La tombe de Garcia Lorca pourrait commencer à livrer ses secrets

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Comme chaque année, l’anniversaire de l’assassinat du poète espagnol Federico Garcia Lorca par des franquistes va être célébré samedi au petit matin par des chanteurs andalous, au bord d’un ravin près de Grenade, où il fut exécuté en 1936. Mais ce 70e anniversaire est marqué par un documentaire comportant des révélations sur les motivations de l’exécution de Lorca, tué près du village de Viznar en même temps qu’un maître d’école, Dioscoro Galindo, et deux toreros anarchistes, Francisco Galadi et Joaquin Arcollas. Et dès les premiers jours de septembre, l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) tentera elle aussi de lever le mystère sur la fosse du ravin de Viznar en essayant d’obtenir en justice l’autorisation de l’ouvrir, malgré l’opposition de la famille Lorca. Les historiens divergent sur la question de savoir si Lorca et ses trois compagnons furent emmenés dans la nuit du 18 au 19 août 1936, ou la précédente, pour leur sinistre « paseo » (« promenade »), le surnom familièrement donné en Espagne à la dernière sortie des victimes d’exécutions sommaires. En revanche, l’identité de l’assassin du poète républicain et homosexuel est clairement établie, ne serait-ce que parce que celui-ci, Juan Luis Trescastro, se vanta jusqu’à sa mort d’avoir parachevé l’ouvrage en tirant « deux balles dans le cul à ce pédé ». Mais un documentaire qui sortira en salles en septembre en Espagne, réalisé par Emilio Ruiz Barrachina, entend mettre au jour de nouvelles raisons, outre la haine politique et l’homophobie, à la mort de Lorca. Le chercheur Miguel Francisco Caballero assure notamment dans ce film, intitulé « Lorca, la mer cesse de bouger » d’après un vers du poète, que Trescastro pourrait avoir été « le bras armé des Roldan », l’une des trois grandes familles de propriétaires terriens de la région, avec les Garcia Rodriguez (père de Lorca) et les Alba. D’obscures querelles entre ces familles, associées dans de multiples affaires et propriétés, seraient derrière le meurtre, « qui a été déguisé en affaire politique », soutient cet universitaire. La dimension politique existe cependant, puisque, souligne-t-il, « tous ceux qui interviennent dans la mort de Lorca sont du parti (ndlr: d’extrême-droite) Action Populaire tandis que le père de Lorca était républicain ». Les rancunes auraient débordé après la parution de « La casa de Bernarda Alba », que Lorca publie en 1936 et qui est une cruelle « radiographie des Alba, parents des Roldan », note le réalisateur, Emilio Ruiz Barrachina. Cette pièce de théâtre est « une vengeance personnelle » de l’écrivain « après des années de procès et elle a beaucoup à voir avec sa mort », soutient Barranchina. Les descendants de Lorca ont largement collaboré au film, notamment en autorisant la consultation de documents notariés confidentiels. Ils sont par contre fermement opposés à l’ouverture de la fosse de leur parent, que souhaite aux fins d’identification les familles de ses compagnons de sépulture, appuyés par l’ARMH, une association républicaine qui depuis 2000 organise les exhumations et identifications des victimes de la répression franquiste. « Nous allons demander la permission en justice (pour ouvrir la fosse), après on fera comme on pourra, comme d’habitude », explique Emilio Silva, le président de l’ARMH, qui travaille sans aide publique. Selon lui, on peut parfaitement procéder aux identifications par ADN « sans même toucher à la dépouille de Lorca, si c’est ce que veut sa famille ». La famille Lorca refuse d’ouvrir la fosse « sans donner de raison, ils disent juste que beaucoup de temps est passé, qu’il ne faut pas remuer les choses… », a dit Nieves Galindo, petite-fille du maître d’école assassiné. La plaque sur la fosse de Viznar, où poètes et chanteurs andalous iront « chanter face au ravin » samedi à l’aube, lors d’une cérémonie annuelle « intime et spontanée », selon la mairie du village, ne porte que le nom de Lorca. « C’est très pénible », dit Nieves Galindo, « nous voulons qu’ils soient tous honorés, avec leur nom et leur prénom, c’est tout ce que nous voulons ». « Nous ne voulons pas les sortir, seulement les identifier, après, on les laissera là-bas », dit-elle.

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