Un Kabyle à Tunis

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Le film passe à 16 heures. Il s’agit de Viva l’Aldjérie de Nadir Moknèche avec Lubna Azabal et Nadia Kaci. Les cinéphiles ne se bousculent pas devant le guichet. Non pas que le film n’intéresse pas les Tunisiens, mais dans cette ville, l’activité cinématographique bouillonne. Plus de vingt salles proposent quotidiennement des films américains, tunisiens, égyptiens et algériens. La salle “ABC” programme pour ce lundi 11 avril 2005 le film tunisien Halet Hob (un cas d’amour) avec Hani Salama et Hend Sabri. La projection aura lieu en présence de cet acteur. Le prix d’accès aux salles de cinéma tunisoises est relativement cher : 2,50 dinars tunisiens (l’équivalent de 200 DA). Pour se distraire, le citoyen a l’embarras du choix. En plus du cinéma, le théâtre est très animé. La salle du théâtre municipal située à l’avenue Bourguiba (les Champs Elysées de Tunis) est une bâtisse somptueuse.L’évènement culturel ici est l’avant-première de la pièce El Mutachaâbitoun. Les affiches de la pièce sont perceptibles dans chaque coin de rue au boulevard Habib Bourguiba. Le comédien Salah Msaddek occupe l’essentiel de l’affiche. La presse quotidienne consacre de larges espaces à cette production dramatique. Il y est question d’un chef de famille, écrasé par la personnalité de sa femme qui traîne un sentiment de culpabilité. Celle-ci, confortée par le silence de son mari pousse chaque jour plus loin sa folie des grandeurs. Son époux lui procure un sentiment de notoriété à tel point qu’elle entame une série de transformations des décors en substituant aux objets et aux meubles du propriétaire initial au goût raffiné, des bricoles tout à fait kitsh. Les personnages de la pièce sont appelés à se “dénuder” devant les spectateurs, soulignant leur dérision, leur fragilité, leur hypocrisie et les excès dans lesquels ils se sont confortablement installés. La pièce mise en scène par Mohamed Driss a eu un écho retentissant. On aperçoit quotidiennement des grappes de jeunes sortir de la salle de théâtre aux environs de 21 heures. Ce n’est pas tout puisque à Carthage c’est un festival international du Jazz qui est annoncé du 12 au 16 avril 2005. Il est sponsorisé par l’opérateur téléphonique Tunisiana et Tunisair. Sont programmés Julien Lourau Quintet, Steve Coleman, Johnny Griffin, Quartet, Barbabar Hendricks… L’évènement bénéficie lui aussi d’une page de pub, en couleurs, sur le quotidien “Le temps”. Le journal Le Renouveau du 9 avril 2005 publie la liste de vingt écrivains tunisiens, dix arabophones, dix francophones, lauréats du prix littéraire Comar d’Or, édition 2005, 9e édition. Parmi les romanciers primés, on distingue Fouad Zaouche pour Le maître du jeu, Jamel Ghannouchi pour Le mage le sage et Amours mosaïques d’Abdelaziz Belkhodja. Les librairies de Tunis sont achalandées de livres en français et en arabe. De larges rayons sont consacrés aux guides touristiques. La librairie Al Alamia a plus de cent ans, nous dit l’une des vendeuses qui, nous voyant nous attarder entre les différents étals, demande si nous étions à la recherche d’un livre. Nous la questionnons sur “Ulysse” de James Joyce, introuvable en Algérie. Elle tape sur un ordinateur et nous dit que le dernier exemplaire a été vendu il y a deux mois. La librairie El Alamia, sise au 17, avenue de France, est dotée de sa propre imprimerie. Elle fut la propriété d’un juif. “Des Français qui ont vécu à Tunis dans leur enfance et adolescence et ayant beaucoup fréquenté cette librairie viennent passer leurs vacances à Tunis spécialement pour visiter cette librairie, qui leur rappelle tant de bons souvenirs”, confie la dame avec fierté. Les livres d’auteurs algériens sont disponibles. Nous y avons trouvé des romans de Feraoun, Dib, Yacine, Khadra, Boudjedra et Salim Bachi. Le tourisme détient la part du lion en Tunisie. Ce que l’Algérie gagne en devises en exportant ses hydrocarbures, la Tunisie le détient grâce au tourisme. Une concurrence terrible existe contre complexes touristiques et hôtels. C’est à qui offrirait les meilleures prestations avec le prix le plus compétitif. Exemple : “A Monastir, front de mer, pour votre calme, confort et intimité, emplacement exceptionnel”. En cette période, le Hammamet Regency Hôtel offre des promotions jusqu’au 30 avril 2005. Le complexe, disposant d’une piscine et d’un centre de remise en forme, propose la demi-pension (2 jours) à 60 dinars tunisiens. L’hôtel El Olf Las Palmas, de son côté, affiche le prix de 38 000 DT. Cet établissement est situé dans la zone touristique Hammamet Yasmine. Au moment de notre passage, des tractations sont en cours avec Malte pour des échanges en matière de tourisme. Leurs ministres de tourisme ont discuté sur les moyens à même de développer la coopération dans le domaine touristique. Tidjani Haddad, ministre tunisien du tourisme, précis que la Tunisie est mue par la volonté de consolider les flux touristiques maltais en direction de la destination tunisienne et que les affinités historiques et culturelles qui existent entre les deux peuples militent en faveur de la réalisation de cet objectif. Les souks tunisiens ont la vocation touristique. On ne peut pas aller à Tunis sans visiter ses souks. André Gide, l’écrivain français, prix Nobel de littérature, en visite à Tunis, a écrit : “A l’automne d’il y a trois ans, notre arrivée à Tunis fut merveilleuse. C’était encore, bien que déjà très abîmée par les grands boulevards qui la traversent, une ville classique et belle, uniforme harmonieusement, dont les maisons blanchies semblaient s’illuminer au soir, intimement, comme des lampes d’albâtre. Dès qu’on quittait le port français, on ne voyait plus un seul arbre, on cherchait l’ombre dans les souks, les grands marchés voûtés ou d’étoffes et de planches, il n’y pénétrait plus qu’une lumière réfléchie les emplissant d’une atmosphère spéciale, les souks paraissent souterrains, une seconde ville dans la ville, et vastes à peu près comme un tiers de Tunis (…). J’ai regretté la blanche, sérieuse, classique Tunis de l’automne, qui me faisait penser, le soir, errant dans ses rues régulières, à l’Hélène du second, ou à Psyché, “La lampe d’agate à la main, errant dans une allée de sépulture…”.Si on veut connaître la vraie Tunisie, c’est aux quartiers populaires qu’il faut se rendre. Dans les cafés maures situés à la rue d’Algérie, l’ambiance est chaleureuse. Tous sont bondés de monde. Tout le monde fume, si ce n’est pas la cigarette, c’est la fameuse “chicha”. La boisson la plus consommée, c’est le thé. Il y a deux sortes : le thé rouge et le thé vert. Les Algériens consomment ce dernier. Pourquoi ? Le garçon d’un café, qui diffuse du Farid El Atrach H24, explique que le thé rouge est plus fort. Le café presse coûte 250 centimes, l’équivalent de 17,50 DA dans les cafés populaires. A l’avenue Bourguiba, il atteint 600 centimes, soit 42 dinars surtout quand on s’attable à une terrasse. Contrairement à ce que peut penser l’Algérien, la vie est plus chère en Tunisie. Le clandestin qui nous a conduit à partir de Constantine vers Tunis nous a donné une idée. Chaque jour, plusieurs clandestins assurent la navette à partir de cette ville. Le prix du trajet est de 1 500 dinars algériens la place.A la gare routière de Constantine, plusieurs jeunes accostent dès qu’ils vous aperçoivent dans la voiture qui se dirige vers Tunis. Ils proposent de vous faire échanger votre argent en dinars tunisiens. Pour 100 euros, ils vous donnent 150 DT. Alors qu’à Tunis, pour la même somme, on vous propose 165 DT. La différence n’est pas négligeable : 1 000 DA. Les transporteurs de Constantine passent par le point de contrôle frontalier d’El Meridj. Ce qui fait qu’il faut au moins neuf heures pour atterrir en terre tunisienne. Par contre, si on emprunte le point de contrôle Kalat Senan, il suffit à peine de cinq heures pour se déplacer de Tunis à Annaba au tarif de 1 200 DA.

Aomar Mohellebi

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