Les histoires séparées de chaque séquence du film (il y en a trois) se réunissent secrètement dans une conclusion finale et tue qui nous confirme une fois de plus que nous sommes… foutus !
Sin City n’est pas une ville imaginaire, n’est pas le fruit d’une conception futuriste du monde et n’est point une vue pessimiste et dérisoire du présent des mortels…
Sin City, c’est le monde, tel qu’il est, tel qu’il a toujours été, tel qu’il sera à jamais et tel qu’on refuse de le voir parce que c’est trop horrible, parce que c’est inutile de le voir ainsi, parce que c’est le rien et la mort qui gouverneront alors !
Le pédophile, fils de sénateur, n’est pas un personnage mais un symbole. Il représente la déchéance humaine dans son état le plus pur ; c’est- à-dire la déchéance des désirs et des sens qui n’ont ni croyance ni logique.
L’inspecteur Artegen qui veut sauver la fillette au prix de sa vie et qui dit : « Une petite fille vit, un vieil homme meurt : marché honnête ! » n’est pas le standard de l’inspecteur à principes qui divinise les valeurs suprêmes de la philanthropie et de la noblesse de l’homme mais c’est plutôt le symbole de cette force silencieuse qui subsiste en nous et qui, malgré toutes les tentatives de meurtre dont elle est victime, continue à lutter pour maintenir l’équilibre dont ne peut se passer l’homme pour atteindre son ultime destinée.
Marv, « le monstre », qui veut venger une prostituée qui lui a offert la nuit de sa vie et fut tuée par la suite par un défenseur de la vertu, représente la rage humaine qui s’infiltre au fil des ans dans les âmes souffrant d’une injustice inconnue et parfaitement imbattable, la rage de « se réveiller chaque matin sans même avoir une idée de pourquoi t’es là » ; selon ses propres termes, la rage de sortir dans les rues silencieuses et obscures d’une ville que ce personnage aime beaucoup mais qu’il dénigre aussi par le fait de son ambiguïté cruelle et son absurde entêtement à garder la tête et l’esprit noyés dans la terreur et le risible.
Goldy, une prostituée qui dit à Marv « Je te veux, j’ai besoin de toi », n’est pas tout à fait le typique d’une femme qui veut survivre par le biais d’un méchant protecteur sans retenue mais c’est plutôt la fuite des heures et des vies sans la moindre raison vers l’enfer du châtiment que les mortels s’approprient le droit d’affliger à leurs semblables. La femme battue, égarée, sans repères, la vie perdue aux confins des abysses du monde, l’amour devenu inutile, la haine vitale et l’âme dans tout ça, se meurt et murmure son ultime agonie…
Le fermier, Kevin, le défenseur de la vertu et du Bon Dieu, n’est pas ce criminel acharné et froid qui exécute ses victimes par pure envie ou manie maladive mais ce serait plutôt cet homme nourri d’illusions exprimant sa cause par ses propres moyens qui considère la prostitution comme le premier facteur de la déchéance universelle et les prostituées comme des démons envoyés par nulle part pour détruire ce qui reste du suprême, de l’absolu. Il mange les prostituées vives et conserve les têtes pour en faire le témoin de la gloire de Dieu et de ses représentants sur terre. C’est Kevin qui représente avec excellence le désolant et respectable engagement à sauver le monde selon son propre concept de la bêtise et de la rédemption. Kevin qui, implicitement, se substitue à Dieu et- pourquoi pas ?- se croit Dieu !
Dweit Mackartey, un criminel échappé à la chambre à gaz avec un nouveau visage, se donne la peine de poursuivre une « meute de prédateurs en quête de sang de femme » pour sauver les dames de « Old Town », la cité des prostitués. Il représente le type incompréhensible, imperceptible par le raisonnement rationnel, un homme qui croit que le feu le consumera mais qui ne réussira jamais à effacer sa trace laissée dans l’ici-bas, sur les murs de la mémoire des lieux et des gens. L’homme qui risque sa vie pour une cause d’apparence futile mais ô combien profonde et légitime !
Gail, la femme guerrière, la prostituée brune qui a bâti son empire reconnu par tout le monde pour nous assurer une fois de plus que la prostitution n’est pas un métier mais un art. Un art que tout le monde dénigre parce que trop inaccessible au commun des mortelles, parce qu’incompatible avec l’ensemble des « idées reçues », parce que le monde est trop vieux et trop fatigué pour confier sa cause agonisante à la fougue de ces femmes prêtes à tout et ne craignant rien ni personne.
Sin City nous déclare que le monde a peur de la vérité qui pourrait jaillir de la violence et de la couleur vive du sang humain.
Le film La ville La vie, c’est nous, ou du moins c’est nous tels que nous devons être, tels que nous ne serons jamais…
Sarah Haidar