l Plus de 50 ans après La mort est mon métier, de Robert Merle, mémoires imaginaires de Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz, Jonathan Littell effectue une entrée fracassante sur la scène littéraire française en remportant lundi le prix Goncourt.
Dans Les Bienveillantes, Jonathan Littell, 39 ans, jeune écrivain français d’origine américaine, prête la voix, sur plus de neuf cents pages, au SS Maximilien Aue pendant les années 1941-1944, à Berlin et sur le front de l’Est.
Il décrit minutieusement, à la première personne, la vie d’un officier SS confronté à la quotidienneté de l’horreur et la nature trouble du projet explique peut-être la fascination du public.
Quelques semaines après sa parution, le premier roman du fils de l’écrivain américain Robert Littell avait déjà franchi la barre des 250.000 exemplaires vendus.
Une grande partie de la critique a été séduite par cette fresque où l’auteur convoque des centaines de personnages réels ou fictifs avec une incroyable sensation de réalisme et agrémente son récit de philosophie, d’histoire, de sémiologie, sans oublier des emprunts au polar ou à la poésie.
Tout en saluant le travail monumental de Jonathan Littell, des voix ont cependant jugé le succès des Bienveillantes plutôt inquiétant.Ainsi, Claude Lanzmann, l’auteur de Shoah, a laissé entendre que Jonathan Littell était fasciné par son personnage et se délectait de son abjection.
« Je ne juge pas des intentions de Littell, son livre m’apparaît pourtant comme une vénéneuse fleur du mal », a-t-il noté dans le Journal du Dimanche.
« A l’heure où les derniers témoins de la Shoah disparaissent et où s’opère le passage de la mémoire à l’Histoire, Jonathan Littell renverse les termes et insuffle à un SS, héros sans mémoire, l’Histoire comme mémoire », a-t-il estimé.
Malgré les efforts de l’auteur, ces 900 pages torrentielles n’accèdent jamais à l’incarnation », (…) « le livre entier demeure un décor et la fascination de Littell pour l’ordure, pour le cauchemar et le fantastique de la perversion sexuelle, irréalise son propos et son personnage, suscitant malaise, révolte, on ne sait même pas contre qui et quoi ».
Une soirée chez les Eichmann
Le quotidien Libération et l’hebdomadaire Les Inrocks ont également mis quelques bémols au concert de superlatifs de la critique sur cet opéra funèbre.
On découvre à travers le personnage de fiction de Littell les activités des sinistres Einsatzgruppen SS, ces groupes mobiles qui avançaient dans le sillage de l’armée allemande pour exterminer juifs et communistes dans les territoires conquis.
Le Hauptsturmfuhrer Aue livre sans pudeur ses rencontres, ses conversations avec ses camarades de combat, ses phobies, ses goûts sexuels et livre un étonnant récit de son avant-guerre en France, où il côtoie Brasillach et Rebatet.Le lecteur s’invite ainsi à une soirée charmante chez les Eichmann ou à une visite technique du camp d’Auschwitz, aux fins d’en améliorer la productivité.
Avant de se lancer dans l’écriture des Bienveillantes, Littell s’est plongé pendant deux ans dans les archives écrites, sonores ou filmées de la guerre et du génocide. Il s’est également rendu à Kharkov, à Kiev ou à Stalingrad.
Pour Le Figaro, le résultat, tangible dans le roman, de ces travaux préalables est « un sentiment de réel d’une prégnance incroyable ».