Le couple des niais

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(3e partie)

« Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif anechth ousarou. » (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). »Qui se ressemble s’assemble » dit un adage populaire. C’est dans ce même ordre d’idées que nous allons vous raconter une histoire du terroir mettant en scène un couple de simplets.En terre kabyle, il est de coutume de marier tous les gens hommes et femmes, même s’ils présentent des tares congénitales. On fait cela pour rendre indépendants les handicapés physiques ou visuels. C’est ainsi que des mongoliens sont mariés à des mongoliennes, des muets à des muettes, des aveugles mariés à des aveugles et des idiots mariés à des idiotes. Tout le monde trouve son compte, surtout les familles qui trouvent dans ces mariages insolites, les moyens de se décharger de leurs handicapés qui autrement occuperaient une partie importante de leur temps.C’est ainsi qu’un jour, un couple qui désespérait d’avoir des enfants après de nombreuses années de mariage mit au monde un garçon. C’est la joie à la maison. Toute la famille est conviée à un repas pour marquer l’événement. La naissance du mâle qu’on prénomma Rabah (le gagnant) rendit l’espoir à ses parents. Son père et sa mère qui évitaient il n’y a pas longtemps toute discussion à propos des enfants, discutent maintenant allégrement. Ils n’ont plus le profil bas, ni la honte d’autrefois.Rabah grandit, mais on s’aperçoit peu à peu avec effroi, dès qu’il commence à parler que ses paroles ne sont pas cohérentes. Au fur et à mesure que les années passent, le garçon sur lequel on fondait tous les espoirs était un attardé mental sur lequel on ne peut plus compter. Le couple eut plus tard d’autres enfants normaux. Il est consterné de voir son aîné devenir de plus en plus idiot. Dès que les enfants de son âge se sont aperçus de ses tares, ils le surnomment Rabah’avahloul (Rabah l’idiot) et ne se lassent pas de se moquer de lui à longueur de journée. Rabah avahloul est manipulé par tous les gamins qui lui jouent des tours pendables, où souvent il est rossé, pour le « récompenser » de ses grossiertés, lancées à la volée à l’encontre de n’importe qui.Quand Rabah avahloul atteint l’âge de vingt an, son père décide de le marier à une fille normale de la famille, mais aucune ne veut de lui. Après avoir chercher vainement à le caser, on indique à son père une jeune fille prénommée Fatima qui présente les mêmes caractères d’idiotie que lui, et que la vox populi a affublé du surnom de Fatima tavahloult (Fatima l’idiote). Dès qu’on demanda sa main, on s’empressa de la donner. Le nouveau couple est formé. On leur construit une cabane, on les dote du nécessaire, et on les laisse vivre leur vie.Rabah avahloul et Fatima thavahlout participent aux travaux des champs et prennent leurs parts des récoltes. A les voir, ils n’ont pas d’handicaps.Un jour, le nouveau couple se concerte et décide de demander de l’aide, afin de se lancer dans l’élevage d’ânes, à l’instar de ceux qui élèvent des chèvres ou des moutons.L’âne est facile à entretenir, contrairement aux ovins et caprins, qui risquent de se faire dévorer par les bêtes féroces qui pullulaient en ces temps-là, ou se les faire voler par « araou l’ah’ram » (les fils du péché) qui ne ratent aucune occasion, de se faire de l’argent sur le dos des paysans.L’idée est admise par la famille de Rabah avahloul et concrétisée la semaine qui suit par l’achat du marché, de six ânes à peine sevrés et d’une ânesse qui pourra lui donner d’autres petits. Rabah avahloul qui ne sait pas bien compter aligne ses bêtes devant lui et commence à les compter et à les recompter en s’aidant de ses doigts.Yioun (un)Sin (deux)Thlatha (trois)Revâ (quatre)Khemsa (cinq)Setsa (six)Sevaâ (sept)Puis il monte sur l’ânesse et l’épéronne avec les ongles de ses gros orteils des pieds. L’animal piqué démarre avec rapidité. Rabah avahloul est pressé de rentrer chez lui où l’attend sa femme.Après avoir parcouru quelques milles, juché sur son ânesse il s’arrête un instant et se met à recompter ses ânes, mais il a beau compter et recompter il ne trouve que six. Mais où est donc le septième animal ? Il se gratte le crâne, scrute les environs et se met à recompter de nouveau mais point de septième bête. L’euphorie qu’il avait éprouvée en achetant ses ânes, s’est transformée en angoisse. Que va-t-il dire à sa femme ? A sa famille ? Il ne le sait.C’est la mine défaite, les jambes flageolantes et l’esprit torturé qu’il arrive près de chez lui. Il aurait aimé que la terre l’engloutisse quant il voit sa femme s’avancer vers lui. Dans quelques instants il devra subir la pire épreuve de sa vie. Sa femme va se moquer de lui et le traiter de triple idiot. Avant qu’elle ne prononce le moindre mot il lui avoue :- J’ai acheté sept bourricots mais je ne sais par quel phénomène il en manque un « akken i vghough h’asvagh ikouç dima yioun(Je n’ai pas cessé de les compter et de les recompter et j’arrive toujours au même résultat). Fatima thavahlout un peu plus éveillée que son idiot de mari, le toise du regard, lui sourit, compte les animaux puis se tord de rire et d’une voix entrecoupée lui dit :- Nekini h’asvagh thmaniaIghyalOuis sevâ yarkevAf ouis thmania !(Moi j’ai compté huit aliborons, le huitième se trouve à califourchon sur le septième !), descends et viens recompter avec moi.Rabah avahloul s’exécute recompte et trouve son compte ses sept ânes sont bien là. C’est en riant que les deux idiots rentrent à la maison très contents. »Our kefount ethhoudjay inouOur kefoun irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine. »(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Benrejdal Lounes

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