Parfois certaines de ces anciennes nouvelles sont revisitées par leur auteur et sont intégrées dans son théâtre. L’inspiration a parfois des cheminements inattendus. Mise en scène par Jean-Louis Martinelli, la Virée, la dernière pièce de Aziz Chouaki est jouée par Hammou Graïa, Zakariya Gouram et Mounir Margoum.
Dans une Algérie imaginaire, Mokhtar, Lakhdar et Rachid rêvent d’un autre monde. Ils veulent gueuler leur rage de vivre, » faire bombance « , pour échapper à la réalité qui les entoure (pauvreté, islamisme, frustration sexuelle, dictature, corruption).
Ils rêvent d’être gangsters ou rockstars, évoquent des personnages, des extraits de films, des chansons qui sont autant de clichés de la culture occidentale. Le temps d’une soirée, ils vont tenter de noyer leur désespoir dans le mauvais alcool, le shit et les amphétamines, mais leur « virée » se transformera en errance spatiale et psychologique et débouchera sur le drame. La violence, le déchirement intérieur s’expriment dans une langue bariolée, métissée de français, d’arabe et d’anglais, où la syntaxe explose. « Une virée », celle de trois garçons dans Alger, inspirée par un fait divers américain : un massacre entre copains qui se disputent à propos de Madonna.
Ici il s’agit de Khaled et Cheb Mami, mais l’énergie désespérée de ces gamins sans avenir demeure tout aussi suicidaire.
Et s’y retrouve l’extravagante richesse d’un langage qui, à partir du français, du kabyle, de l’arabe, semble s’inventer à chaque mot. “Un Oriental avec tout le jasmin et la vase, mais aussi un parfait clone de la colonisation” ainsi se définit Aziz Chouaki.
Porter sur scène la poésie sauvage de cette écriture, est, pour Jean-Louis Martinelli un défi exaltant. Hors toute attitude compassionnelle, il saisit l’occasion de dire, redire à quoi rêve la jeunesse. L’occasion de cerner le gâchis que ces gosses, là bas comme ici, ont dans la tête, et leur indestructible vitalité. « Dans une Alger déchiquetée par l’islamisme, le crime et la corruption, la vie essaye de se trouver du sens. Pour preuve, trois amis veulent faire bombance. Car c’est l’un des thèmes centraux de ce texte : faire bombance. Sauf que ça se passe dans un pays qui se décompose.
Trois personnages aussi divers que complémentaires, qui vont, l’espace d’une errance, d’un soir, essayer d’assembler leurs lignes de fracture. Unis dans la dérive, ils se montreront leurs fantasmes, leur Algérie. Ils vont opposer la rage de leur blues contre celle du béton, du discours.
A travers cette errance, des éléments du drame sont donnés à voir en puzzle. Toujours puisés dans la représentation du quotidien simple, dans la nature de sa langue.
Tournée des bars, kif, gueuletons, amphétamines, alcool, le trio achève son errance sur une plage, dans la banlieue d’Alger. Ils sont traversés par toutes les névroses du pays, le fauve reprend le dessus et le drame arrive, presque gratuit.
Cette pièce montre les personnages aux prises avec un réel piégée, sans issue. Ils vont évoluer dans leur dérive comme des sortes de boussoles détraquées.
A un certain endroit, ce texte est aussi un franc bouquet de sensations, d’odeurs, de tchatche. Un hommage à l’idée d’un certain possible, bientôt, en Algérie », souligne Aziz Chouaki.
Pour rappel, l’ancien nouvelliste est également romancier avec notamment L’etoile d’Alger et Arobase, deux textes de romans parus aux éditions Balland qui ont, par la suite, fait faillite.
« Ce livre, Arobase, constitue pour moi un capteur, c’est ce que l’air du temps me propose comme vision du monde, aujourd’hui. J’ai inventé ce personnage, Arobase, pour représenter une sorte de point de croisement des grandes questions contemporaines (technologie, migrations humaines, art). A travers cette belle jeune femme, qui veut mettre en scène Othello, c’est une image de la femme que j’ai voulu proposer, à la fois battante et fragile, amoureuse et pugnace.
En même temps histoire d’amour et traversée de l’univers du théâtre français, Arobase est une espèce d’offrande aux Dieux de la fiction pour savourer ce goût indescriptible que constitue le simple fait de raconter une histoire.
Celle-ci en l’occurrence, je la dédie à tous les gens qui croient au père Noël, aux contes de fées, et à tout ce que l’imaginaire peut produire de magnifique », estime l’auteur qui, à bien des égards, promet beaucoup.
Farid Aït Mansour
