Le vocabulaire des animaux domestiques (2)

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La terminologie des principaux animaux domestiques est commune à la plupart des dialectes berbères, ce qui est une preuve de l’ancienneté de leur domestication, une domestication qui doit remonter à la période de communauté linguistique de ces dialectes, c’est-à-dire d’avant la division.

BovinsLe boeuf a joué un rôle important dans la société berbère primitive: il apparaît très tôt dans l’art préhistorique et les spécialistes n’ont pas hésité à donner son nom à une des périodes de cet art: la période bovidienne. Du point de vue linguistique, on relève, dans l’hétérogénéité des dénominations, quelques termes communs..

Bœuf, vache Des mots communs, les plus répandus pour désigner ces animaux proviennent d’une racine FNS :-funas « bœuf » tfunast « vache » (Nefousa)-funas « bœuf, taureau » tefunast  » vache  » (Siwa)-afunas « taureau » tafunast « vache » (Ghadames)-afunas « bœuf » tafunast « vache » (Mzab,Ouargla, Maroc central, Chleuh, Rifain, Chaoui)-tafunast « vache » (Kabyle)Le pluriel des deux mots est partout identique : ifunasen et tifunasin / tfunasin. Le Kabyle, lui, n’emploie pas afunas (sauf dans le sens plaisant de « lourdaud ») et s’il emploie parfois le pluriel tifunasin, celui-ci est souvent senti comme incorrect. La forme courante est tista / tisita, issue d’une autre racine, attestée seulement en touareg :-esu, pl. eswan « bœuf, taureau » tesit, pl. tisita « vache » (Touareg)-tess, pl. citan  » vache  » (Touareg du Niger)Il y a de fortes chances que ce mot soit la dénomination primitive du bovidé: le signe libyque  »s » (un rond avec un point au centre) apparaît sur certaines peintures rupestres de la préhistoire et pourrait se lire  »esu ».Quelques autres mots d’extension restreinte sont employés pour désigner le bœuf ou le jeune veau :-esey « bœuf, taureau » (Touareg Niger)-isig « taurassin, jeune veau » (Maroc central)

-ebaghaw « vieux bœuf » (Touarge du Niger) (Touareg Hoggar : ebeghew « homme ou animal vieux et usé « ) -bghu « veau » (Nefousa)-aghi « veau » (Siwa)-aghwi « jeune taureau » tagh°it  » génisse  » (Chleuh)

Le mot est sans doute issu d’une onomatopée. Le touareg possède, en effet, un verbe, eghu, signifiant « bêler, miauler » avec un dérivé, amaghaw « chevreau nouveau né ».Un dernier mot, plus répandu que ceux relevés ci-dessus, désigne, dans quelques dialectes le bœuf ou le veau :-azgar « bœuf, taureau » (Touareg Niger) -azger « bœuf, taureau » pl. izgaren « bovins » (Maroc central)-azger « bœuf » pl. izgaren « bovide » (Chleuh)-azger « bœuf » (R)-azger « bœuf » (K)

EquidésCheval, jument Le monde berbère est célèbre depuis l’antiquité par sa variété de chevaux appelés « barbes » Quelques noms communs, mais d’inégale répartition, le désignent à travers les dialectes actuels.Un premier mot ne se retrouve que dans quelques dialectes, mais il couvre l’ensemble des aires :-ays « cheval » (Touareg)-yis « cheval » (Mzab)-iyyis, ayis « cheval de course, cheval de selle » (Maroc central)-ayyis « cheval » (Chleuh)-yis « cheval » (Rifain, Chaoui)Un second mot est issu d’une racine GMR. Il est peut être en rapport avec le verbe egmer « chasser », attesté dans plusieurs dialectes.-agmar « cheval » tagmart « jument » (Nefousa)-adjmar « cheval » tadjmart « jument » (Ghadames)-agmar « cheval » tagmert « jument » (Siwa)-agmar, aymar, ajmar « cheval de trait » tagmert « jument » (Maroc central)-agmar « cheval » tagmert, taymert « jument » (Rifain)-tagmart « jument » (Kabyle)-tagmert « jument » (Chaoui)Si le pluriel de agmar est partout régulier, celui de tagmart est parfois construit sur une base divergente :-tagmert, pl. tigmarin et parfois tighallin (MC)-tagmert, pl. tigmarin, tighallin (R)-tagmert, pl. tigmarin,

Le kabyle connaissait également tighallin. M. Mammeri, dans Poémes kabyles anciens, Paris, Maspero, 1980, p. 430, cite une occurrence où ce mot, aujourd’hui oublié, figure : a Rebbi, rr-agh-d tighallin/ sut ssbib yeddal tayet « ô mon Dieu, rendez-nous les juments / dont les crinières couvrent les épaules ! »Le néfousi a un correspondant singulier régulier : teghellet, pl. teghellin, ainsi que le mozabite : tghallet, pl. tighallin. Le rifain a donné, lui, à tighallin le sens de « race chevaline (chevaux et juments) »

âne On connaît l’hypothèse de l’existence de deux variétés d’ânes au Maghreb : l’âne gris, autochtone, au poil ras et l’âne brun, originaire de Syrie, de taille plus grande et de pelage fourni.Ce fait zoologique pourrait être, comme on l’a supposé, à l’origine des deux dénominations de l’âne qui se partagent l’aire berbérophone, aghyul, pour les régions du nord et le nord du Sahara, az’id’ et ses variantes pour le touareg et les dialectes dits orientaux. Mais cette répartition n’est pas systématique puisque chacune des deux dénomination se retrouve dans l’autre aire.-eyhed’ « âne » (Touareg)-az’id’ « âne » feminin tayhet’ (Ghd)-iz’it « âne » fém. tiz’et (Siwa)-ziyî « âne » (Rifain)-ajh’ih’, ijjed’ « ânon » (K)-aghyul « âne » (Sned)-aghghul, fém. taghghult « âne » ghiwli « à la manière d’un âne » (Ouargla)-aghyul, fém. taghyult « âne » (Mzab, Maroc Central, Chleuh, Rifain, Kabyle, Chaoui)Ce dernier nom est sans doute en rapport avec la couleur de l’animal : un verbe de forme proche, signifiant brun, est en effet attesté dans quelques dialectes : -ighwal « être brun, sombre » teghule « couleur brune » (Touareg)-eghwel « noircir » agheggal « noir, sombre » (Ouargla) et en chaoui : -aghuggal « de couleur noire »

Camélidéssi le mouton et le bœuf sont les animaux domestiques les plus répandus dans le Nord, le chameau est l’animal le plus répandu dans le Sud. Mais son nom comme son image sont partout, les contes, les légendes et la poèsie ayant partout conservé son souvenir même là où il n’est pas familier.Le touareg possède une terminologie abondante concernant le chameau, mais en fait le dromadaire. Les mots, en rapport avec la taille, la couleur ou l’âge de l’animal, sont propres à ce dialecte. Le seul terme pan-berbère est le nom générique – alghem / aghlem – et il semble qu’il soit emprunté à une période ancienne, soit à l’arabe ainsi que le suggérait R. Basset, en 1905, soit, plus vraisemblablement au sémitique, peut-être par l’intermédiaire du latin comme le suppose S. Chaker, en 1995.-alem « chameau » fém. talemt (Touareg)-alem « chameau » fém. talemt (Ghdames, Ouargla, Mzab)-alghem « chameau » fém. talghemt (Siwa, Nefousa)-alghum « chameau » fém. talghumt « chamelle, p. ext. vague d’eau » (Maroc central)-aram, ar’am « chameau » fém. taramt, tar’amt (Chleuh)-alghem, arghem « chameau » fém. talghemt, targhemt (Rifain)-algh°em « dromadaire » fém. talgh°emt « chamelle, p. ext. nappe d’eau jaillissant » (K)

OiseauxCoq, pouleDe tous les oiseaux terrestres élevés par les Berbères, seuls le coq et la poule ont un nom commun.-ekahi « coq » tekahit « poule » (Touareg)-az’id’ « coq » taz’it’ « poule » (Ghdames)-yaz’id’ « coq » tyaz’it’ « poule » (Siwa)-yaz’it’ « coq » tyaz’it « poule » (Mzab,Ouargla)-ayaéiv « coq » tayaéiîî « poule » (Maroc central, Kabyle)-yaéiv « coq » tyaéiîî « poule » (Rifain)-gaéiî, agaéigh « poulet, coq » tagaéiî « poule » (Chaoui)

PigeonUn autre volatile, le pigeon vivant à l’état sauvage ou en captivité, a un nom commun :-edebir « pigeon (sens ancien), ganga mâle » tedebirt « ganga femelle » (Touareg)-adabir « pigeon » (Ghdames)-adbir « pigeon » (Nefousa, Sokna, Siwa)-atbir « pigeon » tatbirt « pigeonne » (Mzab)-atbir « pigeon, colombe » tatbirt « pigeonne » (Maroc central)-adbir « pigeon » tadbirt « pigeonne » (Chleuh)-itbir « pigeon » titbirt « pigeonne, tourterelle, colombe » (Kabyle)

M.A Haddadou(A suivre)

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