“Quand je peins, je ne fais que danser”

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La dépêche de Kabylie : Peut-on jeter un coup d’œil indiscret sur votre « carte d’identité artistique » ?

Arezki Larbi : Je ne me rappelle plus qui a dit que quand la chance vient vers quelqu’un, elle ouvre un tiroir dans son corps, moi avec l’aide d’Athéna j’ai pu en ouvrir un certain nombre, mais il me reste beaucoup à tirer. Pour l’instant en tant qu’artiste, il me manque celui de l’ego. Le tiroir le plus facile à ouvrir, celui qui renferme le miroir où l’on s’admire.

Si l’on s’aventurait à classer votre œuvre dans l’impressionnisme abstrait, on se poserait bien des questions sur la nature des « Oiseaux » ou des quelques figures concrètement reconnaissables parmi les « Sphères ». Pourriez-vous, classer vos peintures ?

ll Quand je peins je fais semblant de peindre, en réalité je ne fais que danser. Une idée difficile à comprendre pour qui ne peint pas ou ne fait pas de l’art d’une manière générale. Et quand une idée picturale provient d’une évasion chorégraphique et que la couleur émane d’un soupçon de safran ou de cumin, que ce soit de l’abstraction ou du figuratif, il y aura toujours des gens qui mettront une étiquette sur un tiroir pour classer mon travail.

On a l’impression parfois, en scrutant les couleurs surtout, que votre côté poète se mêle un peu au côté peintre ? Ne sont-ils pas indissociables ?

ll Ce que j’aime, c’est les frottements produits par le choc des choses, là est la parole, le dialogue. Les couleurs, elles aussi proviennent de ces fritures. C’est le merveilleux silence qui est en nous qui sculpte ces bruits et les grains de lumière qui regardent en nous. Tellement rares et beaux qu’on les appelle poésie. La poésie doit être indissociable de toutes choses sinon les choses ne murmurent plus.

Quand vous vous servez du feu, de l’eau et de la terre, est-ce pour donner un aspect humain à votre œuvre ? La rendre vivante ?

Les éléments que vous citez sont à la base de la création, c’est de ces éléments à mon avis que sont sorties toutes les autres matières. Au départ, c’était peut-être le travail des potiers qui avait le plus aiguisé mon sens de l’observation et orienté mon travail vers ces éléments naturels. Mais plus tard, j’ai compris que ces éléments associés à la lumière devenaient une magie. J’étais fasciné par le fait que la nature n’arrêtait pas de peindre et de sculpter, alors je me suis mis à faire comme elle, créer mes propres supports, surtout les papiers, à user des rouilles, des teintures végétales et à cuire mes peintures comme on cuit des galettes sur le feu. Le fait de laisser une partie de mon travail à des éléments extérieurs à mon acte de peindre m’amusait énormément- je m’amusais pour ne pas me perdre, recréation scolaire si l’on peut dire. Sorti de l’amusement j’ai eu plusieurs fois envie d’abandonner la pratique de l’art. La nature est parfois si exubérante et outrancière que frottée au fusain elle vous rend fiévreux et malade …. L’art est un jeu sur lequel ses amateurs sont tombés d’accord. Matisse avait appelé le fauvisme, son épreuve du feu. Et c’est encore lui qui dira plus tard dans sa recherche sur la pureté de la couleur : « On ne comprend plus rien à ce que l’on fait, à ce que l’on sait. »

Les paysages et les traditions de Kabylie ne vous ont-ils pas tenté et vous faire virer vers le réalisme ?

ll Le réalisme est mon album-photo personnel, ce que je ne montre pas. Mon silence qui regarde les gens ou les paysages tels que vous les voyez. Tout est paysage ou renvoie au paysage. Pour moi, c’est curieusement un Tassili Najjer imaginaire, je dis bien imaginaire qui a donné naissance à ma peinture et au nuancier qu’elle possède. Ils existent des traditions et des paysages-musées qui ont besoin d’un peu de vitamine C pour stopper leurs renflements. En 2007 est-il intelligent après presque dix siècles de dire de Bejaïa qu’elle est la capitale des Hammadites ou de Tlemcen capitale des Zianides ? Je pense que non !

Pourrait-on retrouver le visage de l’Algérie d’aujourd’hui, aussi abstrait soit-il, dans tes peintures ?

ll L’exposition Migrations géologiques ou l’oiseau minéral, de 1999 avec Top-action à l’hôtel El-Aurassi, avait pour thème un sujet qui traitait des Algériens de ces vingt dernières années. Mais d’autres expositions qui étaient prêtes n’ont pu être réalisées, faute de financements, que je n’avais pas pu réunir. Je peux citer deux projets : « Trente choses de l’Algérie qui se construit » et « Accessoires nuptiaux pour une Algérie infidèle ». Dans l’histoire de l’art, il y a plus d’artistes qui ont peint l’intérieur de leur appartement que leurs pays.

Dans le domaine de la peinture, avons-nous vraiment un public et une critique assez mûrs en Algérie ?

ll Je sais qu’il y a des artistes qui possèdent leurs publics et leurs critiques, comme ils possèdent leurs soutiens et leurs entrées. La critique est un travail qui ne doit pas exister. Le travail de création est un instant magique, fugace pour celui qui crée, c’est l’élan, toujours l’élan et l’artiste lui-même ne sait pas à quel moment il a sauté dans les lumières fécondes. Le critique lui, peut faire un semblant d’élan mais ne saute jamais ! Je préfère les discussions avec les artistes, elles éclairent mieux.

André Malraux pense que « l’art est un anti destin ». Qu’en dîtes-vous ?

ll Partant de l’idée que le destin nous est imposé et que l’art est plutôt un choix, je vous dirais que je suis d’accord avec lui. Il y a moins de douleur dans ce que l’on a choisi que dans ce qui nous est imposé. Je veux dire que quand on ne choisit pas on choisit à notre place, voilà c’est tout simple. Ceux qui tracent des autoroutes savent exactement combien de ponts ils doivent construire mais ceux qui empruntent les chemins, ils ne savent pas sur combien de pierres ils vont trébucher et c’est tant mieux pour le voyage.

Quelle école vous a le plus influencé à vos débuts ?

ll Beaucoup d’artistes m’ont influencé mais pas les écoles, on appelle une école un artiste qui fabrique des formules ou des recettes. Etre sensible au travail d’un autre est un meilleur sentiment, un toucher du souffle et du cœur.

Vous considérez-vous comme un artiste rebelle ?

ll Les rebelles finissent toujours par devenir des images manipulées par ceux-là même qu’ils pensent représenter. Dans l’art à mon avis, il faut parler d’abord de soi et à travers soi. Quand on parle de la douleur des autres il faut avoir vécu cette douleur avec eux sinon ça devient de la sensiblerie. Citez-moi un seul rebelle qui n’a pas été effrité avec le temps, les œuvres sincères elles, continuent d’exister.

Quand vous peignez, avez-vous le contrôle absolu de votre pinceau ou bien préférez-vous comme Pollock, le laisser agir ?

ll Quand je peins, je me répète, j’essaie toujours d’avoir les pieds sur terre, donc je danse, je ne réfléchis pas pendant l’acte, je me laisse aller à ce qui me prend, à ce que je touche et me touche. J’écoute mon corps, frire ma vie, coller les bouts de silence pour faire un autre silence, un entretien avec un fil cassé par le vent. Quand je peins, il m’arrive de dire des mots à une ligne qui me sépare de l’efficacité du brouillard : le rendu. Quant à Pollock il maitrise parfaitement les éjaculations des boites, c’est aussi un rendu.

Vous animez par ailleurs une émission radiophonique à la Chaine II : Tichrad ou « Tatouages ». Quel en est le but ?

ll C’est d’abord l’idée de Monsieur Hamid Larfi qui voulait une émission sur les arts plastiques à la Chaine II, ce qui n’avait jamais existé auparavant d’après lui. Pour moi, c’est surtout l’occasion d’aller vers des artistes et discuter. Uniquement discuter, je me refuse de les juger ou de les contredire, ils sont responsables de la beauté de leurs dires. Mais je me rend compte qu’à l’antenne certains oublient même leur nom.

Selon votre conception de la réussite, considérez-vous que vous avez réussi ?

ll Sincèrement, oui !

Interview réalisée par Sarah Haidar

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