Djafar At Slimane, le poète-chanteur

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Comme tout enfant de Kabylie, Djafar a su concilier le rôle savant de l’école et celui enchanté des champs d’Aït Hichem, son village natal, où il menait paître ses moutons. Il a su également tisser une complicité avec d’autres enfants de son âge. Ils formaient alors un groupe que bien des adultes enviaient. Ils menaient une vie pleine de caprices, d’humour et d’imagination. C’est de cette ambiance que Djafar réclame son œuvre artistique. Il s’en est allé à la recherche d’une fonction, celle du sourcier qui fait jaillir l’eau nécessaire à la vie.

Adolescent, il se fabriqua une flûte dans laquelle il soufflait déjà son talent et son avenir d’artistes. Mais il était d’abord porté sur la traduction de poèmes/récitations. La cigale et la fourmi de Jean de La Fontaine lui a été sans doute inspirée par toutes ces cigales qu’il entendait “grisailler”, sous un soleil de plomb sur les arbres du pastoureau qu’il était.

Djafar a été très imprégné du milieu naturel qui l’a vu naître et grandir dont il portera une empreinte indélébile. Les montagnes de Kabylie n’offraient pas encore de débouchés professionnels.

Il dût, comme tant d’autres, s’essayer à une aventure d’émigré en France. C’est là qu’il se frottera à des maîtres de la chanson kabyle comme particulièrement Sliman Azem. Paris devint subitement pour Djafar le lieu de prédilection d’où il allait se remémorer et mettre en valeur son talent enfoui dans une pudeur qui menaçait tant de prodiges. Une fois la chape de la pudeur éraflée, à travers la chanson, Djafar mit sur scène avec beaucoup de vie, de poésie et d’analogie, les mystères de l’homme. Il n’était pas de la lignée des donneurs de leçons ou de conseils.

Il ne faisait pas dans la chanson moralisante, celle de la lamentation, du désespoir, des regrets et de la malvie. Il a fait plutôt dans une poésie chantée à thématique utile et “rentable” pour la société et pour la langue. De la société, il a tiré plus que le prétexte de composer. Il lui renvoyait la multitude d’images de ses mouvements. Ce peut être le mouvement de la force incarnée par le lion (izem), celui de la malice évoquée par le chacal (uccen) ou encore celui de l’aigle royal et majestueux qui, malgré ses hauteurs, s’est fait prendre au piège de la forfanterie et de la hâblerie. Le phénomène universel de la belle-mère (Tadherggwalt), chanté sur un ton lyrique et pathétique à la fois, dérangeante, belliqueuse et qui fourre son “nez” partout dans la vie de sa fille, fait aussi partie de ces peintures sociales auxquelles s’est intéressé Djafar At Slimane. Le souci de l’embellissement de sa langue maternelle était primordial et constant. Il quêtait des images verbales précises pour décrire des situations aussi complexes qu’anodines. Chez Djafar At Slimane, l’instrument musical s’est confondu avec l’instrument verbal. Alors peu importe que son œuvre ait été courte, très courte même (quatre ou six chansons enregistrées et connues) l’essentiel est dans ce qu’elle a toujours d’actuel.

Abdennour Abdesselam

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