Incognito, dans une église de Kabylie

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Reportage réalisé par Hafidh Bessaoudi

Le phénomène d’évangélisation de la Kabylie a suscité une énorme polémique auprès des défenseurs de l’islam qui qualifient cet engouement pour le Protestantisme de manipulation externe. Vendredi dernier, nous avons pris l’initiative de nous rendre “incognito” dans une église située à Ighzer Amokrane, dans la commune d’Ouzellaguen, pour prendre part à la messe qui y est professée chaque semaine. C’est en contrebas de la RN 26 que nous arrivons devant une somptueuse demeure entourée d’une clôture. Le portail est fermé, mais un jeune vient aussitôt l’ouvrir, nous pénétrons dans l’enceinte du Christ. Dans la cour, plusieurs automobiles sont stationnées et comme l’attestent les plaques minéralogiques de ces véhicules, les fidèles viennent de Béjaïa mais aussi de Bouira. Des voix fusent de l’intérieur du temple. Du pur gospel, mais en kabyle. Il est dix heures trente passé, nous escaladons l’escalier pour monter au premier étage, et nous nous retrouvons dans une salle immense bondée de monde. Paradoxalement, l’air y est frais, mais ce n’est pas un miracle, les climatiseurs et ventilateurs accrochés au plafond y sont pour beaucoup. Nous nous frayons difficilement un chemin à l’intérieur de la salle, nous trouvons finalement une petite place. Devant l’assistance, un pasteur loue le Seigneur. Le « kecc i d rebbi negh, nukkni d agdud-ik (tu es notre Dieu, nous sommes ton peuple) » accompagné d’une guitare sèche et d’un bendir, est repris en chœur par les croyants. Ça swingue pas mal. Un immense crucifix en bois est accroché derrière l’autel et orne l’office. Après plusieurs chants et autres psalmodies rythmées, vient enfin l’heure du prêche. Un autre pasteur intervient pour un sermon portant sur l’union sacré au sein de la communauté protestante. « Taddukli entre les frères » était l’ordre du jour : pour convaincre, le pasteur puisait dans les psaumes, les versets et autres proverbes se trouvant dans les Saintes Ecritures. Un prêche illustré par des paraboles et des épisodes de la vie de Jésus, de sa crucifixion jusqu’au miracle, le tout ponctué par des Amen et des Alléluia de l’assistance composée de jeunes mais aussi de moins jeunes.La présence de sexagénaires nous intrigue au plus haut point. De jeunes adolescentes, des femmes et des enfants en bas âge figuraient parmi les ouailles de ce temple. Des ouailles somme toute conquises par le Protestantisme. Approximativement une centaine de personnes se trouvent dans la salle archicomble. Pour un vendredi, jour le plus prisé pour les mariages et les sorties au bord de la grande bleue, ce nombre nous paraît impressionnant. Vint ensuite le moment de la sainte cène, cérémonie durant laquelle les fidèles prennent l’hostie. L’hostie en question s’apparente à une galette traditionnelle (Aghrum) découpée en petits morceaux. D’ailleurs, cette galette — nous l’apprendrons par la suite de la bouche d’un fervent protestant —, est préparée comme à la maison, mais sans y incorporer de la levure. Une méthode utilisée pour se conformer au naturel sans aucun artifice, du pain béni en quelque sorte. Un breuvage appelé « le sang du Christ” passe de mains en mains dans une cruche en terre cuite. Nous y goûtons également…c’est du jus de raisin extrêmement sucré. Il faut savoir que selon la doctrine catholique, le pain et le vin contiennent le corps, le sang, l’âme et la divinité de Jésus Christ. Après avoir reçu cette Eucharistie, l’impanation et la consubstantiation redonnent le courage aux pasteurs et aux fidèles pour louer Dieu à nouveau. Les gospels fusent de plus belle, en kabyle, en arabe et en français. Aux environs de 13h30, des citoyens apportent certains témoignages sur leur vécu, depuis leurs reconversions.La messe touche à sa fin. Un pasteur demande s’il y a parmi l’assistance des personnes qui entrent pour la première fois dans un endroit pareil. Avec trois autres personnes nous répondons par l’affirmative. Ce dernier nous invite à le rejoindre: “Croyez vous en Jésus Christ ? Etes-vous convaincu qu’il s’est sacrifié pour nous sauver ? Si oui, vous êtes les bienvenus dans notre communauté, sachez que nous n’obligeons personne à se reconvertir par la force”. Après quelques palabres sur le respect du Christ et sur les convictions spirituelles nécessaires pour embrasser le protestantisme, les trois pasteurs demandent à l’assistance de prier pour toutes les personnes qui sont chargées de veiller sur le lieu de cuIte, tout en présentant les différents serviteurs de l’église. De jeunes hommes sont ainsi présentés à l’assistance, mais aussi des « sœurs” ! Des soeurs qui se réunissent dans le temple chaque jeudi pour prier et louer le Seigneur. Un pasteur demande également de prier pour consoler la famille d’un « frère”, habitant Alger, qui vient de perdre son père. Une autre prière sera demandée pour soutenir le petit Massi gravement malade et qui est souffrant dans un hopitaI. Dans la foulée, le pasteur annonce un séminaire pour jeudi 27 et vendredi 28 juillet, ayant pour thème “La guérison de l’âme” et qui doit être animé par un “frère” kabyle résidant dans l’Hexagone. Un thème ô combien important pour saisir la dimension spirituelle du Saint-Esprit. La messe est finie à 13h45. Sur le parvis du temple, on échange des avis, des idées, on se donne également rendez-vous pour voir comment aider telle ou telle communauté à s’organiser dans les villages les plus reculés. D’autres protestants se bousculent dans une salle exiguë, appelée bibliothèque, pour choisir des livres, des cassettes audio, des CD portant sur l’Evangélisation. A l’intérieur de cet espace, de petits fascicules en arabe et en kabyle sont mis gratuitement à la disposition des fidèles, mais ces supports sont également destinés aux personnes prédisposées à la reconversion vers le christianisme. Justement, les personnes prédisposées ou encore indécises quant à la reconversion se rendent en ces lieux pour se renseigner sur la chose : « Est-ce vrai que boire du vin n’est pas un péché dans cette religion ? » est l’une des questions qui revient le plus souvent sur les lèvres des curieux qui pensent à une éventuelle reconversion. Mais au delà de cette question émanant des fervents adeptes de Bacchus, d’autres questions sont posées aux pasteurs, notamment sur les effets directs du changement de religion. Là, les réponses demeurent vagues et renvoient à la foi, et à la fois leurs destinataires au plus profond de leurs âmes. Les voitures quittent l’enceinte du temple. Il est temps pour nous de rejoindre nos pénates et nos lares.

H. B.

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