(1re partie)
« Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif anechth ousarou. » (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).Un proverbe kabyle dit :Ay Argaz ay amaghvounIk’essen d’i lekhla am sard’ounqui veut dire ceci : (Pauvre de toi, ô homme pareil à un mulet, qui broute les herbes dans les champs et ignore ce qui se passe dans sa maison).Ce proverbe est d’une justesse incroyable. Il illustre bien la séparation des pouvoirs entre l’homme et la femme; A l’homme les champs, à la femme la maison ! Beaucoup de choses peuvent se produire à la maison en l’absence du mari. Voyons ce qui se passe chez ce couple de paysans, que met en scène ce conte du terroir.Cette histoire se passe à l’époque où les animaux avaient le don de la parole.C’est la saison des labours, tous les paysans de la contrée sont aux champs. Les bœufs, les mules et les ânes sont sollicités. Il a plu beaucoup cette année-là, la récolte sera à coup sûr abondante. C’est le cœur joyeux qu’un paysan se rend aux champs. Il pousse devant lui une superbe paire de bœufs. Dès qu’il arrive dans le champ, il se propose de labourer pour la journée. Il attèle ses bœufs à l’araire (lmaâoun) et commence à tracer des sillons. La terre est très friable. Elle n’offre aucune résistance au soc (thaag’arsa) qui la laboure.En quelques heures, les travaux sont bien avancés. Il est midi et c’est l’heure de déjeuner. Le paysan s’arrête un instant pour se sustenter. Il sort de sa besace (asèg’rès) de la galette (aghroum anqarou), des figues (ih’vouven ou inighman) et thavouqalt g-ighi (une gargoulette) de petit lait.Dès qu’il avale une bouchée, un lion affamé (yrad’-izem) sort de la forêt (thiz’gi) et lui dit :- Donne-moi un bœuf à dévorer, sinon, c’est toi que je vais déguster !Le paysan surpris et apeuré, s’exécute pour ne pas se faire dévorer.Ne pouvant continuer à labourer avec un seul bœuf, il rentre chez lui, maudissant le sort qui lui a fait rencontrer un fauve affamé.Le soir même il achète un autre bœuf chez un voisin. Il est bien obligé s’il veut faire ses labours à temps.Le lendemain, il retourne à son champ avec la nouvelle paire de bœufs formée. Il prie le Ciel que le malheur de la veille ne se reproduise pas. Mais, hélas ! trois fois hélas !Le lion ayant pris goût à la viande de bœuf était aux aguets. Dès que le paysan s’arrête pour manger, il surgit de la forêt située à proximité et lui dit :- Efkiyi-d azgarMaoulach ak tchagh !(Donne-moi un bœuf à dévorer, sinon c’est toi qui me serviras de déjeuner !)Le pauvre paysan tremble de tous ses membres, le méchant lion ne plaisante pas. Il montre ses crocs et se tient près à bondir.Pour échapper à la mort, il accepte à contre-cœur de lui livrer un bœuf.Le soir même, afin de pouvoir terminer ses labours, le paysan qui n’avait plus d’argent vend une partie de ses semences pour se payer un autre bœuf.Le lion qui avait trouvé le moyen de se nourrir et de nourrir sa famille à moindre frais, a pris l’habitude de harceler le paysan. Il lui a déjà dévoré trois bœufs et l’hécatombe continue.Ce jour-là, le paysan est dans tous ses états. Si le manège dure encore il va être ruiné et adieu labours, semailles et récoltes.Cette perspective l’attriste. Ne pouvant plus continuer à labourer, il rentre chez lui. En cours de route, il rencontre « Si Mh’amed » (dénomination familière du chacal). Le voyant avec un seul bœuf devant lui, et la mine défaite, il lui dit :- Anda illa ouzguar ouis sinÇvah’ agi ouallagh-k s sin !(Où est le deuxième bœuf ? Ce matin, je t’ai vu avec deux !)- Achou ak’inigh a si Mh’amed’- (Que vais-je te dire, si Mh’amed’ ?). Un malheur, un grand malheur s’est abattu sur moi. Chaque jour, un lion affamé surgit de la forêt et menace de me dévorer si je ne lui donne pas un bœuf à manger. Il m’a ruiné, il m’a dévoré trois bêtes. Un jour ou l’autre, ce sera ma tête !
Benrejdal Lounes (A suivre)