bien Qu’ils atteindraient leurs desseins ; Ils enlèveraient l’œuf enfin Sans que la perdrix s’envole Ô vous, enfants de la misère, Les figues naîtraient-elles de la gadoue !?

2-Ces hommes sont pleins de bon sens ; Celui qui les écoute Couchera dans un lit de peines. Qui les fuira Après les avoir connus, Sera vu comme poltron. La laine qui est blanche,Si elle était portée par des lions Et non par des brebis, Rares seraient ceux qui en porteraient la tunique. 3- Il est certaines personnes Quand de toi ont besoin, T’accueillent par un sourire. Elles te flattent et te soumettent Comme c’est mon cas à présent. On t’affuble d’une vaillance apocryphe Qui te fera oublier la peur. Si par malheur tu te fâches On te fera tambour et trompetteEt dira de toi que tu es impur 4- Consolez-vous, chers parents, Puisque la vague du temps M’a ravi à vous. Ceux-là que nous supposions instruits, Une belle fraternité, Aujourd’hui me mettent à l’index. Ils se sont concertés sur mon nom À le souiller pour de bon Qui l’entendra frémira. Ainsi, la vie m’a réservé Une place parmi les chiens Qui me dévoreront à leur faim. 5- Ô vous père et mère !À vous je ne ressemble guèreAutrement aujourd’hui,Je serais parmi vous.Seul le lien filial me pardonnera.Moi, plus jamaisJe ne fais partie de cette jeunesse.Finie mon heure à l’assemblée,Déjà s’annonce la nuit,Mes pieds sont transis de froid.La transaction a bien eu lieuJe suis vendu au rabaisEt attaché dans une bergerie. Voilà, elle est briséeL’amphore de ma vie !C’est par un verre de poisonQue j’ai achevé ma tragédie.Quant à l’espoir,Il a déserté ma maison. 6- Le bateau qui me portaitSur une mer de jalousieSe destine vers une contrée immonde.J’ai laissé un panier de braisesComme viatique à ma femme,Qui ajoutera à sa noirceur.La mauvaise nouvelle,Les femmes la lui annonceront.Elle creusera en elle telle une vermine.Quant aux injures des belles-sœurs,C’est là un mal sans guérisseurJ’en sens déjà les blessures avant elle. 7- Reste sereine à mon sujet ; Cherche ta chance ailleurs, Moi j’accepte le divorce. Cherche tes amis de jeunesse,Profite avant la chute finale. Si tu persistes comme cela A vivre dans la misère, Jamais ton œil ne verraLe champ des merveilles. N’attends plus mon retour,Ouvre bien les yeux ; Tu sais que la vie est courte.Arrache ton dû à la vieEt joins le courage à l’esprit 8- L’enfant qui nous liaitN’eut que deux mois Le jour où il nous quitta.Tels deux corbeaux, nous sommes restésLes ailes brisées.Console-toi à mon sujetConsidère-moi parmi Ceux qu’on a appelésLorsque la guerre s’est déclarée.Quand il était question qu’ils revinssent,Tous furent pris par la pinceDe la mort qui les épousa un par un. O malheur, ô désastreQue la vie nous offre ! Les sots deviennent des astresEt l’homme bon traîne encore ! 9- C’est la vérité blanche comme suaireQui fait de moi queDans tous ces pièges je me perds.Si tous les hommes que je connais Pouvaient réaliserComment se posent les problèmes !Certains diront que je me fourvoie,Feindront la compassionComme si je jouissais de quelque estime.Ils m’appelleront l’AudacieuxPrêt à fendre les cieux‘’Il ne naîtra plus un homme pareil’’ ! 10- C’est là le visage de la vie :C’est après qu’il meurtQu’on accorde à l’homme sa valeur.Même si de son vivantOn le prenait pour un sot,Aujourd’hui si on l’orne de beaux mots,On sait qu’il est perdu à jamais.Avec un amas d’ignominieSemée de misère et d’infamie.Il était à bord d’un vaisseau trouble,Mit le pied dans une mer profonde.Pris par l’onde ;Son exploit devient proverbial. De son nom, ils baptiseront Tous leurs rejetons ;Il sera gravé à jamais.S’il fait partie de ces GrandsQui nous gouvernent tousIl sera inhumé à El Alia.S’il fait partie des ‘’os à la gorge’’,Il sera sali de calomniesL’infortune fera de lui un traître.Combien de ceux qu’ils ont étranglésA qui, vivants, ils devaient allégeance et vivats. 11- Les exemples que je vous donnerai Sont ceux que j’ai rencontrésDans la demeure de ma vie.C’est la pauvre cervelle que j’ai affûtéePour enfin les retrouverLe jour où survint ma tragédie.A cette belle dernière je suis attachéEt j’ai à tout le monde juréQu’elle deviendra ma fiancée.Écoutez-moi bien, ô vous que je connais :Si vous voyez que je me trompe,Sur ma tombe, vous pouvez cracher. 12- Quiconque trouve son frère dans un brasier,Le pauvre enfiévré,Le laisse dans son état.Aux autres, il dira :Mon frère ne manque de rien.On le croit alors brave homme.Quand le médecin lui délivre des produits,Sans parcimonie,Le mal en lui creuse davantage.Son frère qui vient le mettre dans la tombeVoit son cœur jubilerMême si de ses yeux des larmes tombent. 13- L’imposture mène notre monde ;Qui s’en croit protégé,A ses côtés, elle aborde.Qui la pratique se trouve aiméEt l’aisance chez lui surabondePar le verbiage, il s’affuble de la dignitéEt étouffe la vérité profondeL’esprit futé joint la braise au plomb. Ô vie, champ de malheur !Qui manie bien le leurreSe voit regorger de biens !

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