S’il fallait absolument un contexte pour réunir les walis et le gouvernement, le président de la République le tenait bien dans la Journée internationale de lutte contre la corruption. S’il fallait aussi un prétexte pour opérer quelques digressions attendues avec plus ou moins de certitude, il était aussi là d’une remarquable fraîcheur : Abdelaziz Bouteflika vient juste de sortir d’un marathonien état des lieux avec les ministres auquel il fallait bien donner un prolongement sur le terrain local. Et pour rester dans la fraîcheur de l’actualité, un ministre d’Etat et un wali viennent de défrayer la chronique. Le premier en lançant un lancinant pavé dans la mare puisqu’il a déclaré expressément détenir des dossiers de corruption dont il se réserve la nature de l’usage, le deuxième en devenant dans la bouche de la rumeur publique le lampiste d’une affaire dont on dira encore fatalement qu’elle le dépasse. Mais si ce dernier, en détention pour divers chefs d’accusation, est entre les mains de la justice et n’avait donc aucune chance de faire l’objet d’un commentaire du président de la République, il en a été tout autrement du premier, Abou Djerra Soltani en l’occurrence. En en disant trop ou pas assez avec la certitude que son propos touchera juste là où il faut avant de tomber dans l’oubli, le chef du MSP ne savait pas qu’il venait pour la première fois de renoncer à son droit de garder le silence. Le Président de la République, avec une rare clarté, ira jusqu’au bout de sa logique : « La lutte contre la corruption est un défi qu’il faut relever sans surenchère ni velléité de règlement de compte ni considérations électoralistes ». Ceci est évidemment valable pour tout le monde, mais Bouteflika a su préciser son allusion pour ne laisser planer aucun doute : « Je ne permets à personne, quel que soit son niveau de responsabilité, de faire dans la surenchère. Que chacun choisisse entre le pouvoir et l’opposition. La notoriété politique ne se construit pas sur les décombres de l’Etat. Je prends à témoin tous les Algériens : que ceux qui détiennent des dossiers les remettent à la justice que je serai le premier à dénoncer si elle ne leur donne pas de suite légale ». Dans la foulée de ses digressions, le président de la République a posé quelques questions qui pourraient bien être des suggestions de changement : les walis existent depuis 1967. Est-ce que cette forme de responsabilité est toujours opérationnelle ? Est-il juste que les premiers sur une liste électorale passent automatiquement sans que ne soient pris en compte leur mérite et leur compétence personnelles ? Et ces partis qui hibernent tout le temps avant de réapparaître à la faveur des élections ? Où sont les citoyens qui se comportent et agissent en tant que tels ? Mais le Président n’a pas fait que poser des questions, il a aussi fait quelques constats amers dont les autorités locales sont les premiers responsables : il est plus facile pour le citoyen algérien de rencontrer le chef du Kremlin ou de la Maison Blanche que d’être reçu par un wali ou son collaborateur. La société civile elle, passe plus de temps avec les médias qu’à contribuer à régler les problèmes des citoyens. Bouteflika a aussi rassuré : je vous donne toutes les garanties, personnellement et sans intermédiaire, lancera-t-il à l’adresse de potentiels investisseurs nationaux. Si le président de la République a conclu sur une note d’optimisme en disant que tous les indicateurs sont au vert, il n’a pas pour autant oublié le sens des réalités : si l’Algérie n’a jamais connu une telle embellie financière, cela est dû essentiellement aux prix des hydrocarbures. Sans l’argent du pétrole, les caisses de l’Etat seraient vides et il est significatif que le taux d’exportation hors hydrocarbures n’ait progressé que de 1% depuis 1999. Belle leçon de réalisme. De franchise, surtout.
Slimane Laouari