Les mondes parallèles d’un poète

Partager

Il ne fait pas partie d’une quelconque école poétique. Et pourtant, ses mots bien ficelés interrogent le monde et son aspect éternel.

Les vrais poètes laissent des traces indélébiles. Dans le panorama de la littérature française contemporaine, Claude Michel Cluny occupe une place singulière. Il n’est pas de ceux qui se sont rallié à une école pour donner à leur oeuvre, à force de théories et de condisciples, les résonances et l’ampleur qui lui feraient défaut. Les grandes messes commerciales de l’édition – ce qu’il nomme avec ironie la « course en sac de l’automne » – ne le concernent pas. L’artiste accomplit son oeuvre, fidèle à sa voie, et offre, depuis quarante ans et autant d’ouvrages, un exemple d’exigence, d’indépendance et de discrétion. Pour lui rendre hommage, sans pour autant le momifier, un colloque international organisé par Pierre Brunel et Jean-Yves Masson s’est tenu récemment à la Sorbonne, y participaient universitaires et écrivains. L’occasion d’indiquer les constantes du parcours de Cluny, romancier, nouvelliste, critique littéraire, de cinéma, d’art, essayiste, historien, et avant tout poète.

Les actes du colloque – publiés aux éditions de la “Différence” constituent un outil précieux pour les recherches futures. D’autant plus que l’ouvrage s’enrichit d’une chronologie, d’une bibliographie, d’inédits, et de nombreux articles parus dans la presse, lors de la publication des livres de l’auteur.

On se gardera de vouloir exposer, en quelques lignes, l’ensemble des pistes critiques indiquées dans les 456 pages de cet ouvrage.

On peut néanmoins distinguer deux axes de réflexion utiles pour comprendre l’univers poétique de Cluny : la quête de l’identité et la nostalgie des dieux antiques. Dans le premier tome de L’Invention du temps, son journal littéraire, il rend compte, en ces termes, de son émotion face aux ruines de Delphes : « Brutalement, je me suis senti démuni, dépouillé, réduit à l’os, un tesson parmi les pierres, un déchet de fer dans la blessure du monde ; et le silence sidéral et tendre qui déferlait autour de moi. Qui déferlait en moi. Où trouver les mots pour naître ? ». L’expérience vécue à Delphes est décisive.

Elle a deux conséquences dans le rapport de Claude Michel Cluny au monde : l’éclatement de sa vision du temps et la relégation de la beauté entrevue dans un au-delà inaccessible. Présent lors du colloque, l’écrivain a eu ces mots, en réponse à une question sur la recherche de la vérité : « Essayer de trouver, au fond, l’erreur la plus juste ». Mais c’est quoi au juste, cette erreur la plus juste? N’est-ce pas une façon de dire que tout est relatif dans la vie? « L’expérience du silence de Delphes bouleverse les cadres logiques de perception et, plus particulièrement, sa dimension temporelle », estime le quotidien le Figaro. En superposant le passé défunt et le présent de l’émotion, Cluny met fin, en lui-même, à la représentation d’un temps continu. Il le confirme dans son entretien avec Marc Blanchet : « Il m’a toujours paru vivre et traduire un temps éclaté. J’étais là, telle chose m’advint », notait La Fontaine.

Cluny prend conscience, simultanément, de la présence et de la mort des dieux. Il devient, dès lors, l’éternel voyageur d’un monde parallèle à celui qu’il aime. Le poème devenant un chant qui fait revivre le passé défunt : « Ô ma nuit comme une âme en ruine ». Mais ce chant s’affranchit des douleurs de la nostalgie, comme de celles du néant.Traces, c’est justement le titre d’un poème inédit publié dans cet ouvrage. C’est une suite de haïkaï, poèmes d’origine japonaise en trois vers, évoquant le rapport à la nature, dont chacun correspond à une lettre de l’alphabet. Cet alphabet qui est à l’origine de toutes les créations, à l’origine des mots dont on ne peut se séparer.

Farid Ait Mansour

Partager