Matoub, huit ans d’immortalité

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Chaque année, l’anniversaire de l’assassinat du grand chanteur vient nous rappeler que la vie est courte. Courte et dure car comment supporter l’existence après la disparition d’un être aussi cher à toute une région, d’un homme irremplaçable, dont le courage est devenu une légende. Les Kabyles disent désormais : courageux comme Matoub. Mais pas seulement ça. On dit aussi franc comme Matoub, sensible, généreux, talentueux et fidèle comme Lounès le fut. Hier, à Taourirt Moussa, comme il y a déjà une année, lors du 7e anniversaire et comme il y a déjà huit ans, le jour de son assassinat, ses fans affluaient sur sa maison dont la porte ne se ferme jamais. Comme de son vivant. Il l’a même chanté en 1990 : “Tabburt melmi its ghelqagh” ! Deux jeunes filles de Larbâa Nath Irathen sont déjà là. Elles devancent ce triste anniversaire de vingt quatre heures. Elles ne peuvent pas attendre jusqu’à demain. Il suffit de lire dans leur regard pour constater que Matoub leur circule dans les veines. Derrière le siège où elles sont assises, un grand cadre est accroché. On y voit Matoub en compagnie de Djamila, sa muse et sa femme pendant sept ans. Un jeune tente de faire une observation : «Ils se ressemblent, n’est-ce pas ?». L’une des deux filles rétorque avec un sourire qui dissimule très mal sa tristesse : «Non, ils ne se ressemblent pas, c’est seulement parce que chacun convient à l’autre que vous faites cette remarque». Et on se demande si sans l’existence de Djamila, Matoub aurait pu composer les plus belles chansons d’amour dans l’histoire de la poésie kabyle. Cinq minutes plus tard, quatre jeunes hommes arrivent avec une caméra, ils sont guidés par la secrétaire de la Fondation Matoub. «S’il vous plaît, éteignez votre caméra», lance cette dernière avec amabilité. Les jeunes demandent à voir la photo de Djamila. Quelle est donc cette femme sur laquelle Matoub chante avec autant de fougue et tendresse mais aussi avec autant de colère et rancune ?, semble s’être demandés les quatre fils du Rebelle. Ils restent obnubilés pendant plusieurs secondes devant le cadre. Un silence total accompagne ces instants de méditation. Ils tentent de pénétrer le mystère de l’idylle la plus célèbre de la région. Les jeunes partent. Il sont venus d’un patelin situé entre les Issers et Bordj Ménaeil. Un couple de jeunes mariés dont la femme est enceinte atterrit à son tour. L’épouse avoue à son mari, d’un air où se mélange l’allégresse à la mélancolie, que c’est la première fois qu’elle vient ici. Le défilé continue durant toute la journée de ce 24 juin 2006. Comme du vivant de Lounès, cette maison continue à recevoir des dizaines de visiteurs chaque jour. Nourredine Medrouk, porte-parole de la fondation confirme : «Chaque jour, la maison reçoit entre 50 et 100 personnes. Ça continue sur les 365 jours de l’année». Nourredine Medrouk, tout comme les autres membres de la fondation, sont en colère car l’Etat, qui s’est engagé au début de l’année à réhabiliter Matoub semble s’être rétracté. Les animateurs de la fondation en veulent pour preuve la non-attribution de la subvention qui avait pourtant été promise par les représentants de l’Etat afin de prendre en charge les festivités de l’année Matoub-Lounès qui comprenaient principalement trois axes majeurs : la caravane, le mega-concert de la Coupole et enfin un colloque international sur la vie et l’œuvre de Matoub Lounès qui devait se tenir à l’université de Tizi Ouzou. Nourredine Medrouk précise, avec détermination, que malgré ce désengagement de l’Etat, ces activités seront maintenues, même avec un report. «Nous allons tout faire pour qu’il y ait le concert de la Coupole à la mémoire de Matoub», dit-il. Tous les chanteurs qui ont connu, aimé et respecté Matoub de son vivant ont confirmé leur participation. «Nous commençons à prendre attache avec Nouara», révèle notre interlocuteur. Des musiciens doivent venir des USA et d’Europe. Un tel projet artistique nécessite de gros moyens. De son vivant, Matoub dérangeait et mort il dérange encore plus. «Ils ont peur même de son ombre», lance un jeune qui se lave le visage à la fontaine construite et mise à la disposition du village par Matoub Lounès. Ils, ce sont sont ceux qui l’ont tué ainsi que les complices, mais surtout tous ceux qui sont contre l’Algérie chantée et rêvée par Matoub. Ils sont nombreux et ils ont du poids. A l’intérieur du salon, Nna Aldjia est assise autour d’une table. Elle écoute les chansons de son fils diffusées par la Radio Berbère à longueur de journée en hommage au Rebelle. Des centaines de citoyens appellent de Kabylie et de France à la radio BRTV pour dire combien Matoub leur manque et combien il lui sont restés fidèles.La vérité, toute la vérité sur les auteurs et les commanditaires de l’assassinat de Matoub reste le leitmotiv de la mère du chanteur le plus engagé d’Algérie. Une revendication scellée et non négociable que partagent des millions de Kabyles, ceux des montagnes. Cette vérité est synonyme de l’honneur de toute une région qui, à travers Matoub, a perdu un repère et un héros intemporel. Mais aussi un artiste qui a mené la chanson kabyle à un niveau tellement élevé que depuis sa mort, le stade Oukil-Ramdane que remplissait Matoub n’accueille plus aucun artiste. Et à chaque événement, les gens d’ici disent avec regrets : «Si Matoub était là !».

Aomar Mohellebi

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