Entre le 31 août et le 1er septembre…

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Par Anouar Rouchi

Par ce premier septembre qui marque symboliquement la fin de la saison estivale, aux aurores, un homme arpente les rues de la ville déserte. Un gigantesque sac de voyage en bandoulière, les cheveux hirsutes, une barbe de plusieurs années qui va dans tous les sens, l’homme, vêtu d’une tenue du plus pur style afghan, semble chercher à s’orienter dans cette bourgade qui a décidément bien changé. Au bout de quelques instants, comme s’il venait de retrouver ses repères, il s’engage dans une rue qu’il remonte d’un pas décidé. Au fond de la rue, il prend à gauche et s’engage dans une impasse. Face à lui se dresse soudain un imposant immeuble du rez-de-chaussée duquel filtre une lumière blafarde. Il s’arrête et hésite à prendre sa décision. C’est alors que, surgie de nulle part, une voix lui intime de s’arrêter et de lever les bras, accompagnée du bruit sec d’une kalachnikov qu’on arme. Tout se passe alors très vite. Deux grands gaillards sortis du néant le ceinturent, le délestent de son sac de voyage, lui passent une paire de menottes et le poussent, sans ménagement, à l’intérieur du commissariat. On le fouille. Pas d’armes, sinon un inoffensif couteau suisse. Pour sa part, le sac de voyage recèle une véritable fortune : des millions de dinars ficelés en liasses épaisses, des dizaines de milliers d’euros et un véritable trésor sous forme de bijoux en or.On l’enferme dans une cellule et on appelle le commissaire.Aussitôt arrivé, le commissaire le fait conduire dans son bureau. – Nom, prénom, date et lieu de naissance, filiation !- Monsieur le commissaire, je descends du djebel…- On le voit très bien. Réponds aux questions !- Monsieur le commissaire, vos hommes m’ont rudoyé. Je demande à ce qu’ils soient sanctionnés ! Et puis, si vous voulez que je réponde, enlevez-mois les menottes…- Tu n’as pas besoin de tes mains pour parler. Répond !- Monsieur le commissaire, je suis venu me rendre. Conformément aux dispositions de la Charte sur la paix et la réconciliation nationale, je dois bénéficier de tous les égards…- Monsieur veut peut-être un petit-déjeuner copieux ? Répond ! – Je veux bénéficier de la loi !- T’as vu la date ? On est le premier septembre !- Et qu’est-ce que ça change, monsieur le commissaire ?- Il y a que les dispositions de la Charte sur la paix ne sont plus d’aucun effet depuis le 31 août à minuit.- Ce n’est pas ce qu’a dit le chef du gouvernement ! Il a dit qu’on ne peut pas limiter la paix dans le temps…- Ce n’est pas le chef du gouvernement qui a dit ça, c’est le chef des redresseurs du FLN.- Monsieur le commissaire, en réalité, je voulais me rendre avant minuit. Mais vous savez, là où j’étais, dans les maquis, les moyens de transport font défaut. J’ai fait le voyage à pied…- C’est très bien ainsi. Ça te fera les mollets. Réponds !- J’ai peut-être quelque chose à proposer…- Je te demande de répondre aux questions. Au fait, où sont tes armes ? Et d’où te vient le trésor que tu trimbales ?- Comme armes, je n’ai qu’un couteau suisse. J’étais préposé aux cuisines. Quant à ce modeste pactole, ce sont mes économies, résultat de trois ans de privation au maquis…- Il faut dire que les maquis sont moins avares que la fonction publique !- Monsieur le commissaire, et si on n’était pas le premier septembre ?- Comment ça ?- Admettons que le premier septembre oublie d’arriver. Nous serions alors le 32 août…- Intéressant… Intéressant… Mais dans ce cas, cher ami, cette année, nous ne ferions Ramadhan que le 55 août…- Ah non, monsieur le commissaire ! Le Ramadhan, c’est le 24 septembre !- Parfait. Alors, nom, prénoms, date et lieu de naissance, filiation !

A. R.

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