En Algérie, la femme se bat toujours pour s’émanciper. Entre le marteau de la religion et l’enclume du despotisme masculin, peu d’espace lui est attribué pour s’exprimer.
On a beau croire qu’une femme écrivain a beaucoup plus de chance et de moyens pour sortir de ce siège ancestral dont la femme a toujours été victime ; mais, en réalité, c’est toujours le même combat !
La censure qui lui est imposée quant à sa liberté personnelle et son autonomie, est doublement plus rigoureuse quant à sa liberté idéologique. D’abord, une femme qui fait de l’art, qui écrit, peint ou danse est difficilement acceptée par la société algérienne. Que dira-t-on alors si, dans ses œuvres, elle tâche d’ouvrir les yeux de ses semblables, de les exhorter à se libérer, à suivre l’exemple de la femme occidentale.
Si on arrive aujourd’hui à accepter quelques aspects libérés de la femme algérienne, c’est uniquement parce que l’on n’a pas le choix. Mais, à mesure que cette liberté atteint ou dérange l’amour-propre de l’homme, la marginalisation devient le seul moyen de freiner son élan et de la contraindre à se recroqueviller dans l’ombre et le silence qui se chargeront, avec le temps, d’anéantir ses talents et sa volonté.
Souvent, cette lapidation intellectuelle se fait au premier niveau : celui de la famille. Quand une femme, par exemple, écrit un roman, c’est déjà une sorte d’anomalie au sein d’une famille algérienne « qui se respecte ». Vient, ensuite, l’étape de la censure. Le mot censure devient alors un simple barbarisme, car elle dépasse les règles de la bienséance et du respect de l’autre pour s’étendre sur l’ensemble de l’œuvre et finit par détruire cette dernière et ne laisser à son auteur que l’amer arrière-goût de l’échec et de la frustration.
Si, par miracle, la famille consent à aider sa fille à publier son roman, le public ou la critique s’occupera des tirades d’usage !
C’est une question de réflexe Pavlovien en effet : dès qu’un roman sort sous le nom d’une femme, on jurera sur tous les noms que c’est une autobiographie ! Ce qui est parfaitement blasphématoire dans une société musulmane et conservatrice. Une femme, chez nous, ça sait cuisiner, ça sait pondre des enfants, ça sait se taire… Ecrire, parler, analyser sa condition et celle de ses concitoyennes, c’est de la contre-nature !
Résultat : les plus belles plumes féminines se trouvent à l’étranger. Exilées volontaires, déçues par l’incompréhension et la persécution de leurs contemporains, étrangères dans leur propre pays… Obstinées toutefois à poursuivre leur combat, à s’accrocher à leur talent comme à la seule vérité qui donne sens à leur vie, elles s’en vont là-bas : en France, au Liban, en Egypte. Là où l’art est permis à tout ceux qui ont eu la chance de l’avoir dans les tripes, là où la religion n’est pas un prétexte pour étouffer l’élan artistique de la femme, là où l’on peut écrire, peindre, chanter et danser sans avoir à ses trousses les différents surnoms diffamatoires tels que : « impie » ou « dévergondée » ou encore mieux : « pu… » !
Cette ingratitude, cette flagellation intellectuelle n’est pas près d’écorcher leur passion pour leur patrie. De loin, elles continuent à évoquer la terre, l’Histoire et les beaux souvenirs de l’Algérie.
Les belles œuvres sont celles qui se font dans le froid de l’exil ; car l’amour de la patrie n’atteint son paroxysme que lorsqu’on est loin d’elle, privé de sa chaleur et de ses brises automnales. C’est là où la plume trouve son plus bel encrier : la souffrance ! C’est là où l’encre devient à la fois acide et tendre, cruel mais amoureux…
Mais, en dehors de celles-là qui ont eu la chance de fuir ce purgatoire terrestre vers le paradis infernal de l’exil, combien d’autres encore se font mutiler la langue ici ? Combien d’œuvres féminines se trouvent castrées juste parce que leur auteur voulut se souvenir du parfum envoûtant de son premier homme ou bien évoquer sa première expérience sexuelle ? Combien de plumes se dessèchent peu à peu dans ce désert à force de courir derrière le mirage de la liberté ?
Et la question la plus importante : pourquoi la liberté de la femme est-elle un mirage ici alors que c’est une évidence là-bas ?
Sarah Haidar