Interrogé par la juge, Mme Brahimi, sur sa relation avec la Banque d’Algérie (BA), le ministre des Finances a affirmé que la Banque d’Algérie n’a pas de tutelle au niveau du gouvernement et qu’elle est indépendante. A la question de savoir s’il a lu le rapport envoyé par Ali Touati, vice-gouverneur de la BA., le 12 décembre 2001, Medelci confirme l’avoir lu. «J’ai remarqué plusieurs points qui ne concernaient pas le ministère des Finances, sauf un seul relatif au transfert de l’argent vers l’étranger. Le rapport mentionnait les graves violations prouvant que la banque Khalifa effectuait le transfert du compte des Khalifa Airways au profit d’autres sociétés étrangères sans aucune autorisation préalable», dira le ministre. Mme Brahimi lui demande quelle était sa position à l’époque. «Un rapport complémentaire m’a été transmis. On n’était pas disposé à envoyer le dossier à la justice vu qu’il n’était pas conforme à la loi. Je l’avais gardé à mon niveau en instance. Le premier rapport, je l’avais remis à mon chef de cabinet et le second à ma secrétaire, laquelle l’a enregistré à son niveau», souligne-t-il.
Medelci : “J’assume ma responsabilité”
La magistrate intervient pour lui rappeler que la loi 90-22 lui impose de donner une suite à ce rapport. «N’était-il pas efficace d’apporter des corrections et des remarques sur le contenu et de le faire renvoyer au gouverneur de la BA ?», demande la juge. Le ministre réplique : «Je pouvais faire ça. Chose que je n’avais pas fait et j’assume la responsabilité de mes actes.» Mourad Medelci atteste avoir l’habitude de rencontrer l’ancien gouverneur de la BA, Abdelwahab Keramane, mais sans pour autant que ce dernier ne lui ait parlé du devenir du rapport. Il dit que les conditions de l’époque étaient différentes, étant donné que la banque Khalifa connaissait une grande prospérité. Mme Brahimi l’interpelle au sujet de la réaction des institutions étatiques, suite à la naissance de Khalifa Bank. «J’ai été informé par mon chef de cabinet que certaines institutions retiraient leur argent des banques publiques pour le placer dans la banque Khalifa. On a appelé toutes ces institutions pour les inciter à mettre leur argent au Trésor public», observe-t-il.
Le ministre affirme avoir rencontré Moumen Khalifa. «Il voulait une autorisation pour la création d’une banque en Allemagne. Cette banque savait que Khalifa Bank se trouvait dans notre pays. Celle-ci lui a demandé un papier de la Banque d’Algérie. Je lui avais dit que cela n’était pas de mes prérogatives mais relève de celles de la Banque d’Algérie. Je l’avais informé que je toucherais un mot au gouverneur», explique-t-il et d’ajouter que son entrevue avec Khalifa n’a duré que 20 minutes. Il soutient que 20 jours après avoir informé le gouverneur, ce dernier lui a repondu dans une lettre qu’il était “impossible d’avoir une quelconque autorisation». La présidente du tribunal, Mme Brahimi, intervient pour exprimer son étonnement quant à l’attitude du ministre en recevant Moumen Khalifa qui n’avait pas respecté la loi.
Elle lui fait savoir que les transferts de fonds continuaient de manière clandestine, comme qualifiés par plusieurs témoins, malgré la décision de gel des opérations du commerce extérieur. Désarçonné, Mourad Medelci estime que toutes les informations lui parvenaient à travers la presse et la justice. «Je n’ai pas d’autres informations en dehors de ces sources», se justifie-t-il. Mme Brahimi, plus percutante, lui rappelle qu’au niveau du ministère des Finances, il y avait des services habilités à appliquer les lois de la République et mettre tous les moyens pour ester en justice les contrevenants. «Qu’est-ce qui empêcherait de faire assermenter les inspecteurs? Est-ce que cela est difficile ?», interroge la juge. Perplexe, le ministre répond qu’ils ont pris toutes les dispositions nécessaires. «Jamais il n’y a eu autant d’inspections», se défend-il avant d’indiquer avoir donné des instructions aux entreprises publiques leur interdisant de mettre leur argent dans les banques privées. La juge lui demande s’il n’a pas pensé pourquoi le vice-gouverneur, Ali Touati, ne l’avait pas saisi directement au lieu de passer par le secrétaire général du ministère des Finances. Medelci garde le silence.
« Ce dossier est resté dans mon bureau »
Le procureur général prend la parole pour dire que le rapport en question envoyé au ministre des Finances n’était pas perdu mais bel et bien au ministère. «C’est sûr. Quelle est l’utilité de le faire disparaître ? Croyez-moi, ce dossier est resté sur mon bureau avant d’être envoyé au directeur du cabinet», relate Medelci. A la question de savoir s’il a informé Mohamed Terbache concernant ce rapport lors de la passation des consignes, le premier argentier du pays répond qu’il ne l’a pas saisi de manière particulière. «Il m’a contacté. Je lui avais dit qu’il y a un rapport. J’avais donné mon avis», se rappelle-t-il. Le représentant du ministère public lui demande pourquoi il n’avait pas pris de décision, même conservatoire, en vertu de l’article 8 de la loi 90-26 sur la monnaie et le crédit. «Il incombait au ministère des Finances de prendre ces mesures, mais il devait y avoir une base claire», argue-t-il. Le procureur général constate que le rapport était en suspens, en attendant des informations supplémentaires. «N’est-il pas possible de faire retourner la rapport et demander des explications ?”. A cette question, Mourad Medelci surprend tout le monde dans la salle en avouant : «Si j’étais plus intelligent, j’aurais agi mieux que cela. Mais seul Dieu est infaillible.» Au sujet de la demande de Moumen Khalifa d’avoir l’autorisation qui lui permettrait de créer une banque en Allemagne, Medelci rappelle que Khalifa lui avait rendu visite vers fin 2001. «Il m’avait dit que la Banque d’Algérie ne lui avait pas répondu. Dans sa tête, il pensait que la B.A. était sous la tutelle du ministère des Finances. Il s’était avéré, en fin de compte, que la BA ne pouvait pas lui fournir ce document», raconte-t-il.
La présidente de l’audience reprend la parole. Elle l’informe que l‘ex-ministre, Mohamed Terbache, avait mis sur pied une commission, mais qui ne répondait pas aux normes juridiques. «Je l’avais étudié et je n’avais pris que la substance», estime-t-il. Le ministre annonce que l’Algérie avait besoin d’investisseurs pour expliquer pourquoi les autorités du pays avaient accueilli Moumen Khalifa. «Il fallait qu’on le soutienne, qu’on l’encourage. Malheureusement, ses intentions étaient autres», note-t-il. A la question de savoir comment se fait-il qu’un ministre cherche, en haut de la hiérarchie, à trouver des alibis au moment où l’administration affichait son mutisme. Piqué, Medelci déclare : «Je m’inscris en faux par rapport au mutisme. Avant mon arrivée, j’ai des lettres et quand j’ai quitté le ministère, je ne suis pas resté muet», se défend-t-il. Maître Berghel demande au ministre à qui revenait la responsabilité du pompage de l’argent : «Aux citoyens ou aux appareils de l’Etat ?». «La question est complexe. Chacun prend ses responsabilités. Ce qui ce passe dans cette salle aura son effet à l’intérieur et à l’extérieur du pays», se contente-t-il de dire. L’avocat enchaîne une autre questions : «ne saviez-vous pas que des banques algériennes ont travaillé avec Khalifa Bank ?”. Medelci confirme ce fait avant de dire que celles-ci avaient travaillé dans le cadre du marché monétaire. Le ministre des Finances est interpellé concernant l’exhibition d’un chèque de l’ordre de 15 millions d’euros à l’occasion du match ayant mis aux prises l’Algérie à l’Olympique de Marseille. «C’est une opération qui s’est déroulée là-bas. Ce n’était pas un transfert à travers la Banque d’Algérie», lâche le ministre.
Sortie houleuse du ministre
Journalistes et surtout photographes couraient dans une folle bousculade derrière le ministre, témoin du jour, pour lui arracher quelques inespérées impressions ou photos. Mais c’était compter sans l’intransigeance des gardes du corps de l’argentier du pays, lesquels n’hésitaient pas à dissuader par la force les photographes récalcitrants.
Après, c’était au tour de Karim Djoudi, ministre délégué chargé de la réforme financière, de défiler devant le tribunal en tant que témoin. Il occupait avant le poste de directeur général du Trésor sous l’ère de Abdelwahab Keramane. Il explique que sa mission était de veiller sur la gestion de la trésorerie et de la dette extérieure ainsi que l’organisation du marché financier. Le témoin informera qu’un groupe de travail avait été installé du temps de l’ancien ministre des Finances, Mohamed Terbache, en novembre 2002, pour l’étude du dossier Khalifa dans le cadre de la loi du crédit et du change. Selon lui, ce groupe avait établi qu’il n’y avait pas d’anomalies au moment où les experts de la Banque d’Algérie n’étaient pas assermentés. La magistrate lui fait savoir que le rapport n’était pas clair, à telle enseigne que le ministère des Finances n’a pas jugé utile de prendre des décisions strictes. Djoudi explique qu’il n’y avait pas d’autorisation de leasing (credit-location). Il rappelle que le ministre des Finances a travaillé sur la base de l’ordonnance 90-26. A la question de savoir quelles ont été les raisons de l’absence d’agents assermentés, entre 1996 et 2003, Karim Djoudi dit ne pas pouvoir répondre. «Avait-il instruit les entreprises publiques qui mettaient leur argent dans la banque Khalifa ?», demande le procureur général. Il souligne qu’il s’occupait de la trésorerie.
Durant l’après-midi, la cour a appelé à la barre, Djamel Aziz, chef d’agence d’El Harrach. Ancien directeur principal des études au CPA, il rejoint la banque El Khalifa pour occuper le même poste avant de devenir chef d’agence.
Il soutient avoir remis des sommes d’argent à des personnes sur ordre de Moumen Khalifa. L’accusé cite les noms de Dahmane Nordine (250 millions), Kebbache Ghazi, directeur générale de Khalifa Bank, Zerrouk Djamel (1,2 milliard de centimes), directeur des finances à Khalifa Airways et Chachoua Hafidh (2,5 milliards centimes). La magistrate tente de savoir s’il remettait de l’argent à ces personnes mais pas à d’autres. Aziz a répété qu’ils étaient des responsables à Khalifa Bank et avaient des autorisations de Moumen Khalifa. La juge lui fait remarquer qu’il remettait de l’argent en toute illégalité. Chose que l’accusé récuse en estimant que l’opération était un transfert de fonds en bonne et due forme.
Hocine Lamriben