Le Clezio repart au Mexique

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Un jour ou l’autre, il aura le prix Nobel de littérature. C’est ce que prédisent de nombreux connaisseurs du monde des lettres. Chaque nouveau roman de Jean-Marie Le Clézio est un événement. A l’occasion de la sortie d’Ourania (chez Gallimard), une rêverie sur une république idéale mexicaine, il est bon d’avoir une pensée pour les écrits merveilleux de cet auteur hors du commun.

Ourania est un livre presque surréaliste et diffère un peu des derniers écrits de l’auteur qui n’arrêtait pas de parler surtout de sa famille. Né en 1940, ayant publié son premier roman, Le procès-verbal, en 1963 (prix Renaudot), livre-événement, Le Clézio est un phénomène. En révolte contre la société occidentale (La guerre, Les géants), il parcourt l’Afrique (Désert) mais surtout l’Amérique et s’intéresse de très près au Mexique (Le rêve mexicain), où il fait de nombreux séjours. Avec ses récits de voyages, contes, essais,

Le Clézio est d’abord un artiste. Son nouveau livre, Ourania, nous ramène au Mexique, à la rencontre d’une république idéale, Campos, vue par le regard de Daniel Sillitoe, géographe français en mission. Le livre surprend, déconcerte, fascine par son tragique, sa tristesse, son incroyable richesse visuelle et sa rébellion contre les pauvretés d’un peuple. Ourania témoigne, une fois de plus, de l’énorme capacité de renouvellement d’un écrivain qui apparaît, aujourd’hui, comme le seul nobélisable de sa génération, estime le magazine le Point. Cet homme de 66 ans fait immanquablement penser au formidable Victor Hugo publiant Les misérables. Ourania, livre-épopée entre histoire, légende, religiosité et dénonciation, ethnographie et poésie, marquera l’histoire de la littérature et celle de notre époque. L’auteur s’impose en visitant les nouveaux bagnes du mondialisme. Le livre est aussi un puissant chant sensuel, comme si tous les bruits nocturnes et souterrains du Mexique envahissaient l’oeuvre. Ce renouvellement, cette métamorphose stylistique aussi, pour un écrivain de cette stature – et qui a déjà tant donné – pose des questions. Lui aussi sait répondre.

« J’ai été un élève médiocre. Le seul professeur qui m’ait encouragé était mon professeur de français latin-grec,

M. Larmat, le seul qui m’ait jamais donné 20/20 pour mes dissertations françaises. C’était un homme fin, extrêmement humain, qui avait été instituteur dans un village des Basses-Pyrénées et nous racontait que certains de ses élèves avaient les avant-bras déformés d’avoir travaillé très jeunes aux champs, à peser de tout leur poids sur les charrues », se souvient l’écrivain. A propos de son premier livre, il affirme: « C’était une drôle d’époque. J’ai commencé à écrire ce livre alors que la guerre d’Algérie n’était pas finie, et que planait sur les garçons la menace d’être envoyés dans le contingent. Un de mes camarades, un garçon très artiste, très rebelle, nommé Vincent, du fait de ses mauvaises notes, est parti à la fin de l’année 1960, et il a été aussitôt tué dans une embuscade. Un autre convoyait des fonds pour le FLN. Un autre était revenu en permission, le cerveau lessivé, ne parlant que de bazookas et de « bidons spéciaux » (comme on nommait pudiquement le napalm). Certains de mes camarades pour échapper au Moloch se tiraient une balle dans le pied, ou s’injectaient de la caféine pour feindre une tachycardie, ou construisaient une folie qui au cours des semaines de traitement à l’hôpital militaire devenait réelle. L’état d’esprit, c’était un mélange d’agressivité et de dérision, duquel le mot “absurde” ne rendait qu’un faible écho. En même temps régnait en France un racisme anti-arabe des plus répugnants, dont je ne peux m’empêcher de ressentir la résurgence aujourd’hui. Alors j’écrivais “Le procès-verbal” par bribes, dans le fond d’un café, en y mêlant des morceaux de conversation entendus, des images, des découpes de journal. Au jour le jour. Le roman a été fini après les accords d’Evian, quand j’ai compris que la menace s’arrêtait, que nous allions vivre. Il est resté un peu plus d’un an à l’état de manuscrit, puis a été présenté au prix international européen Formentor (la récompense était un séjour tous frais payés dans l’île de Formentera), mais c’est Uwe Johnson qui l’a eu ! L’automne suivant, j’ai été consolé par le prix Renaudot ! « .

Il ajoute: « Je crois que cette guerre (mais on a tardé à parler de guerre, à l’époque on disait « les événements », et les indépendantistes algériens étaient des HLL (des hors-la-loi), a rempli tous ceux de ma génération d’une dose d’horreur telle qu’ils ont été incapables d’en parler avec objectivité. Voyez les témoignages de ceux qui y ont été, à quel point ils se sont fait attendre. Il y a eu – à l’exception de quelques militants courageux – une sorte de refus, de négation. On l’a transférée sur un autre plan, sur la violence urbaine, la dénonciation de la société industrielle, sur l’espoir d’une liberté morale, ou sexuelle, sur les illusions du mouvement « beat ».

Pour ma part, je crois qu’à compter de cette date j’ai cessé, dans ma tête ou pour de vrai, de vivre en France. J’ai vécu en Angleterre, puis en Thaïlande, au Mexique, à Panama ». C’est donc un écrivain à l’écoute du monde. « J’ai été extrêmement content de ma première lettre de promesse de publication, qui était manuscrite, et envoyée par Georges Lambrichs, directeur chez Gallimard de la collection Le Chemin, une belle lettre très brève, à sa manière, très chaleureuse. J’ai tardé à y aller à Paris. Georges Lambrichs me pressait de venir. Il fallait des photos. J’ai envoyé un Photomaton, j’ai attendu plus d’un an. Par paresse, je crois, plutôt que par méfiance. Je ne suis venu à Paris qu’au moment de la proclamation du prix Renaudot, pour les photos, justement, et quelques cocktails qui m’ont fort ennuyé ». C’est un peu pour dire que son vrai monde demeure toujours la littérature.

F. A. M.

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