l Le Soudan posséde des écrivains phénoménaux. Sorti aux éditions Actes Sud, Nubian Indigo, le roman de Jamal Mahjoub, traduit de l’anglais, est un pur bonheur. A l’instar de Tayeb Salih, il fait rappeler parfois la narration inspirée de Gabriel Garcia Marquez.La douleur incite à l’écriture. Nubian Indigo raconte l’histoire d’une perte. Une grande perte. L’auteur revient sur un épisode historique, la construction d’un grand barrage sur les berges du Nil. La nouvelle infrastructure hydraulique voit le jour et engloutit tout un territoire : des villages, des vergers, des recoins d’espace, avec leur vécu et leur mémoire. Les villageois de la région tentent de s’opposer à la nouvelle réalisation mais en vain, la puissance des décideurs est sans pitié. L’écrivain qui raconte l’histoire est en exil, comme son ami, un peintre talentueux. Ils parlent de leur pays perdu et se posent des questions. Des questions douloureuses dont on ne connait pas les réponses. Des histoires s’enchevêtrent dans d’autres histoires et les différentes époques se confondent dans cette fiction agréable à lire. Il y a, dans ce roman réussi, même un personnage que l’auteur ne désigne que par la lettre K. Est-ce un hommage à Kafka ? Probablement. Les personnages de Nubian Indigo ont le temps de savourer les petits instants de bonheur que la vie offre parfois même quand la misère impose sa loi. Le Nil et les gens du Nil sont décrits dans toute leur splendeur. La splendeur des gens simples. Les dirigeants militaires sont aussi dénoncés mais avec finesse et talent. Un des acteurs importants de ce texte veut écrire des poèmes. «Il songeait à une sorte d’épopée, une ode, un récit en vers qui raconterait l’histoire d’un esprit hantant la vieille cité comme un témoin. Cet esprit généreux serait sensible à la nature fugace de l’existence humaine : nous venons au monde, nous mourons, mais nous apportons quelque chose avec nous, et le laissons derrière nous. Mais aussi, et en plus important, il allait raconter l’histoire de ce peuple. L’humanité, l’histoire, il ne parvenait même pas à leur donner un nom, et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agissait, tout ce qu’il avait ressenti lui-même ces derniers jours à la vue des traces laissées après leur départ, ce qu’on ne pouvait ni représenter d’une manière objective, mais que seule la poésie pourrait saisir», écrit Jamal Majoub. Nubian Indigo est un livre plein de charme et de poésie. C’est le sixième texte traduit en français de cet auteur, né à Londres en 1960, qui a grandi à Khartoum et qui vit actuellement en Espagne. Nubian Indigo est parsemé de légendes captivantes. Des légendes qui nous disent l’importance de l’eau, de la nature en général. Nubian Indigo représente également un regard lucide porté sur la bêtise humaine. Mais la bêtise humaine ne semble pas en mesure de s’arrêter.
F. A.M.
