Les écrits lucides d’un psychologue

Partager

C’est l’un des rares universitaires algériens ayant publié des livres. Psychologue de renommée internationale, Slimane Medhar, est incontestablement un repère pour les spécialistes de la santé mentale et même pour le grand public.

Maître de conférences à l’Université d’Alger, Slimane Medhar, enseigne la psychologie sociale depuis 1977. Il dirige plusieurs projets de recherche et à collaboré dans des médias à l’instar de l’hebdomadaire L’événement, lequel ne parait plus. Il est auteur de plusieurs livres, entre autres, La violence sociale en Algérie. Au département de psychologie, situé sur les auteurs de Bouzeréah dans la capitale, même les étudiants des autres disciplines le connaissent. La pièce maîtresse de ses œuvres est bel et bien Tradition contre développement publiée chez (l’ENAP) et introuvable sur le marché. Pour ce psychologue la culture traditionnelle entrave le développement. De son avis, notre société dépend toujours d’une culture ancestrale. « La dépendance constitue la sève des structures de l’organisation sociale traditionnelle. Economiquement déterminée, elle se présente sous une coloration socio-culturelle. Ce ne sont pas les besoins de survie, mais les liens du sang, la notion d’honneur, le qu’en-dira-t-on et les préceptes religieux qui dictent la conduite. La dépendance concerne l’ensemble des acteurs sociaux. Le recouvrement de la dépendance économique par la dépendance socio-culturelle, qui se transforme en une substitution de la seconde à la première au niveau des représentations sociales, permet de saisir ce qui est demeuré paradoxal sinon inexpliqué : ceux qui ne produisent plus dominent ceux qui produisent au sens matériel du terme, alors que la subsistance des premiers dépend des activités des seconds. L’importance irremplaçable de l’édifice socio-culturel pour la dynamique de cette société permet de s’expliquer cette hiérarchie. Certes, tout acte se répercute sur les disponibilités matérielles. Mais si nous n’oublions pas que le passage par le socio-culturel est une exigence de tout instant et que c’est grâce aux interactions et aux relations sociales que l’individu accède à la satisfaction de ses besoins et non pas à la suite d’une action sur l’environnement, nous comprendrons que ce sont les plus âgés qui ont non seulement intégré mais aussi sauvegardé l’édifice social. Cet aspect justifie et assoie leur préséance : les plus jeunes, malgré leur impact matériel indéniable, n’ont pas encore fait leurs preuves au niveau de l’axe vital que forme l’édifice social », écrit Madhar. L’auteur de L’échec des systèmes politiques en Algérie pense que l’individu tarde à avoir un poids réel dans la vie sociale. Par exemple un ingénier de plus de 30 ans peut manipuler la technologie la plus sophistiquée et rester le mineur qui n’a pas son mot à dire devant son père. Les choses ont tendance à changer mais grosso modo, la réalité est toujours là disproportionnée. Il y a le paraître d’un côté et le substantiel qui s’oppose de l’autre côté. La femme algérienne peut manipuler l’ordinateur, conduire une voiture et porter la mini jupe, mais elle reste, souvent, la sœur, l’épouse dominée par les hommes. Pour Slimane Medhar, il n’y a pas de changements radicaux en Algérie, mais il y a de la destruction et de la restriction. C’est uniquement la vitrine qui change, uniquement la vitrine. « En conclusion, notons qu’aucun aspect relatif à la gestion et à l’éducation familiale ne laisse envisager de nouvelles perspectives susceptibles d’intégrer les impératifs du développement. La forme de présentation des familles traduit cette impasse. La gestion de la vie familiale est assurée par les mères dont les filles prennent la relève. Le maintien de la répartition de l’espace en intérieur-extérieur, consolidé par une éducation familiale différente selon les sexes, ne prépare ni aux prises de rôle ni à la complémentarité entre les sexes qu’exige le processus de développement. L’austérité dictée par l’option pour le développement est ruinée par les dépenses ostentatoires lors des événements familiaux. Toute activité extérieure est menée en fonction des exigences familiales et des stratégies qu’elles imposent aux individus. Ceux-ci sont sous l’emprise de leur groupe familial. Les choix qu’auraient laissé envisager les nouvelles possibilités d’action (poste de travail…) sont, lors de rites tels que le mariage, laissés à l’entière discrétion des familles. Le champ domestique, aux proportions démesurées, continue à englober les individus. Les nouvelles générations sont très tôt encastrées dans le moule de l’organisation traditionnelle de la société. La protection des sexes, le mariage, l’établissement de relations informelles, la crainte de l’extérieur et de l’inconnu contre lesquels il faut diriger toute sorte d’agression, la captation des possibilités d’action à l’extérieur et leur utilisation en fonction des exigences internes, la défense du groupe familial et l’entraide inconditionnelle…, continuent à figurer parmi les principaux vecteurs de socialisation des individus. Aussi importe-t-il de voir comment ils sont vécus par les nouveaux couples”, estime le psychologue. Medhar met le doigt sur plusieurs pathologies psychosociales comme le Chômage sexuel, La famine sexuelle et Le célibat éternel. Ces souffrances d’une grande partie de la société algérienne sont souvent banalisées. Cependant leurs impacts fatals sont à la fois dévastateurs et silencieux. Ce genre d’écrit est souvent marginalisé en Algérie. Et si on ose parfois le publier, il est rapidement classé aux oubliettes.

Yasmine Chérifi

Partager