Toujours au stade des promesses

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DDK : L’enseignement de tamazight a commencé en 1995 et nous sommes en 2006. Quel bilan pouvez-vous faire de ces 11 années d’enseignement ?B.M : 1995 constitue une charnière dans le combat pour la reconnaissance de la dimension tamazighte en Algérie. Pour la 1ere fois dans l’histoire de l’Algérie et du Maghreb, tamazight est introduit dans le système éducatif, domaine considéré comme une chasse gardée dans lequel seul l’arabe trouve sa place. Nous pouvons considérer cela comme une révolution,qui n’aurait pu avoir lieu s’il n’y avait pas eu des militants qui ont relevé le défi en devenant des enseignants de cette langue malgré toutes les lacunes et les barrières mises par le pouvoir à l’époque, barrières qui sont d’ailleurs toujours existantes. La question qui se posait à l’époque était la suivante : faut-il investir le terrain et accepter l’introduction de tamazight dans l’école, sans moyens pédagogiques et didactiques, ou retarder l’échéance jusqu’à ce que les enseignants nécessaires soient formés pour cet enseignement. C’était le 1er choix qui a été fait. Pourquoi ? Nous étions et nous le sommes toujours face à un pouvoir ayant pour idéologie l’arabo-islamisme qui s’oppose à tout ce qui est berbère. Donc devant une concession, du pouvoir, de cette taille : reconnaître, pour ne pas dire tolérer, tamazight dans le système éducatif, était quelque chose d’inestimable. Et si nous avions opté pour le second choix, qu’aujourd’hui peut-être aucune classe n’aurait été ouverte pour l’enseignement de notre langue.

N’était-ce pas beaucoup plus un choix politique ?Il est clair que c’était un choix politique le fait de recruter des enseignants en 1995, choix qui ne répondait à aucune considération pédagogique, mais il ne faut pas perdre de vue que les enseignants de 1995 avaient tamazight dans les tripes et qu’ils avaient, du moins la plupart, une formation dans le mouvement associatif, de même que tamazight était une affaire politique du moins du côté du pouvoir en place. Nous avons toutes les raisons de penser que si en 1995 nous n’avions pas investi le terrain, il n’y aurait jamais eu d’enseignement de tamazight et cela nous le devons à la 1ere promotion « Mouloud-Mammeri » qui a accepté de relever le défi et faire de l’enseignement de cette langue une réalité, et c’est à ce titre que ces enseignants méritent amplement le titre de pionniers.Est-ce que le statut de langue nationale de tamazight a influé sur son enseignement ?La constitutionnalisation de tamazight était une initiative que tous les berbérophones attendaient depuis l’Indépendance et qui a été accueillie avec grande joie, mais nous nous sommes rendu compte, nous les enseignants, que l’article 3 bis n’était que de la poudre aux yeux pour calmer les esprits « surchauffés » durant les événements de Kabylie, et que le pouvoir en place n’a réellement pas changé d’un iota, puisque aucune retombée n’a été ressentie sur le terrain. Tamazight est reconnue comme langue nationale et après ? Voilà la question qu’en se pose actuellement. Je m’explique : parmi ces retombées que nous, enseignants, attendions de cette constitutionnalisation, l’obligation de l’enseignement de tamazight et sa généralisation au moins dans la Kabylie, mais nous avons été choqués d’entendre le ministre de l’Education annoncer devant les députés de la nation « nous ne pouvons obliger personne à étudier le tamazight », ce n’est pas seulement très grave, mais cela va à l’encontre des engagements qu’il a tenu le mois de décembre dernier, et, aussi, contre les différentes circulaires qu’il a signé de sa propre main. Par moment et devant ce genre de comportement, je reprendrai par une phrase d’un ami enseignant de tamazight qui dit : « Nous aurions souhaité être des arabes en israël, dont la langue arabe est une langue officielle que des berbères en Algérie dont la langue est à peine tolérée ! ». Il est inconcevable de considérer tamazight comme une matière facultative dans son propre pays et pour ses propres locuteurs ! Cette décision du pouvoir met au grand jour sa malhonnêteté.

Toujours est-il que la langue tamazighte est enseignée dans onze wilayas, selon les dernières déclarations du ministre, et ceci ne peut être qu’une avancée de l’enseignement de cette langue non ? Tamazight est enseignée dans trois wilayas pour nous car si la présence d’un ou trois enseignants à Alger, par exemple, s’appelle de l’enseignement de cette langue, pour moi je n’appelle pas ça comme étant enseignement dans une wilaya. Que fait le ministère de l’Education quand il veut faire tout un tintamarre, ou faire croire que tamazight est bien prise en charge ? Il communique par les chiffres et cela n’est pas une évaluation de l’importance de tamazight, ceci n’est qu’un discours triomphaliste de nos responsables quand ils veulent galvaniser la population par le fameux enseignement de notre langue. D’abord dans 18, puis 16 et maintenant 11 wilayas ; la réalité est tout autre, une réalité pesante dans laquelle l’enseignant est confronté tout seul à un mur vraiment infranchissable.

Comment se matérialise ce mur ?C’est très simple, le ministère de l’Education réagit quand-il sent que la situation risque de dégénérer du fait qu’il n’est même pas au courant de l’évolution de la situation de l’enseignement de tamazight ; à titre d’exemple,en 1999 nous avions rencontrés (l’association des enseignants de tamazight de Tizi Ouzou) le ministre et suite à nos doléances avait répondu : « Je ne suis pas bien informé de la situation de cet enseignement. S’ensuivirent alors des promesses et des promesses, le mois de décembre dernier, le 13 exactement rebelote nous rencontrons toujours le même ministre ainsi que le même staff, la situation n’a pas évolué puisque le ministre n’est toujours pas informé sur la situation de l’enseignement de tamazight et à la question de savoir pourquoi tamazight n’est pas enseignée dans les écoles primaires à Tizi Ouzou, le secrétaire général nous sort un argument qui ne tient vraiment pas debout qui est  » un sondage a été fait et les enfants de la wilaya de Tizi Ouzou ne veulent pas étudier tamazight ! »: ou bien le sondage n’existe pas (ce dont je suis personnellement convaincu), ou bien ce n’est qu’une échappatoire trouvéé par les décideurs au niveau du ministère pour se justifier devant le ministre, la preuve en janvier dernier quelques 80 enseignants détenteurs d’une licence de tamazight ont été affectés dans les établissements du 1er palier à Tizi Ouzou mais nous n’avons pas entendu un quelconque refus ou boycott de cet enseignement par les élèves et encore moins les parents, au contraire cela à été accueilli avec un grand engouement. Peut-on dire alors que la situation de l’enseignement de tamazight s’est améliorée ?Du point de vue qualitatif de beaucoup et cela grâce aux enseignants et inspecteurs qui font un travail de titans, à savoir du point de vue de la maîtrise de la pédagogie de projet par exemple, de l’élaboration de manuels. Mais il est important de signaler que si au niveau du ministère de l’Education et du gouvernement en général, il y avait cette volonté de promouvoir tamazight, son enseignement se trouvera beaucoup mieux, pour cela il suffit que la tutelle et les décideurs tiennent seulement leur promesses. Il est aussi important de signaler que le nombre de postes budgétaires accordé pour tamazight est très insignifiant par rapport aux autres matières enseignées, à titre d’exemple l’année dernière seulement 12 postes ont été accordés,alors qu’il y’a plus de 100 enseignants vacataires. Cette année plus de 180 se sont présentés au concours du 9 du mois courant mais seulement une cinquantaine d’entre-eux seront retenus, sur cela il serait très important que le ministère et la direction de l’éducation augmentent d’une façon consistante le nombre de postes pour les années à venir.

Quels sont les problèmes que vous, enseignants, rencontrez sur le terrain ?Si vous parlez des classes ou des élèves, à ma connaissance aucun enseignant ou enseignante n’a soulevé ce genre de problèmes ; mais si vous parlez des problèmes que certains responsables d’établissements ou notre tutelle nous posent, ils sont nombreux : D’abord au niveau du ministère et au risque de me répéter ils ne tiennent pas leurs promesses à savoir que lors de notre dernière rencontre avec M.Ben bouzid il avait en personne promis que :1) Le budget ne manque pas, toutes les demandes seront satisfaites suivant le nombre d’enseignants disponibles.2) Organiser conjointement MEN/HCA la formation de candidats désireux d’enseigner tamazight ayant des connaissances en langue amazigh3) Assouplissement des conditions d’entrée aux IFPM pour la discipline tamazight en annulant la limitation de l’âge.4) Formation continue des enseignants en poste5) Tous les licenciés de langue et littérature amazighes seront recrutés, des contacts seront établis avec les DLCA de Tizi Ouzou et de Béjaïa pour une convention de recrutement.Même les 4ème années peuvent être recrutés comme vacataires.6) l’intégration de tous les contractuels avant la fin de l’année 2005,7) Création des commissions auxquelles les enseignants devront participer,8) renforcement du corps des inspecteurs par les enseignants qualifiés, surtout pour le primaire, les enseignants ayant une certaine expérience mais n’ayant pas la licence.En plus de l’assouplissement des lois par rapport à l’enseignement de tamazight conformément aux décret du 8 mai 2005.Ce ne sont que quelques points soulevés durant la réunion tenue au siège du ministère entre ce dernier, le HCA et nous, représentants des enseignants. Mais il est regrettable de dire que parmi tous ces points, un seul a été satisfait à savoir le recrutement de près de 80 enseignants pour le primaire, sinon tous les autres ont été mis aux oubliettes et considérés par les enseignants comme promesses non tenues Qu’en est-il maintenant des enseignants ayant participé au stage de 1995, est-ce que leur situation a été régularisée ?Pour la plupart oui,car étant des enseignants de formation le problème ne s’est pas posé, mais pour ce qui est de ceux qui ont été recrutés et ayant le niveau de 3eme AS ou de 4ème AM ;le problème persiste toujours, à savoir que pour les premiers cités (3AS) ils ont le titre d’adjoint d’éducation et pour les 4AM celui d’OP (ouvriers professionnels) mais qui font fonction d’enseignants de tamazight (cette mention a d’ailleurs été supprimé cette année selon uneenseignante du CEM Taka) et sur cela aussi des promesses ont été faites à savoir : les enseignants titulaires de l’attestation de stage de l’été 1995 (Tanaga) intégrés comme adjoints d’éducation ou O.P,sera revu de façon à les intégrer en qualité d’enseignants de la manière suivante : ceux qui ont un niveau au dessous de la 3AS (2AS, 1AS ?4AM, 3AM, CAP etc.) seront intégrés en qualité d’instructeurs. Pour cela une demande exéptionnelle de conversion de PB (poste budgétaire) sera introduite au niveau de la FP (Fonction publique) une formation peut leur être dispensée pour préparer le BSC et par voie de conséquence la promotion au titre de MEF. Et malheureusement rien n’a été fait pour ces enseignants qui ont cravaché pendant onze longues années pour se voir enfin réduits à être des OP, ou des adjoints d’éducation, d’ailleurs il y en a qui ont quitté et d’autres qui sont actuellement adjoints après 10 années de loyaux services. De toute façon le ministère de l’Education n’est vraiment pas disposé à régler la situation de l’enseignement de tamazight mais au contraire fait tout pour la compliquer et ainsi décourager les enseignants d’abord à abandonner et pousser les bacheliers à ne pas opter pour tamazight, mais sur le 1er point il se trompe lourdement car les enseignants sont plus que jamais déterminés à continuer leur mission, donc leur militantisme et qu’ils n’abdiqueront pas. Pour ce qui est de la direction de l’éducation, l’association a introduit deux demandes auprès d’abord de l’ex- DE qui n’a d’ailleurs donné aucune réponse, quant à l’actuel, nous avons reçu une réponse, à savoir nous rendre à la direction de l’éducation les journées de réception (le lundi ou le mardi). Nous nous y sommes rendus, nous avons rencontré le SG, qui devait transmettre nos doléances et enfin être reçus par le DE, et durant plus d’un mois nous faisions la navette chaque lundi à la DE mais le 1er responsable était toujours de sortie et à ce jour aucune rencontre avec le DE de Tizi Ouzou. Une autre demande a été introduite la semaine dernière. Une plate-forme de revendication a été remise à la DE, au ministère. Nous attendons toujours.

Propos recueillis parKhaled Zahem

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