Les voies du ressourcement

Partager

Loin du style des hommages sans lendemain auxquels nous ont habitués les pouvoirs publics chargés du domaine de la culture, la Kabylie a su, depuis le début de l’année, manifester à l’endroit de ses hommes et de ses femmes de culture, vivants ou ayant quitté ce monde, le plus grand intérêt et la plus généreuse sollicitude. Si, dans un passé récent, ce genre d’hommages sincères et de fixation de la mémoire collective n’étaient pas bien visibles- même si de beaux et estimables gestes furent accomplis dans ce sens-, cela est surtout dû au brouillard politique et aux luttes intestines rendus possibles par la déliquescence de la classe politique et l’exacerbation de la cupidité des affairistes de tous bords. Dans le domaine de l’art et de la culture, comme d’ailleurs dans la sphère politique, s’est mise en place, à qui mieux mieux, une faune de faussaires et d’activistes par ‘’défaut’’ qui, momentanément, avaient occulté les vrais créateurs, les esthètes accomplis et, en général, les libres penseurs. On n’en retiendra que l’exemple de Lounis Aït Menguellet- mythe vivant de la création littéraire en kabyle et porteur de l’universalité culturelle- qui, en 1999, a été traîné dans la fange et voué aux gémonies par des analphabètes de la culture et des béotiens que ne font mouvoir que les intérêts personnels bassement matériels. En faisant de 2006 l’année du démiurge de la modernité kabyle, Si Moh U M’hand, la nouvelle élite de Kabylie a décidé de se donner les références du mythe fondateur de la grande geste de la renaissance culturelle. Si l’intérêt et le besoin de revisiter la mémoire collective doivent passer par le recul ou l’étiolement d’activités politiques factices et même vénéneuses, alors que cela se fasse au grand bonheur d’une jeunesse déboussolée par le nouvel environnement où il y a place à tout sauf à ses préoccupations, désenchantée par de fumeuses promesses évanescentes et servant toujours de généreux alibis à des bureaucrates suintant l’hypocrisie. La jeunesse kabyle n’a pas encore accompli le travail de deuil après l’assassinat, en juin 1998, de Matoub Lounès. C’est avec un sentiment à la fois d’émotion et de rage qu’elle a célébré le cinquantième anniversaire de sa naissance en janvier dernier. Le souvenir du cri courroucé du Rebelle sera prolongé par l’esprit de lucidité et le génie de l’Éternel Jugurtha, Jean Amrouche. Ce dernier a vu, en avril dernier à Ighil Ali, des centaines de gens exhumer ses pensées, chanter ses odes et rappeler ses positions politiques et humanistes. Ce n’est pas sans un sentiment d’amertume et d’impuissance que des jeunes kabyles ont revisité l’œuvre de Mohia dont ne détient, matériellement parlant, presque aucune œuvre. Les cassettes audio qu’il enregistrait dans des locaux de fortune à Paris et qui n’ont jamais connu de circuit commercial ont fait le tour des chaumières et des hameaux de la montagne pendant plus de vingt ans. Il n’avait, pour développer sa philosophie de la vie avec le support linguistique de nos ancêtres, que ces bandes amochées et éreintées d’avoir été copiées des milliers de fois. Pour la première fois, Azeffoune s’est penché sur son passé chaâbi. Entre la Casbah d’Alger et Port-Gueydon, l’idylle remonte au 19e siècle. El Anka, El Ankis et tant d’autres encore ont apporté à la Régence le souffle poétique et l’idéal humaniste de la Kabylie. C’est aussi avec une solennité non démentie qu’un hommage bien mérité a été rendu à la diva de la chanson kabyle, Nouara, suivi d’un autre rendez-vous émouvant avec le maestro Chérif Kheddam. Aussi bien à la Coupole qu’à Boumessaoud, Dda Chérif a su réconcilier la jeunesse avec sa culture et son patrimoine. Cette même jeunesse n’a pas omis de se retrouver autour des idées et des espoirs nourris par Ali Zamoum, un militant des causes justes disparu il y a une année. Bien que happés par les problèmes de chez nous, nos artistes n’ont pas pu se soustraire au devoir de solidarité avec les gens qui souffrent dans les autres parties du monde. La dernière agression contre le Liban a mobilisé Aït Menguellet pour associer sa voix à celle des autres artistes pour se solidariser avec un peuple injustement blessé et meurtri. Dans le contexte d’un environnement où les repères identitaires, culturels et sociaux sont malmenés et brouillés, et face à une factice modernité où le strass s’échine toujours à chasser le joyau, une telle communion entre la nouvelle génération et les œuvres culturelles majeures constitutives de la mémoire kabyle doit être appréhendée comme une volonté d’identification, de ressourcement, de continuité et de renaissance.

Amar Naït Messaoud

Partager