En attendant le témoignage, fort attendu, de Mourad Medelci, ministre des Finances, aujourd’hui, l’actuel gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Leksaci, a comparu hier en sa qualité de témoin devant le tribunal criminel près la cour de Blida dans le cadre du procès de la caisse principale de l’affaire Khalifa. Ancien vice-gouverneur de la banque d’Algérie sous l’ère de Abdelwahab Keramane, Leksaci estime, d’emblée, que sa mission était de veiller sur la stabilité bancaire et financière du pays, notamment le marché monétaire. Selon lui, la création de toute banque nécessite l’autorisation du conseil de la monnaie et du crédit et la signature de l’agrément revient au gouverneur de la banque d’Algérie. Interrogé sur les conditions de la naissance de la banque Khalifa, Leksaci réitère les déclarations de Maachou Ben Amar, soulignant qu’il y avait une « infraction consommée » commise par la banque El Khalifa. La présidente du tribunal, Mme Fatiha Brahimi, lui demande s’il a remarqué que des mesures strictes n’ ont pas été prises face une situation qualifiée souvent de « dramatique. » Leksaci justifie cet état de fait par l’absence d’une direction de supervision, laquelle a été créée après son installation en 2001. A la question de savoir comment la banque Khalifa continuait à faire sortir de l’argent, le gouverneur de la banque d’Algérie explique que lorsque la Banque d’Algérie avait arrêté les opérations du commerce extérieur d’une banque, celle-ci ne peut plus vendre de devises.
Or malgré le gel du transfert des fonds de et vers l’étranger, la banque Khalifa continuait impunément à vendre de la devise à travers des « opérations clandestines », selon l’expression de Leksaci. « Nous avons envoyé des experts du swift. Ils ont vérifié les ordres de paiement. Alors, j’ai demandé aux inspecteurs de faire un PV d’infraction de change en mai 2002 », explique-t-il. La magistrate tente de savoir si après le gel des opérations du commerce extérieur, il a pris le soin de vérifier que Khalifa Bank et ses filiales mettaient leur argent à la banque d’Algérie. « Les encaissements de devises doivent être cédé à la BA. Après vérifications, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de déclarations », relate-t-il.
« Fuite de capitaux malgré le gel »
S’agissant des retards constatés dans l’envoi des informations de la part de la banque Khalifa, le témoin reconnaît ces retards intempestifs, ajoutant qu’il a procédé au renforcement du contrôle, fin décembre. La magistrate veut savoir si Khalifa Airways rapatriait ses fonds vers l’Algérie. « On a constaté que Khalifa Airways rapatriait moins. Pour nous, c’était des fuites de capitaux », raconte Leksaci avant d’indiquer que cela été la raison pour laquelle la Banque d’Algérie avait décidé de geler le transfert de capitaux de et vers l’étranger au mois de novembre 2002. Mme Brahimi lui fait rappeler qu’il a déclaré au juge d’instruction que les crédits octroyés pour Khalifa Airways n’ont pu être déclarés auprès de la Banque centrale jusqu’à la venue de l’administrateur provisoire. Leksaci se contente de dire qu’il a été informé qu’il n’y avait pas de déclarations au service des changes.
Le ministère des Finances saisi…
La juge lui demande s’il a saisi le ministère des Finances. « Le dossier a été renvoyé par le vice-gouverneur, Touati, en décembre 2001 », estime-t-il. « Aviez-vous une réponse ? », interroge Mme Brahimi. Leksaci réplique qu’ils n’avaient pas reçu de réponse au début. Toutefois, le ministère leur a demandé, selon ses propos, une autre copie en mai 2002. le témoin rappelle, comme pour s’en laver les mains de toute responsabilité, que la loi 96-22 impose au gouverneur de prendre des mesures conservatoires ou de déposer une plainte. En parfait connaisseur de la législation, la magistrate intervient pour lui dire que la loi 90-10 modifiée en 96 lui donne la prérogative de prendre les mesures nécessaires. « Pourquoi vous n’aviez pas usé de ce que la loi vous impose au lieu d’aller vous référer au ministère des Finances, notamment à l’ombre de l’inexistence d’experts assermentés ? », lui demande-t-elle. Sans répondre à cette question gênante, Leksaci note que la loi 90-10 stipule que le gouverneur doit prendre des mesures et déposer plainte au moment où cette disposition a été modifiée en la loi 90-10. La juge revient à la charge : « Mais il y avait des faits qui relevaient du délit », constate-t-elle. Leksaci observe un silence très gêné. Concernant les rapports des commissaires aux comptes, le témoin avoue que ceux-ci arrivaient en retard. Selon lui, les rapports ne sont pas déposés dans les délais. Celui de 1999 est arrivé en 2001. La magistrate fait savoir que Moumen Khalifa avait l’ambition d’ouvrir une banque en Allemagne. Leksaci affirme que la Banque d’Algérie a refusé un tel projet. « Pourquoi Abdelwahab Keramane n’a-t-il pas pris les dispositions nécessaires jusqu’à la venue de l’actuel gouverneur de la BA ? », demande la juge. Sans citer nommément le nom de son prédécesseur, Leksaci soutient que, c’est la personne responsable de cette situation qui en est comptable. Il estime que le cadre légal a été, celui qui y présidait avant sa venue. Le représentant du ministère public prend la parole pour lui demander pourquoi Keramane n’avait pas pris les dispositions nécessaires.
Le gouverneur de la BA, après un long silence, ressasse les mêmes propos, comme quoi chacun est comptable de ses actes. Le parquetier lui demande quelles auraient été les conséquences si la Banque d’Algérie n’avait pas pris la décision de geler les opérations du commerce extérieur. Leksaci répond que « la situation était suffisamment grave pour prendre une telle décision. Si elle n’avait pas été prise, la fuite des capitaux aurait été démesurée ». L’avocat de la défense, maître Berghel intervient pour demander au gouverneur de la BA comment il peut expliquer qu’un article de l’agrément portant sur l’inscription du nom du P-DG de la banque nouvellement créee n’avait pas été publié dans la copie du journal officiel alors qu’il se trouvait dans l’original de l’agrément. Mme Brahimi intervient la-dessus, pour recadrer les débats et dire à l’adresse de l’avocat que cette question gagnerait à être posée à l’ancien gouverneur de la BA, à savoir Abdelwahab Keramane, lequel se trouve sousle coup d’un mandat d’arrêt après avoir refusé de se présenter devant la cour. Une autre question interpelle Leksaci quant aux prétentions de certains d’étrangers lesquels étaient prêts à reprendre la banque après sa banqueroute. Le témoin répond que c’était aux actionnaires d’apporter leurs soutiens financiers avant de dire que la situation était « grave » et la liquidation inéluctable.
La juge vide son sac…
Par ailleurs, lorsque un autre avocat tente de poser une question, déjà adressée au témoin, Mme Brahimi a perdu son sang-froid et crie en direction de l’avocat qu’il fallait être comme tout le monde à 9h 30, afin de s’imprégner des débats.
Elle s’en prend vertement aux avocats de la défense lesquels, selon elle, ne lui facilitent pas le travail. « Mes questions, je les prépare depuis 5h du matin. J’ai mené le procès de A jusqu’à Z toute seule », tonne-t-elle. Mme Brahimi dit souhaiter le soutien de avocats de la défense dans une telle entreprise.
Hocine Lamriben
