Les papes de Tizi

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Par Anouar Rouchi

En moins de deux jours de conclave, les cardinaux de l’Eglise catholique ont doté le Vatican d’un nouveau pape, qui a choisi de siéger sous le nom de Benoît XVI. Tout le monde a été surpris par la rapidité de l’opération, à commencer par le préposé à la cheminée de la chapelle qui a commis une faute d’orthographe dans le message annonçant l’élection du Saint-père, puisque la fumée était plutôt noire avant de devenir progressivement blanche.Le successeur de Jean Paul II, de nationalité allemande, était chargé du dogme et se présente comme un parfait conservateur. Résultat : tous ceux qui espéraient une réforme sont réduits à attendre le prochain conclave. De même, les Américains du Sud, avec leur milliard de chrétiens, sont déçus de ne pas voir élu l’un des leurs. Même chose pour les Africains qui espéraient un peu de reconnaissance… En Algérie, la communauté chrétienne en général et catholique en particulier étant très réduite, l’événement n’a suscité qu’un intérêt mitigé. C’est davantage de la curiosité que de l’intérêt, d’ailleurs.Depuis près d’un an que les Algériens guettent la cheminée du palais d’El Mouradia, rien n’indique encore ce changement de gouvernement tant attendu et qui joue à l’Arlésienne, maltraitant les nerfs des ministres en exercice et ceux des candidats aux portefeuilles ministériels. Plus loin que l’Algérie, en Kabylie, l’intérêt est polarisé par un tout autre évènement qui consiste en la double commémoration du Printemps berbère et du Printemps noir. Ce double anniversaire n’aurait sans doute pas suscité un si grand intérêt médiatique si le chef du gouvernement n’avait décidé de mettre son grain de sel en allant, notamment, se recueillir sur la tombe de Massinissa, dont la mort à l’intérieur d’une brigade de gendarmerie fut à la base de tous les évènements qui ont ébranlé la région. Cette visite, qui plus est d’un enfant du pays, est différemment appréciée. Si le mot “apaisement” est celui qui revient le plus dans les discussions, il n’en demeure pas moins que d’aucuns, en grève de parole depuis le 8 avril 2004, ont trouvé là l’occasion de renouer avec la diatribe. Jouant avec les mots, ils confondent volontairement amnésie et amnistie. D’autres vont plus loin en affirmant que c’est une tahison que d’accueillir le chef du gouvernement sur sa terre natale. Ainsi, le père de Massinissa serait amnésique et il aurait trahi la mémoire de son fils ! Quelles élucubrations ! Que les boutefeux qui appellent à la permanence des combats, aussi sanglants soient-ils, nous disent simplement si un jour ils ont engagé leurs propres enfants dans la bataille. Pendant que les enfants de Kabylie perdaient une année scolaire, dans quelle école privée étaient les leurs ? Pendant que des enfants de Kabylie excités à souhait et chauffés à blanc tombaient sous les balles, dans quelle plage sécurisée leur progéniture piquaient-ils une tête ? Ou dans quelle avenue de Paris faisaient-ils leur shopping ?La vérité est que la paix et la sérénité ne travaillent pas leurs intérêts. Leur objectif, à peine dissimulé, est de faire de la Kabylie une chasse gardée sur laquelle ils régneraient en maîtres, au nom de valeurs qu’ils ont publiquement dévoyées. Mais les Kabyles ne sont pas dupes et la Kabylie ne sera jamais une principauté. Pas plus qu’il n’y aura, un jour, une fumée blanche au sommet du Djurdjura pour annoncer l’élection de ce pape… qu’ils veulent être.

A. R.

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