Introduite quasiment par effraction dans le cursus scolaire en 1995, tamazight est, 10 ans après sa reconnaissance plus ou moins officielle, toujours sujette à polémiques idéologiques qu’on prend le soin d’empaqueter dans des cérémonials scientifiques. Asseoir l’enseignement sur des bases scientifiques est le prétexte -leitmotiv tout trouvé pour en filigrane nous servir : quelle graphie pour tamazight ?
Une question que les praticiens et les chercheurs – ceux bien sûr qui ne se sont pas découverts des vocations berbérisantes, depuis la consécration de tamazight comme langue nationale, en 2002 – ne se pose pas. En fait pour eux “teddez, tebrez”. Ils le disent en tamazight et le transcrivent en caractère latin, depuis au moins douze ans. “La transcription de tamazight est une question à laquelle d’aucuns attachent une importance on ne peut plus provocante à l’égard de ceux qui, versés dans le domaine depuis plus de quarante ans, ont à leur actif nombre de publications dans cette langue”, écrivait à ce propos Allaoua Rabhi, enseignant au département de langue amazigh de l’université de Béjaïa, dans le 13e numéro de Passerelles. Pour l’enseignant “ce sont ceux qui n’ont jamais écrit dans cette langue qui profitent de chaque occasion qui leur est offerte pour relancer le débat”, qu’il qualifie d’ “idéologique, stérile et stérilisant”.
En conclusion, l’ancien directeur du département de langue et civilisation amazighes de Béjaïa, estime que l’adoption de la graphie latine fait partie d’un processus plus global, la grammatisation, qui se poursuit de nos jours et que “l’abandon de ce processus plus que centenaire, qui a abouti à une production d’une valeur inestimable, en faveur d’une autre graphie serait une erreur monumentale”.
Benbouzid, ministre de l’Education nationale, enfonce le clou de la stérilité en imputant le retard enregistré dans la généralisation de l’enseignement de tamazight au choix de la graphie (latin, arabe, tifinagh).
Ainsi donc, à suivre le ministre de l’Education nationale, la graphie arabe permettrait la généralisation de l’enseignement de tamazight ? Soyons sérieux ! Le dernier des enseignants livré à lui-même dans une école perdue de la Kabylie profonde sait que la généralisation de l’enseignement de tamazight ne dépend pas de la forme des caractères, il sait que cela dépend de la formation des enseignants et des encadreurs. Faut-il rappeler que depuis que tamazight est enseignée à l’école, c’est-à-dire depuis 12 ans, le ministère de l’Education nationale n’a formé aucun enseignant.
Incorrigible et toujours coffré dans des préalables idéologiques, le pouvoir ne désespère pas de faire fi du travail accompli depuis plus d’un siècle et d’imposer le caractère arabe. Pour ce faire, il appelle à sa rescousse la science, cet argument auquel tout le monde adhère. Et c’est peut être dans cette perspective que le CNPLET algérien (centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight) lace un appel à communication aux universités et chercheurs pour colloque international sur la problématique de l’aménagement du berbère (tamazigh) en Algérie (prévu pour le 05/06 et 07 décembre prochain). Il y sera question entre autres, de la pluralité des variétés de tamazight et de la (des) norme (s) à enseigner. De la variation interne et des critères de sélection des formes convergentes. Des textes supports didactiques et des manuels de référence. Et bien entendu, du passage à l’écrit : choix de graphie, orthographe, morphologie, néologie…
Le CNPLET tranchera-il, optera-il une fois pour toute pour la graphie latine? Logiquement oui. Car, et quoi que l’on dise, ce centre que dirige le docteur Dourari est un espace où seul les considérations scientifiques prévalent…
Et comme l’esprit cartésien a noté que les praticiens ont tranché par l’adoption de la graphie qui leur a paru la plus efficace et que pour paraphraser A.Rabhi les voix qui préconisent tantôt les tifinaghs tantôt l’alphabet arabe n’ont pas écrit d’œuvre conséquentes alors que rien ni personne ne les en a empêchés, le CNPLET n’aura pas d’autres choix que d’inviter tout le monde à rattraper la locomotive.
T. Ould Amar