Fellag : L’histoire de l’homme a commencé en 1950 à Azeffoun. Celle du comédien, à l’Institut d’art dramatique de Bordj El Kiffan, où, avec des camarades de promotion, il fonda une troupe au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports. Se retrouvant face à des blocages, le groupe ne produira qu’une seule pièce Essoussa (La vermine). Dès lors, la déception puis la révolte de l’artiste ont fait de lui un « plaisant querelleur » contre les stéréotypes, ayant l’hilarité comme artillerie. Il produit pour le théâtre Les aventures de Tchop (1987), Cocktail Khorotov (1989)… La plus grande arène où s’est exprimé sa critique est le monologue Djurdjurassic bled. L’histoire de l’Afrique Du Nord, liée à celle de l’humanité toute entière, y est racontée de façon comique, mais ô combien alambiquée, vue au-delà des jubilations issues d’un spectacle burlesque !En effet, si l’Histoire est la toile de fond de l’œuvre de Fellag, ce dernier en propose une relecture, exhibant aux spectateurs ses rognures, pour qu’ils cherchent la vérité ailleurs. Ainsi, le conte commence par un questionnement, celui de la genèse de l’état lamentable dans lequel se trouve le pays. Pour répondre il faut remonter le temps. Et voilà que les stéréotypes font éruption. La description des Berbères (déjà cités par leur nom latin et en aucun cas appelés Amazighs), est élaboré comme par ces « historiens pamphlétaires » qui ont démuni ce peuple de leur civilisation, le citant comme barbare, ne vivant que pour la guerre. Cette image est développée tout au long du texte de Fellag qui traverse –rappelons le- l’existence des Algériens de l’antiquité à nos jours. Ils n’ont pas de science. Ils la refusent quand elle leur parvient des Pharaons. Ils rejettent la culture et l’organisation des Phéniciens… or, la dynastie pharaonique n’a-t-elle pas connu de rois amazighes ? N’est-ce pas en Egypte que l’ère amazighe a vu le jour ? Qui est l’agresseur, Jugurtha ou le Romain qui l’enchaîna ? Les voilà ces guerriers berbères faisant la fête après la bataille – car il n’est de culture ancestrale que folklore ! – renvoyant tout colonisateur par leur caractère acariâtre. Même envahis par les Arabes qui délivrent des interdictions coraniques (conception islamo-phobique d’aujourd’hui), leur ascendance, après avoir renvoyé les Français, s’ennuie de ne pas trouver à qui faire la guerre, car l’atavisme se régénère en eux, et ont fini par : » s’auto-sortir » ce qui explique la guerre civile dans laquelle l’Algérie s’est engouffrée durant la dernière décennie … (?). Le titre de la pièce, Djurdjurassic bled est lui aussi révélateur. Parodie de » Jurassic parc « , le mot « djurdjurassic » serait une déformation de Djurdjura la montagne kabyle dont le nom a une sonorité proche de celui du Jura suisse. Mais voilà que la beauté suisse est maculée par le mot « bled » avec toute la péjoration qu’il porte. N’est-ce pas le bled dont parle Alphonse Daudet dans son Lettres de mon moulin, ou celui de Prosper Mérimée dans ces Nouvelles comme Mateo Falcone, ainsi que le bled de tous les perfides orientalistes ? Pour conclure, si Fellag nous fait rire sur nos propres galère, il ne nous laisse pas bayer aux corneilles ni nous gausser comme des Jocrisses, mais nous appelle à méditer sur certains points qui font l’Histoire et le devenir d’un peuple. Des points sensibles.
Mohamed Mahiout