II – Lettre de Monsieur Hamid Mahour

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Monsieur le Président de la République, Messieurs les ministres

Né durant la guerre d’Algérie, l’année de la bataille d’Alger « la rouge », où les exactions dirigées par les généraux Bigeard et Massu entraînèrent durant « l’opération crevette », la disparition de 3 000 de mes compatriotes jetés dans la Méditerranée du haut d’un hélicoptère, ainsi que la torture de jeunes filles, tout comme celle de l’universitaire Maurice Audin qui décéda. Le film retraçant « La bataille d’Alger » fut d‘ailleurs interdit en France durant de nombreuses années.Je suis de cette génération sacrifiée par les derniers « bienfaits » du colonialisme dont les séquelles subsistent encore à ce jour. Je souhaiterais dénoncer par cet écrit en tant que simple citoyen de cette Algérie qui, comme son président Abdelaziz Bouteflika, demande en toute légitimité à la France qui n’assume pas ses propres responsabilités historiques, de faire preuve de plus d’humilité, et d’accorder des excuses officielles à mon pays pour les exactions tragiques, commises lors de la « pacification de l’Algérie » au rouleau compresseur par une France qui deviendra honteuse de son indignité. Celle-ci n’osera parler « de guerre » qu’en 1999 sur l’insistance d’anciens militaires rompant le silence imposé par les Politiques français d’alors appelant pudiquement cette guerre  » les événements de l’Algérie  » et qui, jusqu’à ce jour, est à peine évoquée dans les livres d’école de France. Comment pouvez-vous, dans ce cas, avoir l’audace de demander à la Turquie de le faire à l’encontre du peuple arménien ? La France, qui depuis sa Révolution et ses concepts de « Liberté, Egalité, Fraternité », est devenue la figure de proue des Droits de l’homme, s’attirant l’admiration du monde, serait-elle devenue un pays d’imposture, sans honneur ? Mon pays a trois siècles d’histoire avec les Turcs qui réinvestissent aujourd’hui positivement avec notre pays, et avec lesquels nous avons passé un pacte d’amitié, alors que la France qui nous a colonisé durant 132 ans se borne dans son entêtement !Messieurs les gouvernants de cette France qui a souffert et lutté auprès des Alliés pour se libérer du joug nazi qui durant quatre années l’a occupée et mise à genoux, vous n’avez sans doute pas oublié combien il a été difficile pour celle-ci de se reconstruire. Vous avez alors su utiliser une main d’œuvre à bon marché, ouvrant vos portes aux autochtones alors opprimés et affamés de cette colonie algérienne dont de nombreux indigènes moururent en combattant à vos côtés durant les guerres de 1870, 1914/1918, et 1939/1945, et qui attendent aussi à ce jour une reconnaissance légitime de votre part. (-Pour cette dernière guerre, les Allemands se sont montrés beaucoup plus chevaleresques à votre égard lors du soixantième anniversaire de l’Armistice et leur repentance publique, renouant ainsi un dialogue constructif.) Durant ce temps, dans mon pays, quelques intellectuels et patriotes algériens ébauchaient dans l’ombre des tentatives de libération du joug colonial français et de ses méfaits. Quoi de plus naturel que de vouloir retrouver son indépendance, vous veniez de retrouver la vôtre ? Ce sera lors des manifestations de l’Armistice du 8 Mai 1945, marquant la fin du nazisme que se dressèrent les premiers drapeaux et banderoles aux slogans indépendantistes de mon pays, entraînant des émeutes faisant une centaine de morts du côté français, mais dont la répression immédiate et aveugle des autorités coloniales a fait près de 45 000 morts algériens. Ces morts souvent négligés dans vos archives sont ramenés à 1500 par l’Histoire de France qui oublie aussi les séances publiques de soumissions collectives pour « rétablir l’ordre » sur cette colonie où, depuis 1830, les Algériens de culture musulmane, imprégnés de leurs coutumes et de leurs traditions ancestrales aux structures sociales basées sur le noyau familial, la solidarité, étaient considérés comme des sous-citoyens, exploités, sous-payés, n’ayant aucun accès aux postes-clés ni à l’instruction dans les écoles réservées principalement aux colons qui les maintenaient dans l’obscurantisme, comme autrefois les esclavagistes. L’obscurantisme résume « les bienfaits » de la colonisation laissant après l’Indépendance de 1962 et l’ignoble et criminelle politique de « terre brûlée » de l’OAS, le pays ravagé et exsangue, la population meurtrie, désemparée et en majorité analphabète, amputée d’un lourd tribut comme en témoignent nos monuments aux morts. L’Algérie d’alors est une nation désorganisée, en quête de son identité aux valeurs humaines piétinées. Le pays enfin libre avait à sa tête des hommes de bonnes volontés ; mais ces élus, peu formés à la gestion et souffrant du manque d’instruction dont les avaient privés les « bienfaits » du colonialisme reprennent en toute bonne foi, mais sans succès, les mesures socialistes adoptées par tous les pays décolonisés d’Afrique. Ces mesures inadéquates ont engendré l’austérité des années 1980 qui sera suivie de deux longues décennies noires endeuillant le pays affaibli, malade dans une indifférence quasi internationale, sans aucun soutien de l’ingrate France, une Révolution succédant toujours aux « bienfaits du colonialisme ». La population est alors traumatisée par un terrorisme aveugle et sanglant qui verra son apogée en 1997/98 et durant le Ramadhan de 1999. Tous ces évènements encouragés par la France et son intox médiatique audiovisuelle souvent mensongère, rapportant n’importe quoi, ont diabolisé ma belle Algérie et sacrifié ma génération d’après-guerre, résumant les « bienfaits » de la colonisation sur lesquels ont débattu vos députés lors de la loi du 23 février 2005. Cependant, le terrorisme a appris au peuple algérien de se prendre en charge et de réveiller les consciences. « C’est dans les cendres de ce pays où les forêts s’embrasent souvent que fleurissent aujourd’hui les plus beaux cyclamens. » Heureusement, le 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika devient Président de la République. C’est un chef érudit incontesté qui possède une main de fer dans un gant de velours. Son mandat renouvelé en 2004 redonne un second souffle à mon pays s’ouvrant sur une ère nouvelle et son émancipation dans la démocratie. L’Algérie va enfin vivre des bienfaits de son indépendance, bienfaits retardés par la France souffrant toujours du poids de son histoire et considérant toujours avoir des droits sur ce pays libre en voie de la dépasser. Le référendum de septembre 2005 sur la « loi de la Concorde civile », prévoyant une amnistie partielle des islamistes armés a permis au peuple de voter pour tourner une page et en ouvrir une autre sur un avenir de paix. L’Algérie se relevant tel un phénix de ses cendres, n’a plus rien à envier à de nombreux pays européens qui s’essoufflent en stagnant dans leurs idées rétrogrades, conservatrices et méprisantes vis-à-vis de leurs anciennes colonies dont certains dirigeants actuels ne peuvent encore digérer l’indépendance. En 2006, l’Algérie n’est plus aussi isolée, elle règle ses dettes et renoue avec l’Union européenne. Les constructions pullulent et mon pays ressemble à un vaste chantier. L’Algérie, enfantée dans la douleur il y a 44 ans, est enfin adulte, riche d’un sous-sol qui en fait une puissance à ne pas négliger, ce que l’Amérique et l’Asie ont compris. L’Algérie a aujourd’hui des atouts politiques, un potentiel humain et des ressources suffisantes à son intégration dans le concert international des Nations pour construire un avenir meilleur. Pas rancunière, en fonction des liens historiques qui la lient à votre pays, l’Algérie a tendu la main et privilégié la France qui, aujourd’hui, est dans une impasse économique et sociale à la suite d’une mauvaise gestion de la Droite remontant à plusieurs décennies et l’arrivée d’opportunistes comme Messieurs Edouard Balladur, Charles Pasqua et aujourd’hui Messieurs de Villepin, Douste-Blazy et Sarkozy, celui-ci d’origine étrangère et immigrée, se voulant plus gaulois que Vercingétorix, est le plus virulent à l’égard du peuple algérien, le considérant toujours avec l’esprit colonial des « Aussaresses, Bigeard et Massu. » Il n’a pas hésité à manipuler la jeunesse des cités en l’insultant pour justifier ensuite ses actes et déstabiliser la France devenue aveugle et le gouvernement impotent et amnésique, reflétant le malaise français. Aujourd’hui, la France à l’orgueil mal placé, se retrouve à genoux, s’appauvrissant journellement, piétinant ses valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité, et est guidée comme un peuple de moutons. Elle laisse passer des milliards de dollars sur les marchés proposés par son ancienne colonie, comme le métro d’Alger, les réseaux routiers, les chantiers pétroliers, etc. qui pourraient la sortir de l’impasse. Il est vrai que le partenariat entre nos deux pays ne peut se faire que sur des bases d’égalité et de respect mutuel, mais la France d’aujourd’hui ne se respecte pas elle-même. Elle ressemble à une vieille femme affaiblie et aigrie, qui mériterait d’être mieux gouvernée et conseillée, faisant le jeu de Messieurs de Villiers et de Jean Marie Le Pen, ce dernier qui osa nier les fours crématoires nazis, omet aussi de dire qu’il a perdu son œil lors de ses méfaits et exactions peu glorieuses durant la guerre d’Algérie, d’où sa haine envers le Maghreb. L’appel du 18 Juin 1940 du Général de Gaulle, n’est pourtant pas si loin, et sera valable encore en 2007 comme il l’a été en 2002 pour freiner l’extrême droite que vous ne cessez de draguer avec vos projets de lois discriminatoires.Comme durant la guerre d’Algérie, la France décadente et corrompue prêche l’intégration et l’immigration sélective comme alibi commode et mensonger, tout comme l’avait fait le maréchal Rondon en 1853. Montrer l’arbre qui cache la forêt ferait donc partie de la politique française ? C’est ainsi que le traité d’amitié entre nos deux pays se voit remis en question par le refus de certains membres du gouvernement nostalgiques d’un passé, qui refusent aujourd’hui de reconnaître l’Algérie à sa juste valeur. Nos antennes satellites qui fleurissent nos maisons nous permettent de suivre la fragilité politique de la France vieillie, affaiblie et malade de sa consanguinité, qui aurait aujourd’hui tout à gagner en faisant taire ses excès de xénophobie et de racisme qui entravent des liens constructifs avec mon jeune, fort et beau pays. A vouloir jouer les Astérix et Obélix, face à  » l’envahisseur algérien « , la France dont l’opportunisme aujourd’hui ne paie plus, devient une bande dessinée et la risée du monde. Vu l’intolérable politique que vous menez à l’encontre des immigrés, mais aussi du peuple français aux abois, un second Mai 68 n’est pas à écarter du paysage français dans un proche avenir ? Monsieur Sarkozy en sera le principal instigateur. La France est un pays de tolérance et il ne suffira pas d’un  » karcher  » pour nettoyer les erreurs du gouvernement actuel, mais d’une laverie automatique. Que diriez-vous, si en réponse à vos lois condamnables et discriminatoires, l’Algérie vous imposait des restrictions sur son pétrole et son gaz qui ne sont qu’à une heure de distribution ? Il vous appartient de reconnaître vos vis-à-vis avec objectivité pour éviter de faire le jeu du front national et des extrêmes menant la France au chaos. Les élections de 2007 approchent, et la France d’aujourd’hui a des remontées fascisantes qui rappellent un proche passé pétainiste.En considérant avec plus d’attention la jeunesse française qui ne vous fait plus confiance et vos enfants binationaux issus de cette ancienne colonie avec qui vous pourriez construire un avenir meilleur, et en misant sur un partenariat équitable et objectif avec cette Algérie riche de son sol, de sa terre, de son climat et d’une population qui regarde toujours l’Europe avec bienveillance, la France se reconstruirait, s’enrichirait, et grandirait. Mais avant, ayez l’humilité de reconnaître que mon pays, malgré la colonisation est aujourd’hui une grande nation qui attend votre repentance pour un éventuel traité d’amitié. Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République française, Messieurs les gouvernants, en l’expression de mon profond respect.

Hamid Mahour(Souamaâ, Mekla)

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