La troupe Tachemlit rend hommage à Mohia

Partager

Certes il est difficile de rendre hommage à feu Mohia vu son immense talent et son riche répertoire, et qu’on ne le fera jamais assez pour égaler ce qu’il a offert à notre culture. Mais toute initiative dans ce sillage est la bienvenue, afin de chasser le spectre de l’oubli et de l’ingratitude, qui frappe de plein fouet les artistes, parfois même de leur vivant.

La troupe théâtrale Tachemlit de l’association Youcef Ou Kaci d’Aït Jennad l’a si bien compris, elle qui s’est jurée par Thalie et Melpomène, respectivement muse de la comédie et de la tragédie de rendre hommage à celui qui a sacrifié sa vie et ses études pour le théâtre en particulier et l’art en général. Et loin de sombrer dans les hommages folkloriques creux, la troupe tachemlit et à sa tête Nordine Aït Slimane, ce talentueux poète qui a réussi là où d’autres ont échoué. En effet, le défi relevé a été unique en son genre. Le spectacle est un montage poétique théâtralisé. Et qui a dit que le théâtre ne fait pas bon ménage avec les autres arts, à savoir la poésie, la musique, la sculpture et la peinture ? Au contraire, c’est ce mariage qui a donné un cocktail savoureux, capable de faire couler les larmes de joie et d’admiration à l’auteur de “Tahia Berzidan et Berrouaghia” dans sa tombe même, et la chair de poule à un public qui ignore une majeure partie de la vie et de l’œuvre de Mohia, donc son talent. Ainsi, l’idée et l’initiative ont germé dans la tête de Nordine Aït Slimane, pour trouver des bras ouverts chez son complice, ami et confident, Hamid Aït Slimane, auxquels se joindront le musicien Brahim Zenia, le peintre Igherroucène Mansour, le sculpteur M’hand Saïdi et le comédien Aït Gueni Saïd Hocine. En quelques jours et quelques sacrifices, la ferveur et l’engagement de Nordine, le talent de Hamid, la fraîcheur de Saïd et le savoir-faire du trio M’hand-Brahim et Mansour, font éclore le spectacle qui ne se fera pas attendre, laissant pantois le public, là où il est donné.

De prime abord, et par l’entremise de gestes justes et précis, la misère d’un peuple et le déni d’une identité sont passés au crible et sont mis en exergue, accompagnant le chœur qui pleure en vers la mort de Moh N Moh, joué par Nordine Aït Slimane. Le texte de Mohia admirablement “joué, épaulé par la voix chaleureuse du groupe Djurdjura, “Samhtiyi ay ihbiben” de Ali Ideflawen, n’a pas laissé le public de marbre. Et les textes de l’auteur de “Am win yetteadjun rebbi”, plutôt son adaptateur, se succèdent sans se ressembler, joués méticuleusement par Nordine et Saïd doublés par les musiques de leurs interprètes, sans que personne ne daigne leur dénier leur théâtralité. En effet, le théâtre et le montage poétique, ne font qu’un dans ce spectacle. Mohia ne fait pas que des constats amers, mais il a été clairvoyant, il a prédi le chaos vécu aujourd’hui. Il nous a fallu des décennies pour comprendre notre mal que Mohia dénonçait et criait à qui voulait l’entendre, alors que nous suffoquions de rire sur nos tares. C’est le jeu de Tachemlit qui nous ouvre les yeux sur les larmes de Mohia au moment de nous faire rire. C’est Tachemlit qui nous apprend que le théâtre de l’absurde de Mohia, n’a rien à envier à celui de Brecht ou de Tchekov. Et si Mohia, de par sa vision, regardait le passé pour voir l’avenir, nous, par contre, nous sommes obligés de voir le présent pour comprendre le passé que Mohia nous expliquait dans la douleur. “Am arrezg nnegh”, chantée par Ferhat vue sous autre angle, Anwi wi ? Anwi wi ? Chantée par Slimane Chabi ont été entonnées également par le public. “Berwagiyya” a été le summum, et le public a chanté comme un seul homme, en mettant l’accent et l’âme sur “a ddin qessam”. Sur scène, une guitare, des sculptures, des peintures ont accompagné la musique et la poésie, en guise de symbole d’un monde rêvé par le peuple et par Mohia, ce digne fils d’At Erbah.

Le spectacle se termine sur une note d’espoir, avec le port de l’art et culture au sommet pour assurer l’avenir, “Akke ad yili uzekka”. Et la troupe continue son bonhomme de chemin pour que “ad yili uyezzka”.

Salem Amrane

Partager