Victor Hugo à Alger

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Par Anouar Rouchi

Qui ne connaît pas Victor Hugo, ce monument de la littérature à l’œuvre tout aussi monumentale ? Mais à côté de ce génie des lettres françaises, il y a aussi Hugo le politique, Hugo le militant, Hugo l’homme de son temps mais visionnaire à souhait. Comme tous les grands esprits, il ne s’interdit aucune évolution. Mais chaque changement d’opinion est porté, chez lui, par une solide conviction. Avec des dates et un vocabulaire également discutables, Hugo décrit lui-même la courbe de son évolution politique : “1818 : royaliste – 1824 : royaliste libéral, 1827 : libéral – 1828 : libéral socialiste – 1830 : libéral socialiste démocrate – 1849 : libéral socialiste démocrate républicain.” Vue avec la logique d’aujourd’hui, au-delà des nuances sémantiques, c’est une évolution indéniablement tirée par le progrés. Rien à voir avec les transhumances politiques deveneus habituelles à Alger ces quinze dernières années et dont les acteurs sont passés maîtres dans l’art de voler au secours de la victoire.Quatre-vingt treize est l’un de ses tout derniers romans. Il le consacre à l’an IV de la Révolution de 1789, dit “année de la terreur”. Le personnage de Gauvain, un officier bleu – c’est à dire républicain – chargé de mater le soulèvement des blancs – c’est à dire royalistes – en Vendée, est sans doute le plus proche intellectuellement de l’auteur, avec une vision de l’avenir qui n’a rien à envier à celle des meilleur penseurs progressistes de notre temps.Dans Quatre-vingt treize Hugo est précis, clairement partisan, mais critique et lucide. Voici comment il décrit, par exemple, la convention présidée par Robespierre, après avoir donné la composante des deux courants rivaux : La Gironde et la Montagne :“Au dessous se courbaient l’épouvante, qui peut être noble, et la peur, qui est basse(…) Les bas-fonds de l’Assemblée s’appelaient La Plaine. Il y avait là tout ce qui flotte ; les hommes qui doutent, qui hésitent, qui reculent, qui ajournent, qui épient, chacun craignant quelqu’un. La Montagne c’était une élite ; La Gironde, c’était une élite ; la Plaine c’était la foule. La plaine se résumait et se condensait en sieyès(…) ce métaphysicien avait abouti, non à la sagesse, mais à la prudence…Les cuves les plus généreuse ont leur lie. Au-dessous même de la Plaine, il y avait le Marais. Stagnation hideuse laissant voir les transparences de l’égoïsme. Là grelottait l’attente muette des trembleurs. Rien de plus misérable. Tous les opprobres, et aucune honte ; la colère latente ; la révolte sous la servitude. Ils étaient cyniquement effrayés ; ils avaient tous les courages de la lâcheté ; ils préféraient la Gironde et choisissaient la Montagne ; le dénouement dépendait d’eux ; ils versaient du côté qui réussissait(…) Ils soutenaient tout jusqu’au jour où ils renversaient tout. Ils avaient l’instinct de la poussée décisive à donner à tout ce qui chancelle. A leurs yeux, comme ils s’étaient mis en service à la condition qu’on fût solide, chanceler, c’est les trahir. Ils étaient le nombre, ils étaient la force, ils étaient la peur. De là l’audace des turpitudes.”Désolé de vous importuner avec un sujet sérieux, vous qui êtes peut-être en train de dorer au soleil sur quelque plage d’Alger ou d’ailleurs. Mais, franchement, n’avez-vous pas l’impression que Victor Hugo parle de nous, maintenant ?!

A. R.

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