Ces deux “écrivains” à un degré moindre Letourneux n’ont à priori rien à voir avec le monde de l’écriture et de l’anthropologie si l’on décortique leurs biographies.Hanoteau est général de brigade, Commandeur de la Légion d’honneur et du Nichan Iftikhar de Tunis, officier de l’ordre de Leopold de Belgique et ancien commandant de la subdivision de Dellys. A Letourneux est conseiller à la cour d’appel d’Alger, chevalier de la légion d’honneur, président de la société de climatologie, membre de la société botanique de France, et enfin une dernière fonction qui justifie tant bien que mal son intéressement à l’Algérie, vice-président de la société historique d’Alger.Au vu de ces biographies à caractère purement militaire, on déduira aisément que ces auteurs ont écrit et étudié la société uniquement pour les besoins d’ordre colonialiste.Ce livre écrit quelques années après la prise de la Kabylie en 1871, à ce mérite de nous replonger dans la vie quotidienne, les mœurs et règlements des archs de cette terrible époque.La première partie du livre est consacrée à l’organisation politique et administrative de la Kabylie après sa soumission et son occupation par l’armée coloniale.L’auteur ou les auteurs découvrent que “l’organisation politique et administrative du peuple kabyle est une des plus démocratiques et en même temps, une des plus simples”.Et d’adresser des fléchettes à leurs compatriotes de la métropole.“L’idéal du gouvernement libre et bon marché (les fonctions ne sont pas rétribuées NDLR) dont nos philosophes cherchent encore la formule à travers mille utopies est une réalité depuis des siècles dans les montanges kabyles”, vient ensuite l’organisation intra-muros de chaque village kabyle avec ses différentes fractions adroum, thakharoubt, Toufik etc…Ce dernier mot étant d’origine arabe et qui signifie “ se mettre d’accord, convenir d’une chose”, takharoubt tire son ethymiologie de l’arbre caroubier, vénéré par les kabyles au points de ne jamais couper son bois, le pire du sacrilège étant de se chauffer avec ce même bois l’Amin est le gardien actif, vigilant et désintéressé de la communauté. Nous avons signalé au début que “les élus” de la Djemaâ ne perçoivent aucune rétribution et assument cette lourde responsabilité à titre honorifique et à tour de rôle.Comment est choisi l’Amin ? Les auteurs nous éclairent : “Il est toujours choisi dans une des familles influentes du pays. Il doit être assuré de l’appui d’un “çof” assez fort pour faire respecter son autorité”. Le çof est une association d’assistance mutuelle dans la défense et dans l’attaque au cours d’attaques inter-villages ou d’attaque extérieures.Rien n’est laissé au hasard, par ces deux écrivains qui ont observé à la loupe des années durant la société kabyle.Même les événements les plus anodins, sont passés au peigne fin, il en est ainsi du marché hebdomadaire, de l’école (Timamart) où on étudiait le Coran, les conditions d’admission à l’école coranique, la discipline intérieure.On peut lire aussi des chapitres consacrés aux mœurs. Dans le chapitre hospitalité, nous lisons en page 45 que “l’hôte est toujours traité avec égards et mieux nourri que la famille où il est reçu”. Le rituel Timechrett n’a pas été aussi en reste de cette minutieuses description de la Kabylie d’antan et dont certaines pratiques n’ont pas vieilli d’une ride.Le chapitre le plus intéressant est celui relatif aux modifications apportées à la constitution kabyle après la conquête, écrit par ces deux militaires-auteurs qui reconnaissent “les attributions de l’Amin sans être changées, officiellement ont nécessairement varié avec celles de la Djemaâ. Il doit rendre compte à l’autorité française de ce qui se passe dans son village et il est l’agent d’exécution de ses ordres. Il perçoit d’après des rôles approuvés par le gouverneur général et verse directement entre les mains des employés des contributions l’impôt…”Un livre à lire absolument.
M.Ouanèche
La Kabylie et les coutumes kabylesA Hanoteau et A. LetourneuxEdition Atout Kabylie-EuropeOctobre 1998, pour la réédition et 1983 pour l’édition originale de la librairie algérienne et coloniale.
