La plume dans la plaie

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Les écrits de Haddad sont des débats intérieurs qu’il transmet fidèlement avec une plume raffinée non pour amener son lecteur à « tout foutre en l’air » comme certains écrivains y aspirent mais seulement pour partager cet émoi, cet éternel étourdissement devant le phénomène de la vie…

De notre mémoire littéraire, peu de beaux souvenirs peuvent nous consoler quant à la médiocrité actuelle. Malek Haddad y figure parmi les premiers, à l’instar de Kateb Yacine, Mohammed Dib et Ben Hadouga…

Des fascicules, des bribes de vie, des bouffées de tendresse ou d’amertume, ses œuvres demeurent les plus resplendissantes dans notre maigre registre littéraire.

De son style unique, il nous fait redécouvrir l’amour, la patrie, le mal-être artistique et les intarissables questionnements qui font que l’on est Homme, qui font que l’on existe !

Dans le long voyage si court qu’est la vie, on a souvent besoin d’une voix venue d’Outre-tombe qui sait si bien dire les vérités amères sans violence, peut-être même avec un peu de mélancolie allant parfois jusqu’à nous mettre entre les douces griffes du néant noir de la pensée. Là où les questions souveraines de l’existence se remettent à jubiler mais sans pour autant nous ôter cette sublime volonté de vivre et d’aimer la vie.

Les écrits de Haddad sont des débats intérieurs qu’il transmet fidèlement avec une plume raffinée non pour amener son lecteur à « tout foutre en l’air » comme certains écrivains y aspirent mais seulement pour partager cet émoi, cet éternel étourdissement devant le phénomène de la vie…

Le Quai aux fleurs nous répond toujours

Son Quai aux fleurs devient une terre inondée de lumière dans laquelle son lecteur trouvera gîte et couvert lorsque, trop usé par l’ardeur morne du quotidien, il a fatalement besoin d’un lieu où l’esprit et la pensée peuvent voguer dans une douce torpeur libératrice.

Khaled Ben Toubal n’est, au bout du compte, que la personnification de cette partie de nous qui s’obstine à se questionner, à se perdre, à se chercher et à nous chercher… Cet homme, en qui se réunissent la passion éternelle et la lassitude cosmique, nous montre avec une délicieuse nonchalance comment, avec un petit rien, nous pourrons arriver à une totale satisfaction de nous-mêmes…

Oui, certes il manque toujours quelque chose ! Oui, c’est vrai qu’il y a toujours des ombres noires qui nous poursuivent ! Oui, nous sommes des brebis égarées qui cheminent lentement vers le grand précipice… Mais, et heureusement qu’il y a toujours un Mais, nous avons ce laps de temps si court soit-il, ce trésor éphémère qu’est la vie. Nous l’avons et l’idée que nous ne l’aurons plus est suffisante à elle seule pour nous pousser à le consumer, à nous consumer avec, à l’explorer et à nous en émerveiller à chaque moment…

Le verbe de Malek est une flaque d’eau douce qui, non seulement, nous permet de nous admirer en la regardant mais aussi, contrairement à Narcisse, à attraper cette belle image qu’elle nous reflète pour en faire ce que bon nous semble.

Et c’est là où apparaît cette magique liberté offerte au lecteur dont rares sont les écrivains qui en sont capables. La liberté de lire l’œuvre comme on regarde la peinture abstraite. C’est-à-dire donner libre cours à l’imagination pour interpréter le tableau selon ses propres dimensions, selon ses propres blessures.

Khaled condense son amour pour l’Algérie dans celui qu’il voue exclusivement à sa femme Ourida et c’est à travers et par delà cette double passion que nous finissons, nous les lecteurs, par aimer et admirer cette Algérie ambiguë presque abstraite qui, tantôt redevient une douce enfant jouant sur la rive d’un fleuve paisible tantôt se noie dans une marre de sang, obéissant aux caprices libidineux d’une meute de prédateurs. La patrie devient alors cette femme fatale dont on croit déceler tous les mystères mais qui, mercurielle et parfois sadique, change et se transforme jusqu’à ce que nous nous mettions à l’évidence de l’aimer sans espérer comprendre un jour qui elle fut vraiment !

S’abandonner à la passion, ouvrir ses bras aux vents et partir en voyage quelque soit sa nature, voilà la doctrine de Khaled, voilà la doctrine de Haddad :

« Lorsqu’on se trouve sur les quais, les trains ne partent jamais assez tôt. Ou jamais assez tard. De toute manière, les délais ne comptent plus. L’attente est le seul voyage véritable. »

La gazelle empaillée

Toujours loin de l’Algérie, la passion se régénère pour que cette fois, l’exil devienne une humble copie d’un Sahara rêvé mais pas imaginaire où la femme, toujours symbole de la patrie, est déchirée entre l’amour de son homme et la cupidité d’un puissant conquérant.

Moulay, le marin des étoiles, promet une gazelle à sa dulcinée Yaminata la Targuia tandis qu’à Paris, un écrivain sans nom ne peut offrir qu’une gazelle empaillée à Gizelle Duroc qui l’aime et l’édite…

Chacun poursuit son mirage dans un désert intérieur et la gazelle continue à fuir et, dans cette fuite interminable, la passion se rallume à chaque moment… L’inaccessibilité de l’aimée et de la patrie ne fait qu’enflammer cette soif illogique et désespérée…

On peut faire abstraction de tout, on peut rendre symbolique chaque détail dans le roman, on peut interpréter chaque mot dit par l’un ou l’autre des personnages. Toujours cette liberté qui fait peur, toujours ce manque de quelque chose qui nous fait avancer, qui nous fait rêver, toujours cette chimère qui nous donne un but dans notre longue traversée du désert…

Malek Haddad, qui affirme dans son roman que « C’est pour des gazelles et des harmonicas que l’on se bat. L’opportunité n’a pas toujours de talents. Un écrivain ne devrait avoir de comptes à rendre qu’à ses personnages », nous renvoie encore une fois à la certitude que l’absence, la privation et, évidemment, la souffrance sont les seules à pouvoir nourrir notre attachement à la vie et à l’amour…

Cynique, cette histoire ! Mais, dans le cheminement des personnages et de la gazelle (qui peut devenir vivante même empaillée), on continue à apprendre comment aimer la vie, comment courir derrière l’espérance peu importe si on arrivera un jour à la réaliser et comment, par-dessus tout, inventer le Sens de l’existence. Car, chose est sûre, ce dernier ne peut qu’être inventé ; il n’existe pas !

« L’auteur est parti avec son manuscrit.

L’auteur n’hésita pas en franchissant le seuil du bureau.

L’auteur avait fermé la porte comme on referme un livre. »

Sarah Haidar

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