Existe-t-il un HCA après Idir Aït Amrane ?

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Enquête réalisée par Aomar Mohellebi

Avec la création du Centre national de l’aménagement linguistique pour l’enseignement de tamazight, la mission du haut-Commissariat à l’amazighité est-elle terminée ? La non-désignation d’un remplaçant du haut commissaire, Mahand Ou Idir Aït Amrane, décédé il y a près de deux ans, est-il un indice ? Ou encore l’absence depuis des années du comité pédagogique, scientifique et culturel ? Ce comité composé de 25 membres, censés être choisis pour leurs compétences dans le domaine amazigh ou leurs travaux ayant trait à toutes les dimensions liées à la langue et la culture amazighe, n’a jamais été mis sur pied. Le conseil plénier d’orientation et de suivi, qui doit être présidé par le Haut commissaire, n’existe pas au sein du HCA comme le stipulent les statuts de cette institution. Pourtant, c’est à ce conseil que revient le rôle de programmer des activités liées à l’objet du HCA et les voies et moyens de leur mise en œuvre et leur suivi. Un autre segment dans la structure, à savoir le comité intersectoriel de coordination, présidé toujours par le Haut commissaire, ne siège plus. Il doit comprendre, tel que stipulé par les textes, les représentants des ministères de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, la Formation professionnelle, la Communication, la Culture et la Planification. Ce comité a pour tâche de développer la concertation entre les secteurs chargés de l’exécution des plans et programmes arrêtés et de dégager les mesures permettant la concrétisation des objectifs assignés au HCA. Actuellement, le HCA est dépourvu de toutes ses structures. Il est en revanche doté d’une direction de la promotion culturelle qui organise une rencontre «cinématographique» annuellement, baptisée “Festival du film amazigh” et dont la tenue nécessite des budgets colossaux. Cette direction organise aussi le Salon du livre berbère. Ces deux activités, qui mobilisent chaque année des centaines de millions de centimes, se tiennent en l’absence d’une production conséquente qui permettrait de les justifier, mais aussi en l’absence des acteurs compétents en la matière. Par exemple, des cinéastes comme Belkacem Hadjadj, Abderrahmane Bouguermouh ou Ali Mouzaoui n’ont jamais été séduits par ce festival à cause de son niveau. Lors du festival du film amazigh, tenu en décembre 2005 à Ghardaïa, le jury était dans une posture embarrassante car, de tous les produits proposés à la compétition, aucun n’était à la hauteur d’être primé. Il s’agissait, dans la totalité, de documentaires de piètre qualité. Slimane Benaïssa, qui était juré, nous avait confié, que le niveau était tellement bas que pour arrêter les noms des gratifiés, il fallait faire abstraction des critères conventionnels et ne prendre en considération que les thèmes développés. C’est pour cette raison qu’aucun produit primé dans ce festival n’a été diffusé ni à la Télévision algérienne ni dans les salles de cinéma. Ce genre de rencontres est aussi utilisé par des responsables de cette structure à des fins personnelles. Exemple : lors du Festival du film amazigh de Annaba en juin 2004, le HCA avait initié des formations en cinéma. Les responsables avaient prévu des stages à l’étranger pour les meilleurs stagiaires. Une fois l’activité terminée, ces derniers attendent pendant de longs mois. Aucune trace de stage à l’étranger. Les bénéficiaires de cette formation ont été triés sur le volet. Parmi eux, on retrouve le fils d’un haut responsable du Haut-Commissariat à l’amazighité et d’autres proches, qui n’ont pas pris part aux stages de Annaba. Ces derniers ont bénéficié d’un séjour ( avec une prise en charge totale) à Clermont-Ferrant. Quant aux meilleurs éléments, qui ont espéré se voir rétribués pour leurs efforts, ils ont attendu Godot ! Ils ont servi de faire-valoir. Au festival de Ghardaïa, le HCA avait pris en charge plus de 250 personnes. Il s’est trouvé que lors des séances de projection, on se retrouvait dans des salles sans public. La raison : les invités sont des extra au cinéma. Aussi, parmi les missions primordiales du HCA, figure l’identification, l’analyse, la préparation et l’élaboration de tous les éléments nécessaires à la mise en œuvre de la politique nationale de réhabilitation de l’amazighité. Tout au long de ces onze années, il y a eu enchevêtrement des prérogatives car ce travail a été, très souvent, celui du ministère de l’Education nationale, doté du personnel pédagogique adéquat. Une tâche accomplie non sans plusieurs lenteurs bureaucratiques. Ceci est amplement reflété dans le bilan jugé négatif, par le HCA même, de l’expérience de l’enseignement de tamazight, passé de seize wilayas en 1995 à seulement deux et demie actuellement. Le HCA n’est pas associé dans l’élaboration des manuels scolaires de tamazight, même pas à titre consultatif. C’est le ministère de l’Education, lui seul, qui décide du contenu de ces livres et des caractères de transcription. Dans ce volet, la mission du HCA se limite à organiser des journées d’études avec les enseignants n’excédant pas trois jours. Dans le décret présidentiel instituant la création du HCA, il est stipulé que cette institution a pour mission, en outre, d’élaborer, en relation avec l’ensemble des secteurs concernés, les plans annuels et pluriannuels d’introduction de la langue amazighe dans le système de l’enseignement et les programmes de développement de la place de la langue amazighe dans le système de la communication. Dans ce chapitre également, le bilan n’est pas brillant. Depuis le lancement d’un mini-journal télévisé quotidien, en 1995, une seule émission en kabyle est venue se greffer au programme de l’ENTV : Tamurt negh, diffusée chaque vendredi à 15 h, quand il n’ y a pas un match de football ou un documentaire lié à un événement national jugé plus important. Une page en tamazight est diffusée chaque samedi dans les journaux El Moudjahid et Echâab. Le Lancement de ces pages a été effectué sans aucune consultation du HCA.Le lancement d’une chaîne de télévision en berbère est remis aux calendes grecques sans qu’aucune explication officielle ne soit donnée. Au HCA même, on ignore les raisons de ce report sine die de la création de cette chaîne qui devait diffuser six heures par jour dans la langue de Matoub Lounès. Pourtant, il a été désigné un directeur à sa tête et des centaines d’émissions ont été préparées. L’opacité totale entoure ce dossier, pourtant très important. Si l’on compare les acquis concrets enregistrés par tamazight en 1995 à ceux d’aujourd’hui, on constatera volontiers qu’il n y a pas d’évolution. Bien que sur le plan politique, c’est plutôt au contraire que l’on assiste, puisque tamazight est constitutionnalisée langue nationale. Il y a sans doute absence de stratégie nationale sérieuse pour la réhabilitation de tamazight. Ce n’est sans nul doute pas en organisant des festivals du film amazigh avec des documentaires artisanaux que l’on pourrait faire promouvoir cette langue ancestrale. En onze ans, une seule étude sérieuse sur l’état de l’enseignement de tamazight a été réalisée par les universitaires Arezki Nabti et Nora Tigziri du département de berbère de Tizi Ouzou. C’est le seul document fiable existant à ce sujet. L’échec de la réhabilitation de l’amazighité a-t-il été programmé ou doit-il tout simplement être imputé à un problème de compétence ? Les universitaires spécialisés dans le domaine amazigh répondront à cette question pour peu qu’un jour l’Etat décide de les associer à ce grand chantier.

A.M.

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