Le prix Interallié 2006 à été décerné mardi à Michel Schneider pour Marilyn, dernières séances, bouclant une quinzaine des prix littéraires marquée par le succès fulgurant de Jonathan Littell, prix Goncourt pour les Bienveillantes, qui a monopolisé l’attention depuis la sortie de son livre.
Evénement éditorial de la rentrée, Les Bienveillantes (Gallimard) a conjugué un accueil enthousiaste de la critique et l’adhésion du public pour un texte difficile, sur un sujet ambigu: l’extermination des juifs d’Europe vue du côté des bourreaux.
Il a été salué comme « un très, très grand livre” par Didier Decoin, « le livre événement du demi-siècle » par Jorge Semprun, tous deux de l’Académie Goncourt.
Avec deux des six grands prix de l’automne (Goncourt, Grand prix du roman de l’Académie française), Jonathan Littell réédite à 39 ans le doublé réalisé en 1997 par Patrick Rambaud (La bataille). Les Bienveillantess’est déjà vendu à près de 300.000 exemplaires et son éditeur Antoine Gallimard a annoncé un nouveau tirage de 150.000 après l’attribution du Goncourt.
Le livre s’inscrit déjà parmi les Goncourt les mieux vendus de ces dernières années et semble promis à un succès international. Il suscite en outre un débat de spécialistes, entre ceux qui contestent l’approche de Littell et ceux pour qui il est au contraire légitime que la littérature s’empare d’un tel sujet.
Le cru 2006 restera également dans la saga des prix par la personnalité de Jonathan Littell. Premier Américain à obtenir le Goncourt, il ne s’est pas déplacé pour recevoir le prix, pour ne pas « rompre le silence » qu’il considère comme « une condition fondamentale » de son travail, se démarquant ainsi de la tradition.
Finaliste malheureux du Goncourt, Michel Schneider obtient l’Interallié pour son livre sur Marilyn Monroe, dans lequel il réinvente les rapports entre l’actrice et son psychiatre pendant les mois qui précèdent la mort de Marilyn.
Quant au Renaudot, en l’attribuant au franco-congolais Alain Mabanckou, 40 ans, pour Mémoires de porc-épic (Seuil), le jury a voulu distinguer une voix nouvelle de la littérature française et un porte-parole de la francophonie. Clash et règlements de comptes ont en revanche marqué les délibérations du Femina: Madeleine Chapsal a été exclue du jury pour avoir révélé les conditions d’attribution du prix 2005 et Régine Deforges est partie en claquant la porte. La publication simultanée du Journal de Jacques Brenner, dans lequel l’ancien juré Renaudot dénonce la collusion entre jurés et éditeurs a contribué à ranimer la polémique sur les prix littéraires.
Le Femina 2006 n’en récompense pas moins un auteur à la réputation confirmée, Nancy Huston, pour Lignes de faille (Actes Sud). D’origine canadienne anglophone, l’auteur écrit indifféremment en anglais et en français et son livre figure dans les meilleures ventes.
Avec Littell, Mabanckou et Huston, les jurys ont ainsi distingué trois écrivains « de langue française, soit par choix, soit par le fait de l’Histoire », comme l’a souligné le lauréat du Renaudot. Enfin, Sorj Chalandon a obtenu le Médicis pour Une promesse (Grasset).
Cette année encore, les grandes maisons d’éditions se partagent les prix: le Goncourt à Gallimard, le Médicis et l’Interallié à Grasset, le Renaudot au Seuil. Et Actes Sud confirme avec le Femina sa présence sur les prix, après son Goncourt 2004 pour Laurent Gaudé.
En décernant le prix Goncourt 2006 à l’Américain Jonathan Littell pour Les Bienveillantes, le jury a choisi de distinguer un livre dérangeant, écrit par un auteur atypique, qui connaît un succès fulgurant et suscite le débat depuis sa sortie en France.
« Ce livre est une fresque dramatique énorme, matraquante et vraie, hélas… Un phénomène historique énorme, dont il a fait un roman vrai très calé », résumait lundi la présidente du jury, Edmonde Charles-Roux, après le vote. Premier roman écrit en français par un Américain de 39 ans, d’une famille d’origine juive polonaise, Les Bienveillantes (Gallimard) a été plébiscité par le public comme la critique, quasi unanime pour saluer un livre exceptionnel.
Littell livre sur plus de 900 pages les confessions d’un ancien officier SS, Max Aue, qui a participé méthodiquement à l’extermination des juifs d’Europe. Aue raconte, sans remords, comment il est devenu un monstre: « Je suis un homme comme vous. Allons, puisque je dis que je suis un homme comme vous! »
Les Bienveillantes combine les dimensions psychologique et administrative du nazisme, avec ses rouages et ses exécutants. Le manuscrit a d’abord été adressé à quatre éditeurs parisiens: trois l’ont refusé, mais Gallimard s’y est tout de suite intéressé.
Sorti le 21 août, avec un premier tirage de 12.000 exemplaires – « Je pensais en vendre 3.000 », a confié Littell à l’AFP – le roman a emballé la critique.
Mais le cinéaste Claude Lanzmann, l’auteur de Shoah, a aussitôt mis en garde contre cette « vénéneuse fleur du mal », en s’inquiétant de la façon dont le livre peut être reçu.
D’autres ont pris position depuis, pour ou contre. « Littell, pas si bienveillant », affirmait fin octobre dans Libération l’historien Florent Brayard, en reprochant à l’auteur de « souiller » la mémoire de victimes.
« Non, Les Bienveillantes ne comportent nulle fascination pour la barbarie », rétorquait quelques jours plus tard Jean Solchany, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne, dans un « Plaidoyer pour Littell » publié dans Le Monde.
« Fondamentalement contre la polémique à la française », Jonathan Littell, qui vient de s’établir à Barcelone, a refusé d’entrer dans la controverse.
Evénement éditorial de la rentrée, Les Bienveillantes a également bouleversé l’équilibre économique traditionnel de l’édition française et semble promis à une belle carrière internationale. Le roman a été distingué dès l’ouverture de la saison des prix, le 26 octobre, par le Grand prix du roman de l’Académie française.
Avec 250.000 exemplaires vendus avant même le Goncourt, Les Bienveillantes est une manne pour son éditeur, Gallimard. Mais contrairement à l’usage en France, c’est l’agent londonien de Littell, Andrew Nurnberg, qui dispose des droits d’édition du livre dans d’autres pays.
Fort de son succès français, Les Bienveillantes a ainsi été au centre des discussions début octobre à la Foire du livre de Francfort, le plus grand marché international du livre.
Les droits du roman ont déjà été vendus pour l’Allemagne – pays pour lequel Littell attend beaucoup de savoir comment son livre sera reçu -, plusieurs autres pays d’Europe, mais aussi Israël. Mi-octobre, ils ont également été cédés pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Après avoir longtemps hésité, Jonathan Littell aurait renoncé à traduire lui même son livre en anglais.